« Ci-gît Andrea Miles »

La silhouette sombre poussa le portique du cimetière, le dos voûté sous la pluie acerbe de ce mois de novembre. Elle sortit un objet de sa poche. Le bruit suivant le geste indiqua l'ouverture d'une voiture. Sur la route, le visage du jeune homme jusque là peu joyeux se renfrogna. Toujours et encore cette liasse de gens énervés et égoistes fourmilliant vers leur destination. À l'autre bout du monde, des gens rêveraient d'avoir la chance de dormir au chaud, de manger à sa faim, de prendre une pause à n'importe quel moment de la journée. Mais non, l'être humain des cités ne pense qu'à accélérer, en pensant au café qu'il pourra prendre s'il rase le vélo qui l'empêche de dépasser les limitations de vitesse. Notre ami n'est pas associal, non, il est simplement fatigué. Fatigué des mascarades que l'homme lui même a monté. S'habiller comme on le désire ? Non, c'est bien sûr dépassé. Il faut plaire, maintenant. Avoir une opinion personnelle ? C'est de loin terminé. Rejoignons des groupes. Des personnes à qui s'identifier. Adieu la singularité, bonjour l'unité. Plus besoin de réfléchir, votre groupe le fera pour vous. Non, notre ami n'est définitivement pas comme les autres. Et pourtant il cumule. Est-ce un message de l'existence elle-même ? Ou pour vous les prétendus illuminés, un message de l'entité supérieure ? Je ne vous ferais pas le plaisir de vous citer, d'ailleurs notre ami ne croit pas en votre guide. Il est même persuadé de l'existence de son ennemi juré. N'était-ce pas vous qui disiez qu'il était le père de tout un chacun ? N'était-il pas censé veiller sur tout le monde ? Les faits parlent d'eux-mêmes. Ouvrez les yeux et sortez de votre rêverie. Pendant que je vous occupe, notre ami est rentré chez lui. Si toutefois on peut appeler ça « chez lui ». Tout est impersonnel ici, mis à part ses livres, et les textes qui peuplent son ordinateur portable. Parlons de ces textes. Ils sont tout ce qu'il y a de plus fin, et attestent de sa culture et de son niveau d'étude, pourtant, derrière se cache une peine infinie. Il abrite dans son corps tous les désastres immaginables. Physiquement, il ne pourra jamais se manifester. Diverses maladies et faiblesses l'en empêchent, et l'en empêcheront toujours. Sa volonté d'être différent l'a rendu victime de l'ostracisme, si pratiqué de nos jours. Ainsi, ses proches sont, ou plutôt n'étaient, que virtuels. Ses fréquentations sur les forums d'écriture se sont peu à peu évaporées, avec la fermeture des sites en question, ou l'épanouissement d'une telle personne. Seul, sans quiconque à qui raconter ses peines. Il a depuis ce jour détesté l'humanité du plus profond de son être, incapable d'expliquer la nature humaine. Un beau martyr que voilà. Arrivé au point de non retour, il décida de briser la routine quotidienne. La mort de sa mère, seul lambeau subsistant de sa famille décomposée, l'inspira. Il se positionna devant sa fenêtre. Du regard, il dit adieu à la stupidité humaine, à son manque d'indulgence. Certaines personnes n'ont pas le droit d'exister. Les tueurs, les psychopates, les enfants de la douleur gratuite le peuvent, eux. Mais d'autres n'ont simplement essuyé qu'un brutal refus à la naissance. Épuisé de ses réflexions effrayantes, le garçon retira sa veste, puis ses chaussures. Il se diriga vers la seule issue de son enfer quotidient. Il fit couler une eau chaude, qui remplit doucement la baignoire trop parfaitement blanche. Il se dévêtit, et pénétra dans l'eau. Il soupira une dernière fois, et s'en alla.

Une quart d'heure plus tard, l'eau déborda. De trop parfaitement blanche la baignoire devint trop parfaitement pourpre. Un être humain pouvait-il contenir autant de sang... ? En effet, notre ami n'est vraiment pas comme les autres. Il arrive qu'on ne soit pas fait pour la vie.

« Ci-gît Andrea Miles »
« Ci-gît Jeff Miles »