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De l'amour des phrases alambiquées [Pv: Evan et Eyrim]
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13.01.13 14:34

 
Une fine écharpe brumeuse à laquelle s’attachent encore quelques lambeaux d’une ambiance obscure et ensommeillée qui est le lot de chaque nuit pèse doucement sur la ville. Les rues sont encore sombre et l’agitation caractérisant pourtant Al-Chen au retour des beaux jours ne se ressent pas encore, pourtant déjà l’air a cette fraîcheur humide et toujours renouvelée du petit matin, quand la délicate rosée s’installe dans les jardins, au ravissement habituel de toutes les petites filles y voyant la main de fées menues qui s’occupent de leurs fleurs… 

 
Un lieu échappe à cet état de fait. Le port grouille d’activité depuis plusieurs heures, et pendant que les gens du commun partagent tous ensemble la béatitude larvaire du sommeil, je suis en train de m’ensanglanter de façon acharnée les doigts à tenter de réparer la coque d’une petite barque qui n’avait déjà plus aucun espoir de survie avant ma naissance ; son propriétaire, un petit vieux dont l’âge n’a d’égale que la sympathie qu’il dégage, m’a cependant suppliée avec des larmes dans les yeux et des trémolos dans la voix de faire mon possible pour lui offrir une seconde vie, car elle appartenait à la belle-sœur du cousin de sa mère, laquelle avait d’étranges relations avec le neveu du frère de son grand-oncle paternel, ce qui prouve une fois de plus si besoin est que le monde est fort petit. Ce fringant vieillard avait également une bourse ou l’argent et l’or perçaient plus que le cuivre, et un peu des biens matériels et vains d’ici-bas ont malgré tout de quoi me tenter, quand on connaît le salaire suffisant mais non confortable auquel j’ai droit à intervalle régulier. Je lui ai donc promis de faire ce que je pourrais dans la mesure du possible mais que si, par une intervention de la Dame, j’arrivais à accomplir cette tâche côtoyant la limite du concevable, il aurait à y mettre le prix qui l’accompagne. Cela fait donc cinq jours que je m’y suis astreinte, sans grands espoirs de réussir cependant. Pour cette précédente raison, je suis très reconnaissante au garçon ahanant d’avoir trop couru qui vient m’annoncer qu’on a besoin de moi pour effectuer en lieu et place de celui qui les fait ordinairement les signaux forts utile à l’équipage d’un navire quand il veut accoster sans plus qu’il n’en faut de heurts. Vous comprendrez aisément que c’est le pas sautillant et l’esprit guilleret que je m’échappe de cette ingrate tâche qui commence à s’apparenter dans mon esprit plus à un supplice avilissant qu’à un labeur constructif. 
 
Cette démarche quelque peu enjouée cesse bientôt, de même que toutes les élucubrations qui pouvaient avoir lieu dans mon esprit vagabond, pour laisser place à un unique et immense sentiment d’admiration : le navire qui s’apprête à effleurer de son flanc gracile et harmonieux l’eau avenante du port d’Al-Chen semble sorti tout droit d’un rêve de la Dame. Je n’en ai jamais aperçu de semblable, je n’aurais même jamais pu imaginer durant un seul ridicule instant d’égarement qu’il puisse exister pareil équilibre, finesse, vitesse et force à la fois, et tout ceci combiné dans le concentré féérique que forme ce bateau. Je tuerais pour pouvoir embarquer à son bord et le diriger. 
 
Je me ressaisis cependant avec vélocité, reléguant ces considérations à plus tard, non sans me promettre avec force fermeté d’adresser la parole à un des bienheureux qui eurent ce privilège de naviguer à bord de cette perle. J’exécute ma tâche avec la précision et l’efficacité qui sont le lot des faëls, et enfin la merveille accoste. L’équipage commence sa descente, et tout en observant avec un léger sourire que l’on pourrait qualifier de dédaigneux mais qui n’est qu’ironique les humains qui me jette des regards étonnés, peu habitués qu’ils sont à croiser la route des gens de mon peuple, je me demande quel genre de personnes peut se permettre de voyager par le truchement d’une œuvre d’art telle que celle qui m’éblouit les mirettes en cet instant très précis. Un jeune homme qui ne doit pas être beaucoup plus âgé que moi m’aborde alors :
 
 -Pour t’émerveiller comme tu le fais en ce moment devant ce bateau, il faut que tu t’y connaisses un peu… je me trompe ?
-Point du tout, je considère son éclat inaccessible à beaucoup, mais il s’est révélée à moi comme une transfiguration de la beauté même, et je pense que peu parmi vous méritaient l’honneur insigne qu’il vous a accordé de naviguer à son bord. Cependant, devant que de deviser plus avant quant à ce moyen de transport surréaliste, sache que mon nom est Eyrim. M’accorderais-tu de connaître le tien à mon tour ?
 
Une expression surprise passe furtivement sur son visage, vite remplacée par un sourire que je devine amusé et une étincelle d’intérêt dans son regard, ce qui me laisse perplexe : en général, une fois qu’ils se sont aperçus de mon excentricité, mes interlocuteurs lâchent simplement un mot plat qui choit au ras des pâquerettes avant de se détourner pour aller quémander la compagnie d’une personne normale. Pas lui. Intéressant…
 

  
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31.01.13 1:44



"dis-moi eyrim, qu'écris-tu?"
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De l’eau. « Tirr ». Ma sœur. Elle s’enroule langoureusement autour de l’embarcation en bois dans laquelle je suis assis. Elle est belle, comme toujours. L’eau. Comme une femme. Elle porte en elle ce mélange de force et de souplesse, cette sensualité presque féline qu’elle aurait eu si elle avait pu se transposer sur de la matière, or elle n’est que molécules détachées et mouvantes. Ces mêmes molécules que je peux ressentir, ce qui me permet de nicher dans le creux de ses remous des lambeaux de ma conscience, qui me permet de ne faire qu’un avec elle. L’eau est comme une femme.
L’eau, ou qu’elle soit, peu importe la forme qu’elle adopte, peut s’apparenter à une femme. Depuis l’embarcation dans laquelle je suis confortablement assis sur mon séant, je risque un œil par-dessus le bastingage. Ô qu’elle est belle, ma femme liquide. Ma main s’envole et se pose délicatement sur la peau diaphane de cette créature que j’aime tant. Aussitôt, elle se fend et ses remous s’enroulent autour des mes doigts curieux. Je les agite, et à chaque mouvement elle s’adapte. Après quelques instants de délectation, je retire ma main. 
L’eau est comme une femme, et je l’aime.
Nous approchons d’une noble bien que modeste structure de bois sur laquelle des gens, sans doute tiré de leur délicieux sommeil depuis plusieurs tours de sablier déjà, s’agitent. Je peux apercevoir leur silhouettes, menues pour certaines, plus rembourrées pour d’autres, s’activer sur les planches de bois. Quelques secondes plus tard, des sons me parviennent. Des voix. Graves pour certaines, plus fluettes pour d’autres. Et si au final l’homme n'était que ça ? Une silhouette, une ombre, que l’on entraperçoit de loin ou au détour d’une rue, et qui entre furtivement dans notre vie pour s’en échapper aussitôt, bien trop désireux que le voile de mystère qui le recouvre ne tombe et révèle sa vrai nature : un loup. Parce qu’on a tous un loup en nous. D’un trait d’esprit, je m’envole soudain vers des réflexions existentielles. Et si l’homme n’était au final qu’un loup pour l’homme ? Mmmh tiens, voilà qui ferait une jolie citation ! Un bruit me tire de ma rêverie. Le Loup, le mien, il y a des années qu’il est calme, et je préfère cela ainsi. 

Un bruit me tire de ma rêverie, donc. C’est ma sœur liquide qui me prévient que nous arrivons. Elle frappe la coque en de grands clapotis sonores, signe que l’embarcation ralentit, et tourne.

Tourne. Comme une page de ma vie. Al-Chen est un endroit que je trouve prompt à la rêverie et à la réflexion. Pas trop isolé pour s’y perdre mentalement, mais pas trop entouré pour s’y perdre physiquement. Avec son port de bois flottant, elle est un des petits joyaux de l’Empire, délicat équilibre entre tranquillité et agitation. Accompagner des convois me lasse. L’ennui et la mort. Je vais sans doute m’installer quelques temps dans la région, ainsi profiterais-je d’une jeunesse bien méritée.
Je considère mon nouveau décor avec attention. Des personnes s’agitent, donc. Dans ce mélo de bras et de consciences, une nouvelle figure m’apparaît, brillante au milieu des autres. Quoi de plus paradoxal que pour une femme à la peau sombre, du moins plus sombres que les autres. Cette vieille manie qui est encrée en moi d’analyser les gens prend soudain le dessus et je la détaille, peut-être même un peu impoliment. Elle est légèrement plus petite que la normale, un corps fin et musclé. Une Faëlle ! Un couteau est glissé à sa ceinture. Je plisse les yeux. Ses mains sont abîmées. 
Et le plus fascinant de tout, ce sont ses yeux. L’iris et la pupille ont cédé la place à deux océans d’émerveillement. 

Je m’approche alors d’elle et lui demande :

-Pour t’émerveiller comme tu le fais en ce moment devant ce bateau, il faut que tu t’y connaisses un peu… je me trompe ?

Sa réponse me surprend quelque peu.

- Point du tout, je considère son éclat inaccessible à beaucoup, mais il s’est révélé à moi comme une transfiguration de la beauté même, et je pense que peu parmi vous méritaient l’honneur insigne qu’il vous a accordé de naviguer à son bord. Cependant, devant que de deviser plus avant quant à ce moyen de transport surréaliste, sache que mon nom est Eyrim. M’accorderais-tu de connaître le tien à mon tour ? 

Un éclat amusé passe dans mon regard, jumeau de celui qui traverse ses yeux. Une idée prend alors forme dans mon esprit, et c’est avec un énorme sourire que je lui réponds.

- Eyrim. Ce nom est d’une beauté qui n’a d’égal que celle que dame nature a eu la clairvoyance de vous pourvoir. Laisse-moi le bonheur et le plaisir de me présenter : je suis Evan, et depuis des années déjà j’arpente l’Imagination et ses multiples chemins, pâles reflets de l’infini de possibles qu’il nous offre. C’est pour moi un honneur que de faire ta connaissance. 

Je m’amuse un instant des multiples expressions qui défilent sur son visage et continue ma diatribe :

- Vois-tu Eyrim, je suis venu ici chercher la tranquillité et la paix. Voici les raisons de mon arrivée. Oh oui, pardonne-moi si tu venais à le considérer comme étant de l’impolitesse, mais je me permets d’anticiper tes possibles interrogations à mon sujet. 

Je pris son bras et commençai à marcher sur les planches. Je repris, plus amusé encore.

- Je ne viens de nulle part et je vais ailleurs. Ma vie est un perpétuel changement. Je vais, je viens, j’erre, je combats, je dance, j’aime. 

Je m’arrête soudain et me plante en face d’elle, les mains posées sur ses épaules. Je dois baisser la tête pour la fixer dans les yeux.

- J’ignore pourquoi je te dis tout ça. Tout ce que je sais, c’est ce que j’ai vu et ce que je vois. Et ce que je vois en ce moment, c’est qu’en toi brûle la flamme qui me consume. Celle du rêve et de l’aventure. 

Je pris ses mains dans les miennes, et les examinai attentivement. Une bosse marquait son pouce, et un léger creux ornait son annulaire. 

- Tu écris, n’est-ce pas ? Je peux le voir à ces marques. Dis-moi Eyrim, qu’écris-tu ?
 
Pour moi la vie, c’est une masse de gens, avec des barrières entre chacun d’entre eux. Ces barrières, on peut les croiser sans qu’elles nous gênent, où on peut décider des les abattre. Celles que la vie a placées naturellement entre Eyrim et moi, je les fais sauter, parce que j’ai sentiment qu’elles n’ont pas lieu d’être.
A l’évidence, elle a un penchant pour les phrases alambiquées, et moi aussi, sauf que je n’avais trouvé à ce jour d’oreilles pour les entendre, et de voix pour me les rendre.

Déjà je sens poindre une complicité entre elle et moi…




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02.02.13 20:58

 
- Eyrim. Ce nom est d’une beauté qui n’a d’égal que celle que dame nature a eu la clairvoyance de vous pourvoir. Laisse-moi le bonheur et le plaisir de me présenter : je suis Evan, et depuis des années déjà j’arpente l’Imagination et ses multiples chemins, pâles reflets de l’infini de possibles qu’il nous offre. C’est pour moi un honneur que de faire ta connaissance.
 
En deux phrases, parfaitement agencées, il est parvenu à me faire un compliment délicieusement tourné qui, je l’avoue, me plaît d’autant plus qu’il semble sincère dans la bouche de ce charmant dessinateur, à me décliner ses nom et état et, plus difficile, à me surprendre d’une façon assez inattendue puisqu’elle est langagière, et qu’usuellement c’est à moi que revient ce rôle.
Il enchaîne alors sur la suite de ce déstabilisant mais néanmoins très plaisant discours :
 
- Vois-tu Eyrim, je suis venu ici chercher la tranquillité et la paix. Voici les raisons de mon arrivée. Oh oui, pardonne-moi si tu venais à le considérer comme étant de l’impolitesse, mais je me permets d’anticiper tes possibles interrogations à mon sujet.
 
Donc, il a le sens de l’humour. Une hilarité assez peu contenue se lit d’ailleurs sur son visage, et grandit encore, proportionnellement à mon étonnement lorsqu’il me saisit le bras pour aller faire quelques pas. Les faëls ne connaissent pas ce genre de geste, et si je l’ai souvent observé chez les humains que je côtoie depuis suffisamment longtemps pour maîtriser leur langue parfois mieux que certains d’entre eux, jamais personne ne s’était risqué à s’approcher de moi de cette façon-là après seulement quelques minutes de conversation. Il est vrai que les faëlles ne sont pas connues pour leur docilité. Cela ne semble pas gêner Evan outre mesure, qui continue en me narrant le sens de sa vie.
 
- Je ne viens de nulle part et je vais ailleurs. Ma vie est un perpétuel changement. Je vais, je viens, j’erre, je combats, je danse, j’aime.
 
Un résumé court, clair et poétique, qui me laisse penser que son auteur est plus grave qu’il n’en a l’air. Comme pour me donner raison, son visage prend soudain une expression bien plus sérieuse et, ses mains posées sur mes épaules (peut-être pour consolider inconsciemment un lien qui, je le sens, existe presque déjà entre nous), il m’avoue, les yeux dans les yeux :
 
- J’ignore pourquoi je te dis tout ça. Tout ce que je sais, c’est ce que j’ai vu et ce que je vois. Et ce que je vois en ce moment, c’est qu’en toi brûle la flamme qui me consume. Celle du rêve et de l’aventure.
 
Les mots sont les magiciens les plus puissants au monde et des vecteurs des mêmes rêves dont vient de me parler Evan, peut-être plus subtils encore que l’art du dessin ou la voie des marchombres. Je ne suis peut-être pas la mieux placée pour avoir des opinions aussi tranchées, mais je sais du moins que l’alchimie complexe et mystérieuse de la littérature est la voie que je me suis choisie, et qu’elle réunit dans son extraordinaire largesse les deux flammes susnommées, et bien d’autres encore. Sans que je m’y attende, et me tirant ainsi de mes pensées vagabondes, Evan attrape mes mains, avec douceur cependant, et les observe avec une clairvoyance habituée qui m’étonna, une fois de plus. Cet alavirien cesserait-il un jour de me surprendre ? Je ne pus qu’espérer le contraire, car l’Ennui est un de mes pires ennemis, et je sentais qu’aux côtés d’Evan, il se tiendrait tranquille un moment.
 
- Tu écris, n’est-ce pas ? Je peux le voir à ces marques. Dis-moi Eyrim, qu’écris-tu ?
 
Mon rythme cardiaque décide soudainement de calquer sa vitesse sur celle d’un cheval de course lancé au grand galop. Prétendre que ces paroles me troublent serait un doux euphémisme. A dire la vérité, elles me plongent dans un abime sans fond de sentiments très différents qui trouvent sans doute amusant de traverser mon crâne à la vitesse moyenne de quatre ou cinq par seconde, ce qui est assez rapide pour provoquer une sensation de perte de repère conséquente. En premier lieu vient l’affolement : suis-je si lisible, ou bien est-ce lui qui est particulièrement doué dans l’exercice de déchiffrer les réflexions des gens ? Puis, la méfiance quant à sa situation de dessinateur confirmé, à ce que j’ai compris : n’a-t-il pas pu s’introduire dans mes pensées sans que j’en fus informée ? Je rejette cependant vite cette supputation, ma fâcheuse tendance à juger les gens au premier abord me soufflant que je peux avoir confiance en lui. Je suis ensuite déstabilisée : que répondre à une question pareille ? Je jette un regard à mes mains encore écorchées  Enfin, un calme tout relatif s’installe tant bien que mal dans mon esprit, et je parviens à formules quelques phrases plus ou moins cohérentes, tentant de faire abstraction du tumulte qui se déroule encore dans mon cerveau :
 
-Je t’avouerai avoir du mal à imaginer comment tu t’y prends pour me percer à jour comme tu viens de le faire. C’est une expérience somme toute très déstabilisante, mais je ne vais pas me perdre en conjecture sur la manière dont tu as deviné cela. J’ai toujours pensé, à raison puisque tu viens de me le prouver, que le corps en disait plus long qu’on ne le pense. Ta question est pertinente, tu as certainement pu t’en rendre compte à mon trouble, mais je tenterai d’y répondre justement : j’écris ce que ma conscience ne peut plus contenir, quand mon esprit devient trop étroit pour accueillir tous les possibles qu’offrent les mots.
 

 
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13.02.13 1:16



les yeux sont les fenêtres de l'âme, dit-on
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C’est avec plaisir que je vois défiler sur son visage aux traits agréables une série d’expressions particulières très différentes les unes des autres. La surprise, l’étonnement, la satisfaction et autres déclinaisons de l’âme humaine. Parce que c’est bien ce que sont les émotions, non ?
Nous nous sommes arrêtés de marcher, et elle me détaille attentivement comme plongée dans une profonde réflexion. Le défilé d’émotion poursuit sa route et prend fin lorsqu’enfin s’agence dans l’esprit de la jeune femme les mots, à ce que je peux en voir à travers ses yeux, qui sont soudain devenus plus brillants. Une fois agencés, les mots entreprennent le voyage jusqu’aux gardiennes des secrets, mais aussi objets du désir et vecteurs de la passion : les lèvres. 

- Je t’avouerai avoir du mal à imaginer comment tu t’y prends pour me percer à jour comme tu viens de le faire. C’est une expérience somme toute très déstabilisante, mais je ne vais pas me perdre en conjecture sur la manière dont tu as deviné cela. J’ai toujours pensé, à raison puisque tu viens de me le prouver, que le corps en disait plus long qu’on ne le pense. Ta question est pertinente, tu as certainement pu t’en rendre compte à mon trouble, mais je tenterai d’y répondre justement : j’écris ce que ma conscience ne peut plus contenir, quand mon esprit devient trop étroit pour accueillir tous les possibles qu’offrent les mots.


J’acquiesce, geste qui a dépassé ma pensée, dénué de tout sentiment d’assentiment pour ne s’avérer être qu’un signe de ma satisfaction et mon plaisir à entendre cette jeune femme se servir aussi bien de sa langue..
Je laisse un léger silence planer entre nous. Si les mots peuvent se révéler être à la fois armes, parade et fleurs, le silence est l’allié le plus fidèle de celui qui souhaite faire passer une émotion à l’état brut. Les mots, tout précieux qu’ils soient, ne valent pas la fidélité que peut offrir le silence. Néanmoins, l’un et l’autre se valent dans la mesure où là où le silence en dit plus, les mots le disent mieux.
Je regarde ce visage à l’air innocent, et ces yeux à l’air si sage.
Mais qui est-elle ? 

Je brûle (ref brûlure :P) de la connaître plus et mieux.

- Les mots. Ne sont-ils pas fascinants ? J’aime t’entendre parler de millions de possibles. Je ne suis même pas sûr que les Spires m’en offrent autant. Je les apparente parfois à des saveurs. Imagine-toi que chaque mot ait son propre goût. De l’amer pour la haine, du sucré pour l’amour. Imagine-toi l’explosion de saveur d’une phrase bien agencée au vocabulaire choisi et soigné. Imagine toutes les possibilités. Grisant, n’est-ce pas ?


Je la saisis à nouveau par le bras et reprend notre petite balade sur les planches. Autour de nous, les gens lancent des regards étonnés. Ils ne sont probablement pas habitués à voir un jeune homme et une Faëlle s’exhiber ainsi. S’exhiber. C’est bien pour adopter leur point de vue bien trop restreint à mon goût que j’emploie ce terme. Si on m’eût demandé mon opinion, j’eusse répondu que j’avais à mon bras une jeune femme qui sache enfin se servir de sa langue en beauté. Pour ce qui fut de s’exprimer, du moins… 
Nous continuons donc notre petite ballade, et j’écoute avec délectation ce qu’elle me répond. 
Je m’apprête à mon tour à user de la parole afin de rebondir sur ses réflexions lorsqu’une apparition dans mon champ de vision me coupe dans mon élan. C’est avec un mélange de stupeur et d’émerveillement que je contemple l’objet qui se trouve à la merci de mon regard scrutateur et vigilant. 
Il s’agit d’une structure de bois agencée avec une complexité et un savoir-faire couplés dans l’objectif de le voir un jour fendre les eaux, ou bien qui jadis les fendit, puis se retrouva pour une raison qui m’est inconnue (ce qui en soi et logique) hors d’usage. 
En d’autres termes, c’est un bateau. Mais il n’est pas en train de mouiller tranquillement dans le port sinon qu’il a été disposé sur deux grands tréteaux de bois. La coque est usée, et a perdu de son éclat d’antan. Il y a çà et là quelques trous qui forment probablement la raison pour laquelle cette structure de bois n’est actuellement pas en train de flotter tranquillement à la surface de l’eau. 
Je m’en approche et pose ma main sur la coque usée.
Je tourne vers Eyrim un regard interrogateur, dans l’espoir qu’elle soit en mesure de m’apporter de plus amples informations à ce sujet.


- Qu’est-ce ? 


Question si vague au but si précis. Plusieurs réponses sont possibles, bien sûr, et la plupart d’entre elles pourraient être moqueuses, comme «Eh bien, un bateau, que veux-tu que ce soit ? Une Dame ? ». 
Je souris en songeant à cela, et je souris à l’idée que malgré ma question qui est bien loin de briller par son génie, je suis intimement convaincu que Eyrim, dont le génie brille dans aucun doute, saura comprendre ce que je veux dire par là.
Je la regarde encore, et constate une fois encore qu’elle a un joli visage, ma partie préférée étant incontestablement ses yeux, brillants d’intelligence, de malice et autres choses de personnes aux milles aspérités et facettes, les unes plus intéressantes que les autres, en général


Et les yeux sont les fenêtres de l’âme, dit-on.


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03.03.13 21:32

 

Ma réponse semble être à la hauteur de ce qu'Evan attendait, car bien que je ne sois sans doute pas aussi experte que lui dans l'art de deviner un être, un hochement de tête est à mon très humble avis (qui n'a d'humble que le nom, j'ai toujours tenu mon avis en haute considération) un indice suffisant pour soutenir une telle assertion. Je m'attendais à une réplique qui, à son tour, s'envolerait à tire-d'aile vers l'Olympe des mots afin de donner à notre échange plus encore à chaque instant de relief qu'il n'en a déjà; il n'en est rien. Un joli silence se met à papillonner dans l'air entre nos deux personnes. Un silence qui, rapidement, devient assez ambigu pour ne plus être si confortable que cela. Et même fortement ambigu. Car l'absence de parole, si l'on peut parfois s'y vautrer simplement dans une facilité écoeurante, devient parfois un défi lancé par un des deux partis en présence et qui, lorsqu'il est relevé et remporté, lance un pont entre deux âmes. Quel type de pont, cela c'est à nous d'en décider. Pour l'instant, je ne sais pas exactement à quoi ressemblera celui qui s'érige plus vite que je ne le pensais entre Evan et moi, mais je suis déjà absolument certaine qu'il en vaudra la peine, et relève donc le défi qu'il me propose en acceptant simplement ce silence, sans savoir véritablement encore ce qu'il signifie, mais en ressentant l'atmosphère qui s'en dégage et nous enveloppe dans une bulle coupée du reste du monde. Je sais que j'ai réussi quand il reprend :

- Les mots. Ne sont-ils pas fascinants ? J’aime t’entendre parler de millions de possibles. Je ne suis même pas sûr que les Spires m’en offrent autant. Je les apparente parfois à des saveurs. Imagine-toi que chaque mot ait son propre goût. De l’amer pour la haine, du sucré pour l’amour. Imagine-toi l’explosion de saveur d’une phrase bien agencée au vocabulaire choisi et soigné. Imagine toutes les possibilités. Grisant, n’est-ce pas ?
 
J'oublie donc une fois de plus le monde extérieur pour sombrer, sous l'effet de la magie des mots d'Evan, dans une douce transe littéraire. Si on nous accordât quelques regards étonnés (comme ce fut sûrement le cas, une faëlle et un alavirien se promenant ensemble avec une telle proximité étant plus que rare), je ne m'en aperçus pas, occupée que j'étais à traduire avec le plus de justesse possible mes pensées vers l'air ambiant, qui se chargerait ensuite à son tour de transmettre à qui voudrait bien écouter:
 
-Et plus encore que grisant: enivrant. Mais pour moi, plus que des saveurs, ce sont sensations et ambiance qui découlent d'un ensemble de phrases. Une sorte de brume qui environne tous les mots pour peu qu'ils soient beaux et mis en scène avec minutie et savoir-faire… Quant à moi, je pense qu'un texte, s'il ne dégage pas cette ambiance particulière, qui n'est plus si abstraite que cela tant elle a quelque chose de réel qui, par l'intermédiaire de l'esprit, s'ancre dans le monde que nous connaissons... est raté.
 
J'avais toujours cru que la parole vulgarisait ce que l'écrit sublimait. Personne ne saura jamais vraiment à quoi s'en tenir quant a la pensée, car si cette dernière est l'origine des deux vecteurs de communication plus haut susnommés, elle ne leur est pas égale et ils ne la traduiront jamais a la perfection; nous ne saurons donc jamais à quoi ressemble la pensée des autres Humains, ni, pour cette dernière raison, ne pourrons exprimer quelque généralités que ce soit à son propos. Aujourd'hui, et depuis environ un quart d'heure, Evan m'apprend que c'est faux. Un quart d'heure, à peine. Il suffit de peu pour faire une rencontre importante, réalisé-je alors.
 
Et puis je m'apercois soudain qu'Evan s'est arrêté. Il contemple... Mon ouvrage. Celui que j'avais entamé depuis tôt ce matin, avant d'aller aider à faire accoster le bateau qui a amené Evan sur ce rivage. J'en profite pour moi aussi observer de loin le travail accompli, et m'aperçois que j'ai peut-être fait mieux que je ne le pensais; j'étais cependant ce matin d'une humeur grinçante et n'y ai prêté attention qu'avec une ironie désabusée. Une interrogation perce alors des réflexions silencieuse d'Evan:
 
-Qu'est-ce ?
 
Oui, qu'est-ce ? Vaste interrogation, bien plus large certainement qu'il n'y paraitrait pour le commun des mortels. Mais nous deux sommes sur la même longueur d'onde, et j'ai compris le véritable sens de sa question... Tentons donc d'y répondre.
 
-Je ne sais pas. Je suppose qu'il peut être ce que tu en fais. Labeur qui me semblait difficile et peu constructif pour moi ce matin, œuvre d'art pour toi à présent, souvenir d'une époque révolue pour son propriétaire, moyen de transport, simple agencements de trous entourés de bois... Pour le moment, je le vois comme l'alimentation principale de notre dialogue, puisque nous en parlons, ce qui est déjà une fonction honorable. Pour toi, que représente-t-il ?
 
Je constate alors deux réalités; la première, c'est qu'Evan me dévisage. Quel mystère cherche-t-il à percer ainsi, je l'ignore. Comme je suis une faëlle, et donc plutôt directe, je n'attends même pas sa réponse à ma précédente question pour l'interroger sur ce dernier point, juste avant de faire ma seconde constatation: je suis en train moi aussi de le considérer de la même manière. En le trouvant fort bien fait de sa personne, d'ailleurs... Bref, reprends toi Eyrim, l'heure n'est pas à ce genre de considération. Pour le moment, tu as dû paraitre fort étrange, en changeant ainsi brusquement de sujet sans la moindre ombre de transition. Il n'est pas du tout assuré qu'il soit accoutumé aux manières faëlles, et de surcroit ma nature impulsive n'a jamais arrangé les choses dans mes rapports aux autres. Espérons qu'il ne décide pas de mettre fin à cette conversation qui a si bien commencé en jugeant son interlocutrice un peu trop étrange pour lui. Car j'ai déjà placé beaucoup d'espoir dans cette rencontre.
 
Et beaucoup de confiance en Evan.
 

  
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20.03.13 19:19



Kestella
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Sa réponse reste suspendue dans les airs quelques instants, une ride apparue entre ses yeux m’apprend qu’elle réfléchit à son ajustement.  Je souris en songeant qu’entre elle et moi, chaque échange serait peut-être toujours ainsi. Compliqué et travaillé, mais finalement si naturel et agréable. Je profite de la chute des grains de sable du sommet du sablier vers son fond pour m’attarder sur sa silhouette. Sa peau tannée recouvre le corps avenant d’une jeune femme aux formes qui le sont tout autant. Gêné de la regarder ainsi, je décide de me reporter sur son visage, sa bouche, puis finalement ses yeux, si profonds et intelligents. 
Ces derniers semblent finalement se débarrasser du voile que la réflexion profonde recouvre, et se fichent dans les miens. Comment un simple regard peut-il faire tant d’effet ? C’est comme si je prenais un coup, dans l’estomac, comme si je prenais un coup… au cœur ? Un coup agréable… Un coup qui glisse, qui point ne heurte. Un coup caresse. Est-ce seulement possible. Oui, Evan, ça l’est… Non, pas de ça ! Ses yeux que j’apprécie à l’évidence de plus en plus, symétrique quasiment parfait de mon attention envers la jeune femme qui se voit le privilège d’observer à travers, s’éclairent soudain alors que les mots s’agencent dans l’air, me révélant sa réponse :

- Je ne sais pas. Je suppose qu'il peut être ce que tu en fais. Labeur qui me semblait difficile et peu constructif pour moi ce matin, œuvre d'art pour toi à présent, souvenir d'une époque révolue pour son propriétaire, moyen de transport, simple agencements de trous entourés de bois... Pour le moment, je le vois comme l'alimentation principale de notre dialogue, puisque nous en parlons, ce qui est déjà une fonction honorable. Pour toi, que représente-t-il ? 


Ses yeux ne me quittent plus, elle attend ma réponse. Je suis un peu troublé. Puis soudain, son expression change. Elle a dû s’apercevoir que mon intérêt ne se porte plus exclusivement sur sa réponse, mais grand mal m’en fasse, j’ignore si elle sait de quoi il en retourne finalement. Dans un sursaut de conscience, je décide de remettre mon masque d’insouciance réjouie, et me concentre enfin sur le bateau. Je cache mes sentiments et émotions, je n’aime pas les afficher. Pour moi le monde est comme un défilé d’affiches collées aux visages des gens. On peut presque d’un coup d’œil en apprendre plus sur leur personnalité que ne le ferait un discours. Je me plais à voir les gens froncer les sourcils en tentant vainement de déchiffrer mon expression.
Ce navire, reposant sur ses tréteaux, come épuisé de ses longs voyages. Ce navire, délaissé des hommes mais pas de cette jeune femme, ce navire dont la coque soupire par les larges trous qui éventrent sa coque, ce navire dont l’espoir s’éteint. Que représente-t-il pour moi ?
Sans m’en rendre compte, les mots m’échappent, filent entre mes lèvres, explosent dans les airs, se font son, puis phrase. 


- Il y a deux réponses à ta question, Eyrim. 


Mon regard se plante de nouveau dans le sien, ne se fait pas plus chaleureux comme j’aurais pu le penser, mais bel et bien plus… chaud, ce qui n’a rien à voir. Je pense aussitôt que le bleu de mes yeux a dû s’éclaircir imperceptiblement. Leur couleur est si changeante. Ils sont à mon image. Depuis que je l’ai rencontrée quelques instants plus tôt, j’ai dû passer par au moins cinquante humeurs différentes. La surprise, la satisfaction, l’étonnement, la complicité… l’envie ? Pas de ça !


- Je dirais en premier lieu qu’il incarne pour moi une harmonie entre mes trois frères et ma sœur. Cette fratrie qui n’appartient qu’à moi. Mon unique famille. 


Je m’approche du navire et pose ma main dessus. Je ferme les yeux. La chaleur du bois passe aussitôt entre mes doigts, se répand dans mon corps. Tu es sûr que c’est le bois du bateau… ? 


- Cette coque est faite de bois, une des nuances de mon frère Staun, l’élément Terre, soufflé-je entre mes dents. Je peux sentir le battement de son cœur. Mon autre frère Bloo, lui, se niche dans le creux des voiles, force sans jamais peiner, et fait avancer ce navire à travers mers et océans. Ma sœur coordonne le tout. Tirr, l’Eau. Elle est pour ce navire à la fois sa raison d’être, et son moyen d’être. Son pourquoi et on comment.  Mon frère Ifrit, le plus sauvage d’entre eux, est la raison de ne plus être. La faiblesse du tout.
C’est comme si tout être ou tout chose n’existait que parce qu’elle pouvait ne plus exister. Comprends-tu ? Ainsi les humains existent-ils parce qu’ils peuvent mourir. Vivre éternellement serait contraire aux règles de la Nature. Contre-nature. Et la Nature, ce sont les quatre éléments sous toutes leurs formes. Ainsi la terre étouffe-t-elle le feu que l’air attisera, alors que l’eau elle-même peut changer la structure même de la terre ! Tout est cycle et coordination. Liens qui se font et se défont. Ce bateau représente pour moi l’incarnation de cette réalité-là. Il est fort de ses atouts, tout en étant faible, ce qui le rend vrai, dans le temps et l’espace. Ici, et maintenant. 


Dans un mouvement rapide, je sors mon couteau de chasse et tape sur un rebord en fer qui protège l’extrémité de la coque. Me glissant dans l’Imagination, je capture les étincelles produites par ce contact entre mes doigts. Je m’approche d’Eyrim que je sais pendue à mes lèvres. Je ne cherche pas à cacher la pluralité de signification de ma phrase lorsque je dis d’une voix douce :


- Ces étincelles peuvent devenir brasier, si on y insuffle la puissance nécessaire, si on lui donne de l’air pour se nourrir. Tout n’est qu’une question de Volonté.


Sans que je puisse en deviner la raison, je me suis mis à chuchoter, et mon rythme cardiaque ’est imperceptiblement accéléré. Evan, non. Mes prunelles s’embrasent alors que je regarde Eyrim droit dans les yeux. Je crois bien que le masque est retombé. Tant pis ! Je me suis inconsciemment glissé dans les Spires et entre mes doigts, les étincelles sont devenues flammes.


- La faiblesse Eyrim, est indispensable pour que les forces soient forces. 


Je ferme le poing et la flamme disparait. Je reprends contenance, inspire un bon coup, ramasse mon masque imaginaire et le replace sur mon visage.


- Ce n’est cependant pas tout ce qu’il représente pour moi, dis-je d’une voix plus posée. Il est comme le symbole de notre rencontre pour moi. C’est un beau navire, qui a juste besoin qu’on en prenne soin, qu’au fil du temps on l’améliore, on y ajoute des choses. Un navire au potentiel incroyable, capable de voguer sur les flots inlassablement. Comme les mots qui nous lient. 


Je marque une courte pause pendant laquelle je la dévisage, impassible. 


- Je pense être dans le bon quand je dis qu’avant que je n’arrive en ces lieux, tu étais en train de rénover ce bateau. 


Derechef, je m’approche d’elle, et lui dis dans un murmure à peine audible :


- Tu vois, tu avais commencé avant même que je n’arrive… Mais j’aime brûler les étapes…


Puis je me coule dans l’Imagination. J’y retranscris sans difficultés dans mon esprit le bateau. Alors je m’affaire dessus. Le bois faisant partie des quatre éléments, il n’est pas difficile pour moi de modifier sa structure. Les planches s’allongent soudain, recouvrant les trous de la coque, le tout se consolide, se fixe ensemble, s’épaissit, durcit. Incassable. Puis je ravive les couleurs. Le marron délavé du bois cède la place à un marron vif et neuf. Inaltérable. Le mât subit les mêmes changements que la coque et devient aussi solide, aussi beau. Je le rallonge de quelques centimètres. Je finalise le tout. Au dernier moment, avant que le dessin ne bascule dans la réalité, j’ajoute un dernier détail. 
Puis c’est fini. J’ouvre les yeux. Sur le tréteau repose un magnifique navire, totalement neuf, sublime. Sur l’avant de la coque, sur le côté gauche, on peut y lire, gravé dans le bois en des lettres fines et élégantes. 


Kestella 


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30.03.13 19:58

-Il y a deux réponses à ta question, Eyrim.


Je n’ai pas le temps de m’interroger sur le sens de cette phrase, car pour le moment je suis plus concentrée sur le regard d’Evan. Un changement est en train de s’opérer au fin fond de son iris, un changement que je n’avais jamais observé chez personne jusqu’alors. La couleur est en train de s’éclaircir mais, bien loin de rendre ses yeux plus froids, je ressens au contraire une chaleur toute bienveillante monter de ce regard. A moins que ce ne soit moi… Et puis, bienveillant n’est peut-être pas l’adjectif le plus approprié, mais son expression est encore trop indéchiffrable pour moi. J’ai cependant la sensation qu’un masque est en train de tomber.
 
- Je dirais en premier lieu qu’il incarne pour moi une harmonie entre mes trois frères et ma sœur. Cette fratrie qui n’appartient qu’à moi. Mon unique famille. Cette coque est faite de bois, une des nuances de mon frère Staun, l’élément Terre. Je peux sentir le battement de son cœur. Mon autre frère Bloo, lui, se niche dans le creux des voiles, force sans jamais peiner, et fait avancer ce navire à travers mers et océans. Ma sœur coordonne le tout. Tirr, l’Eau. Elle est pour ce navire à la fois sa raison d’être, et son moyen d’être. Son pourquoi et on comment. Mon frère Ifrit, le plus sauvage d’entre eux, est la raison de ne plus être. La faiblesse du tout. C’est comme si tout être ou tout chose n’existait que parce qu’elle pouvait ne plus exister. Comprends-tu ? Ainsi les humains existent-ils parce qu’ils peuvent mourir. Vivre éternellement serait contraire aux règles de la Nature. Contre-nature. Et la Nature, ce sont les quatre éléments sous toutes leurs formes. Ainsi la terre étouffe-t-elle le feu que l’air attisera, alors que l’eau elle-même peut changer la structure même de la terre ! Tout est cycle et coordination. Liens qui se font et se défont. Ce bateau représente pour moi l’incarnation de cette réalité-là. Il est fort de ses atouts, tout en étant faible, ce qui le rend vrai, dans le temps et l’espace. Ici, et maintenant.
 
Au fil de ses mots, quelque chose a changé. Je ne sais pas s’il s’en est aperçu, ni même s’il l’a ressenti aussi, j’ai quant à moi clairement perçu ce qu’il se passait. Du moins dans ma vision des choses. Est-ce suffisant pour l’étendre à Evan ? Je ne sais pas vraiment, après tout il n’est pas dit que les esprits humains et faëls fonctionnent de la même façon. Toujours est-il que j’ai compris, ses phrases m’ont ouvert beaucoup d’horizons, et je voudrais dans l’instant présent me fermer à tout ce qui est extérieur à nous deux, qu’il ne reste plus que deux sources de perception, à savoir lui et moi. Mon esprit est en train de s’embraser.
 
Grâce à une lame, Evan capture alors quelques étincelles dans le creux de sa main, comme s’il avait deviné mes pensées. Il sait donc, lui aussi. Le feu, Ifrit comme il le nomme, est peut-être mon élément préféré par son inconsistance, sa légèreté éphémère qui bientôt meurt sans laisser de trace après avoir été le plus vivant des éléments, ou du moins le plus passionné. Mon rythme cardiaque s’accélère quand le dessinateur s’approche de moi. N’oublie pas de respirer, Eyrim.
 
-Ces étincelles peuvent devenir brasier, si on y insuffle la puissance nécessaire, si on lui donne de l’air pour se nourrir. Tout n’est qu’une question de Volonté.
 
Nous sommes tout proches, il chuchote et soudain je croise son regard. Je suppose que ce que j’y lis est la même chose que ce qu’il a probablement déjà déchiffré sans peine dans le mien. La flamme s’élance et virevolte dans l’air, dans une danse désespérée qui se sait déjà finie, mais qu’importe, tant que le mouvement est intense et magnifique et qu’il traduit le mouvement infini du monde. Elle ne dévore ni ne détruit, à l’abri qu’elle est dans le creux de la main de l’être résolument unique qui se tient près de moi, et a avant tout autre compris la réalité des univers qui réside dans les quatre forces. La notre sera celle du feu.
 
-La faiblesse Eyrim, est indispensable pour que les forces soient forces.
 
La flamme disparait, étouffée par Evan d’un simple mouvement. Ce dernier se détourne légèrement, respire profondément une ou deux fois et arbore un air détaché qui ne me convainc pas plus que cela. Puis il reprend :
 
- Ce n’est cependant pas tout ce qu’il représente pour moi, dis-je d’une voix plus posée. Il est comme le symbole de notre rencontre pour moi. C’est un beau navire, qui a juste besoin qu’on en prenne soin, qu’au fil du temps on l’améliore, on y ajoute des choses. Un navire au potentiel incroyable, capable de voguer sur les flots inlassablement. Comme les mots qui nous lient.
 
Cette fois, je ne peux pas déchiffrer son expression. C’est une tradition humaine que de vouloir masquer émotions et sentiments, je n’ai jamais vraiment compris pourquoi. Toujours est-il que je suis en train de le scruter en vain, cherchant une faille dans son visage qui me permettrait de trouver quelque chose à interpréter ; peine perdue.
 
Ca y est, il a renoncé. Il s’est à nouveau approché de moi, j’en mourrais d’envie sans me l’avouer. Il souffle :
 
- Je pense être dans le bon quand je dis qu’avant que je n’arrive en ces lieux, tu étais en train de rénover ce bateau.  Tu vois, tu avais commencé avant même que je n’arrive… Mais j’aime brûler les étapes…
 
Brûler, le terme est bien choisi. Chaque mot à son importance, chacun a une signification particulière. Celui-ci s’accorde si bien avec mon état d’esprit du moment que je me demande un instant si par hasard il n’aurait pas pu lire dans mes pensées. J’ai l’impression d’une vague immense qui m’emporte sans que je veuille ni ne puisse rien faire pour aller à son encontre ; pour une fois, je n’ai pas envie de lutter. Il est là, tout proche et je regarde ses grands iris si expressifs avec la volonté insensée de m’y noyer.
 
Je cligne des yeux et dans le ridicule intervalle de temps entre le moment où mes yeux se ferment et se rouvrent, le miracle se produisit. La vieille coque fatiguée reprend soudain de l’éclat, et d’une façon tout à fait inattendue et qui point ne heurte pourtant. Une fraction de seconde a suffit à Evan pour accomplir ce que je n’aurais jamais pu faire, même avec un travail acharné sur des années. Mon regard quitte un instant l’attraction qu’exerce Evan sur moi pour être happé par la vision merveilleuse de ce qui est à présent bien plus qu’un simple objet remis à neuf, mais bien un symbole de quelque chose de résolument différent et enivrant qui commence. Un détail plus particulièrement ressort de l’ensemble qui forme mon univers direct ; le mot gravé sur la surface impeccablement lisse et vernie du voilier, le nom de ce petit assemblage que je devine bouillonnant de potentiel : Kestella. Chacune des huit lettres semble rougeoyer dans l’air ambiant, de se détacher presque de la coque pour onduler chaudement. J’approche la main et les effleure du bout du doigt, complètement fascinée. Musicalité, émotion. J’aime ce nom, au sens premier du verbe, comprend sa signification et l’intègre en moi, pendant qu’il prend dans mon esprit un relief très concret. Je plante mes yeux dans ceux d’Evan, dont la main est toujours sur le bateau, et murmure les huit lettres qui signifient promesse et avenir. Je sens qu’il ne faut pas que j’ajoute autre chose. Laisse le silence faire son œuvre, Eyrim, pour une fois dans ta vie.
 
Je ne sais pas si quelque chose est en train de commencer ou pas, et ne veut surtout pas le savoir, du moins pas tout de suite ; je sais mon esprit très changeant, et j’aurai probablement changé d’opinion d’ici quelques minutes, mais je veux vivre sur l’instant et ne pas me préoccuper de ce qui arrivera dans le futur, aussi proche ce dernier soit-il. Je veux donc surtout profiter de la présence d’Evan qui est tout ce qui me comble pour le moment.
 
J’inspire profondément une fois, en savourant l’air qui parvient jusqu’à mes poumons, et en tentant vainement de calmer les battements de mon cœur ; je viens de prendre une décision. C’est peut-être une erreur, peut-être la plus belle chose que j’aurais faite dans mon existence, je m’en fiche, je ne fais que ce que j’ai envie de faire. J’attrape la main du dessinateur en douceur. Et je l’emmène, d’abord en marchant, puis de plus en plus vite dans le dédale du port jusqu’à arriver devant l’endroit où sont amarrés les voiliers. Je ne m’arrête pas là et nous fait monter dans un petit voilier à deux coques, mon bateau de prédilection. Je détache l’amarre et commence à capter le vent dans mes voiles. L’adrénaline et la joie qui me submergent à ce moment-là sont indicibles ; j’ai l’impression de me noyer dans le bonheur. L’eau et l’air, partout, qui se marient pour faire fendre les eaux à notre embarcation, nous deux rapprochés dans cet espace réduit. Je me tourne vers Evan, les yeux pétillants d’excitation. Cela doit se lire sur mon visage tellement facilement que je suis en train de me noyer dans la plénitude ! C’est avec le sifflement du vent et le roulis des vagues comme bruit de fond que je reprends, la voix vibrante :
 
-Voilà mon univers, Evan, et je voulais te le faire partager. Je voulais te montrer l’ivresse absolue de la voile, puisque de toute évidence tu connais déjà celle que peuvent procurer les mots. Voici à quoi ressemble mon monde, je t’y invite. Ferme les yeux, écoute simplement le vent qui vient tourbillonner pour te faire perdre tous tes repères et t’oublier dans l’immensité profonde de l’eau qui bouillonne et danse pour nous dans un orchestre enivrant. Ressens tout, devient tout.
 
Je suis à présent transie de froid jusqu’au fond de mon corps, mais je n’en ai cure. Il en a à peu près toujours été ainsi quand je suis sur un voilier, cela fait partie du jeu et j’ai appris à aimer cet aspect-là également. Je suis trempée des pieds à la tête, le vent me fait claquer des dents et je tremble, mais cela accentue encore ma perte de repère complète et me rends encore plus euphorique.
 
-A chaque fois, j’ai l’impression que l’univers s’agrandit et que tout devient possible, c’est tellement enivrant ! Le vent est vivant, il nous porte tous sur les flots, et l’ensemble grisant qu’ils forment est grandiose et magique, me prendrait même ma raison.
 
J’ai de l’eau dans les cils et doit me passer le dos de la main sur les yeux pour rendre sa netteté au paysage ; le voilier file tout droit, l’eau est froide et je finis par nous immobiliser au milieu de l’eau. Alors seulement, je peux lâcher les diverses cordes et la barre et m’abandonner. Une phrase me brûle les lèvres, et j’ai l’impression que tout s’embrase quand  je la souffle à Evan pour qu’il saisisse mon état d’esprit si particulier du moment :
 
- Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question.

  

 
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07.05.13 1:29



Simple et vrai
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Je la regarde en souriant. Je vois les émotions défiler sur son visage. Décidément, ça devient une habitude ! Je l’observe lorsqu’elle s’approche du bateau, l’observe lorsque du bout des doigts elle caresse les huit lettres, l’observe dans les yeux lorsqu’elle les tourne vers moi pour les murmurer. Puis j’ai envie de prendre sa main qui est près de la mienne, caresser ses lèvres qui murmurent ce nom, me perdre dans ces yeux si brillants et profonds. Je la vois qui ouvre la bouche. La referme. Je souris. Elle a opté pour le silence. Le silence… Il est là, il plane quelque part entre nous, mais j’ai comme l’impression d’un silence chargé de sens. Un silence chargé d’émotion et de dires tus. J’ai l’impression qu’il se passe beaucoup de choses dans ce regard, cette légère distance qui nous sépare, et nos cœurs qui sans le savoir, peut-être, se réclament.

Mais j’ai déjà offert le mien. Suis-je capable de recommencer ? De l’oublier ? Elle ? Je ne sais pas. Je ne m’en sens pas capable… Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à elle, à la décision que j’ai prise, à la vie que j’ai laissé de côté. Pour la protéger. Une vague d’émotion menace de me submerger. La vague approche, incontrôlable. Je la repousse, depuis des mois, mais en cet instant elle menace. Elle a pris en taille et en puissance, et elle menace. Soudain, tout s’arrête. L’eau déchaînée, forme qu’a choisie ma mémoire pour m’envahir, se replie, s’enroule autour d’un point qui semble l’aspirer. Tout semble aller soudain dans cette direction. Les peurs, mes angoisses, mes souvenirs soudain sont aspirées par cette unique chose, cet unique contact. 

La main d’Eyrim sur la mienne. Je lève les yeux vers elle. Elle aussi… Il n’y eut jamais qu’elle qui me calma d’un simple contact. Et voilà qu’elle aussi. Cette Faëlle extraordinaire, si vive, a calmé en une fraction de seconde, d’un simple contact, ce que je mets seul à calmer en plusieurs heures parfois.

Alors je sais. Que j’ai besoin d’elle, qu’il la faut près de moi. Quitte à ne plus avoir de cœur, alors je veux le sien. Ses doigts se resserrent tout à coup autour des miens, et elle est partie. Elle m’entraîne à travers le porte, courant presque sur les planches de bois. Elle m’entraîne jusqu’à un ponton le long duquel sont attachés plusieurs voiliers. Elle monte sur l’un deux, à deux coques, et m’assoit à côté d’elle. En quelques secondes, elle s’est débarrassée des différentes amarres et en quelques autres, elle a hissé les voiles, capté le vent, et nous sommes partis.

Et je me rends compte. J’ai changé d’univers. J’ai l’impression qu’Evan a changé. J’ai résolument pris la bonne décision en venant ici, à Al-Chen, près d’elle. Elle me change. En quelques instants à peine, comme elle a pu le faire. Je me rends compte peu à peu qu’elle n’est pas si différente d’elle. Même si elle n’est pas semblable à elle, Eyrim lui ressemble dans la relation. Soudain, je lui suis reconnaissant. Je sens qu’avec elle je peux guérir, tourner la page. Mes certitudes deviennent aussi fortes que du diamant lorsque je pose mon regard sur elle. Elle tient le gouvernail et elle jubile. Elle a les cheveux dans le vent, et elle jubile. Je la trouve belle, ainsi livrée aux éléments. Comme un signe, ils ont été tous les quatre réunis en très peu de temps en sa présence. Le bois du bateau, le  feu entre mes doigts, et maintenant l’air qui nous pousse en avant et l’eau qui s’envole de part et d’autre de l’embarcation, éclate en des écumes blanches et éphémères ou se perdent dans la chevelure de la jeune femme qui guide l’embarcation. Elle m’apaise, je le sens au plus profond de moi. Son visage radieux se tourne vers moi et toutes mes appréhensions sont balayées. Ses traits dégagent un bonheur que procurent les choses simples et vraies. Elle est simple et vrai, et je peux peut être y ajouter le je pour nous existe. Simple et vrai. 

-Voilà mon univers, Evan, et je voulais te le faire partager. Je voulais te montrer l’ivresse absolue de la voile, puisque de toute évidence tu connais déjà celle que peuvent procurer les mots. Voici à quoi ressemble mon monde, je t’y invite. Ferme les yeux, écoute simplement le vent qui vient tourbillonner pour te faire perdre tous tes repères et t’oublier dans l’immensité profonde de l’eau qui bouillonne et danse pour nous dans un orchestre enivrant. Ressens tout, devient tout.

En quelques phrases, elle m’a transporté. J’ai l’impression que la voie qu’est ma vie s’affine. J’ai l’impression que tous les éléments autour de ma vie se percutent soudain, ici et maintenant, avec elle. Je lui ai dit un peu plus tôt que le bateau était pour moi un symbole, et voilà que maintenant qu’elle dirigeait cette petite embarcation  de bois vers ce qui me semblait être l’infini, j’ai l’impression qu’elle a aussi pris le contrôle de ma raison, qu’elle l’a volée et cachée quelque part en lieu sûr où je sais que je peux la récupérer, où je sais qu’elle saura que je n’en ai pas envie. J’ai l’impression qu’en plus de diriger le voilier vers l’inconnu, elle me dirige vers son inconnu, pour que je l’explore. Et j’en ai envie. Elle m’apaise, me fait oublier, presque. Elle est un baume qui se déverse sur mon cœur en caresses vertigineuses, et qui me fait du bien. Elle m’a ouvert les portes de son univers, de son monde, et dit clairement m’y inviter. Debout sur le seuil, j’hésite à y entrer. Je sais qu’une fois le pas franchi, je devrai fermer la porte derrière moi, et c’est le plus difficile. 

Je ferme les yeux et laisse le physique devenir immatériel, et je l’inhale. Les embruns sur ma peau, l’eau sur mon visage, l’air qui semble s’enrouler autour de moi, caresse, puis fuir. Le monde n’est plus que perceptions, que sentiments simples et vrais. J’ai une nouvelle impression. Que ma vie était une marche, puis qu’elle, Eyrim la Faëlle, s’est ri des murs que j’avais bâti et avait déboulé sur mon chemin en dansant, m’avait saisi les mains dans une pirouette, et m’entraînait maintenant avec elle, et que nous dansons ensemble. Une dance gracieuse et élégante, à l’image de sa finesse et de sa subtilité, que je prête parfois aux Marchombres. 

-A chaque fois, j’ai l’impression que l’univers s’agrandit et que tout devient possible, c’est tellement enivrant ! Le vent est vivant, il nous porte tous sur les flots, et l’ensemble grisant qu’ils forment est grandiose et magique, me prendrait même ma raison. 

Perdre la raison… Parlons-en. Je perds la mienne. Je perds le contrôle. A cause d’elle. Je n’aime pas perdre le contrôle, des choses, de moi, or elle, elle prend tout sans rien demander, elle se l’approprie, et je suis forcé de m’avouer que c’est mieux ainsi, qu’en ne me laissant pas le choix, elle me délivre. Je me surprends à tout oublier, à réduire mon univers à elle et moi sur ce voilier. Je veux cela. Je ne veux plus que cela. Etre avec elle, véhiculé par l’eau et l’air au cœur d’une passion de feu. Je lui souris. Sourire tendresse, sourire reconnaissance, sourire bonheur. Simple et vrai. 

Elle se passe une main sur les yeux. Elle est complètement trempée, et je m’aperçois que moi aussi. Alors elle me murmure une unique phrase. Un murmure qui explose dans l’air. Alors tout s’embrase. Une dernière pièce du puzzle s’emboîte et tout prend sens. 

- Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question.

Etre ivre. Je me lèvre et ouvre les bras. J’inspire l’air frais. Tout est si beau tout à coup, si vrai. Je ris. Je ris, dans le vent. Elle me rend heureux. 

Etre ivre. 

Je la contemple. Elle m’observe avec un mélange de surprise et d’amusement. Lorsque je me mets à la regarder avec malice, elle fronce les sourcils. Elle comprend une seconde trop tard où je veux en venir. Je me jette sur elle et nous basculons tous les deux par-dessus bord. Nous plongeons dans l’eau froide. Je sors finalement la tête de l’eau en riant aux éclats. Elle ressort à son tour et je n’arrive pas à déchiffrer son regard. Nous nageons face à face, et je remarque qu’elle a les lèvres qui tremblent légèrement. Elle a froid. Je ne sens pas le froid, je ne sais pas pourquoi. Alors une idée me vient à l’esprit. Je me glisse dans l’Imagination et l’eau autour de nous se réchauffe peu à peu. Je plonge et sort de l’eau derrière elle. J’enroule mes bras autour de sa taille. Je la sens qui se contracte un peu.

-Détends-toi, c’est juste pour te réchauffer…

Elle se détend légèrement et je l’entraîne en quelques brasses contre le voilier. Plus que l’eau,  c’est l’air qui s’est réchauffé autour de nous. Et je n’y suis pour rien… L’ambiance est devenue intime tout à coup. Je plonge de nouveau et réapparaît devant elle. Je la  pousse doucement contre la coque, puis j’en attrape les bords. Elle est coincée entre le bateau et moi et je la regarde. Toute trace de sourire a quitté mon visage. Seuls mes yeux parlent, s’expriment. De nouveau, je ne suis plus que perceptions, et émotions. Je reçois les premières et renvoie les deuxièmes. Nous nous regardons ainsi un instant, puis je sens ses jambes s’enrouler autour de ma taille. Alors elle n’a plus à nager. Elle s’immobilise. Nous ne sommes plus qu’yeux et choses qui s’y disent. Ses cheveux trempés lui collent au visage et je la trouve irrésistible. Elle a les yeux plus brillants que jamais. Ses lèvres sont légèrement entrouvertes. J’ai l’impression qu’elles appellent les miennes. Lentement, très lentement, je m’approche d’elle, jusqu’à l’effleurer. Parvenu à quelques millimètres de sa bouche, alors que je sens son souffle saccadé sur mon visage, son cœur battre contre ma poitrine, je me recule et appuie mon front contre le sien.

- Tu m’enivres, Eyrim… Et tout est là…

Je ferme les yeux et je serre involontairement la mâchoire. Je ne contrôle plus rien. J’ouvre les yeux et me perds dans les siens. Je lâche le voilier d’une main que je pose délicatement contre la joue d’Eyrim. J’approche mon visage du sien, puis mes lèvres sont sur les siennes. Une fois encore, tout a disparu autour de moi. Le voilier, l’eau, tout. Il n’y a plus qu’elle et moi et ce baiser. 

Mes lèvres contre les siennes, ses jambes autour de moi, la chaleur que je diffuse en elle, achèvent de me faire prendre ma décision. Elle m’a invité dans son univers, dans l’inconnu.

C’est décidé, je franchis le seuil.

Puis je referme la porte derrière moi.




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23.06.13 15:05

 Je l’ai touché, je peux le voir à sa façon d’ouvrir les yeux sur le monde comme s’il le redécouvrait tout à coup, comme si ma vision de la vie lui était soudain ouverte par mes phrases enflammées . Aurais-je agrandi son champs de vision ou simplement déverrouillé quelque chose qu’il possédait déjà ? Je n’en ai pas la moindre idée, ce n’est d’ailleurs probablement pas à moi de décider de ces choses-là ; mais c’est plus fort que moi et je ne peux m’empêcher de tenter de m’approprier ce qu’il voit, ce qu’il ressent, ce qu’il est, d’essayer de ressentir à travers ses yeux comme pour le comprendre mieux et l’approcher  d’un peu plus près, combler peut être cette impression que j’ai de ne le connaitre pas encore. Car selon moi il est besoin de temps pour connaitre quelqu’un, un temps irrépressible et inexorable, une contrainte de plus quand il s’agit de lier avec quelqu’un mais une contrainte contre laquelle pour une fois je n’ai jamais tenté de m’élever, car le recul qu’elle procure m’est fort bénéfique, incapable que je suis de le prendre seule.
 
Je ne connais à vrai dire qu’une exception, une personne avec laquelle il m’a été donné de partager tout, subitement. J’ai conscience cependant que ce genre d’expérience est extrêmement rare et n’arrive qu’à peu de personnes ; qu’il n’est pas impossible que nous soyons, elle et moi, les seules personnes à avoir jamais vécu cela. En outre la relation n’a rien à voir, que ce soit par nature ou bien parce qu’aucune relation ne peut être semblable à une autre. C’est une loi que je n’hésiterais pas à qualifier de fondamentale et que j’ai souvent observée au cours de mes rencontres diverses.
Cependant impossible de se cacher qu’avec Evan, les choses sont… différentes. Au moins. Il est lui-même probablement différent, en sa façon de dire les choses avec poésie, sa façon de ne jamais s’exprimer directement mais plutôt par des symboles ou des actes détournés qui n’ont une signification que pour ceux pour les yeux de qui il les a faits… Cela me plait, je crois même pouvoir me dire que cela me correspond bien que pour moi, dire les choses directement (ce qui n’empêche pas l’éclat dans la façon de le dire cependant) est souvent plus simple que d’y aller par des chemins qui s’éloignent parfois un peu trop, et peuvent finir par perdre la substance du message à transmettre.
 
Mais il me plait qu’il me corresponde dans sa façon d’être.
Voici pourquoi, lorsqu’il me regarde soudain avec une expression nouvelle peinte sur le visage –tiens, il ne cherche plus à sembler impassible– je ne comprends que trop tard où il veut en venir, absorbée que je suis dans mes réflexions, comme à mon habitude il est vrai. Trop distraite Eyrim, on me l’a très souvent fait remarquer sans que j’y puisse jamais rien.
En attendant, mes pensées m’ont distraite et le dessinateur en a profité pour se jeter sur moi et nous faire tomber à la flotte. La première chose qui me vient à l’esprit, c’est qu’il est complètement fou. C’est très dangereux de faire cela quand on n’est pas certain que le bateau ne dérivera pas, et s’il m’est possible d’affirmer l’avoir immobilisé de la façon la plus sûre qui soit en mon pouvoir, je ne puis cependant répondre du courant. Et il ne me plairait pas exactement de ne pas pouvoir rejoindre le bateau ou de m’épuiser à tenter de nager à contre-courant, en sachant très bien que la côte est trop loin et que si nous n’avons plus de navire, nous nous noyons. Tout simplement.
Tout cela, je l’ai pensé dans l’intervalle de temps qu’a duré la chute. A l’instant où j’atterris dans l’eau, plus de place pour de telles considérations sécuritaires, j’ai froid. Juste ça, j’ai froid. Evan est en face de moi mais même sa présence ne parvient pas à prendre un peu de place dans mon cerveau, totalement annihilé par la sensation que le froid est devenu trop intense pour moi, qu’il faudrait que mon corps puisse se réchauffer un peu mais que le froid continue de monter, plongée que je suis dans le lac devenu milieu hostile à mes yeux, en une ridicule fraction de seconde. 
Et puis mes idées commencent à s’éclaircir un peu, la sensation de réfrigération totale que je ressentais ne s’estompe pas mais peut se pousser un peu pour laisser mon cerveau accueillir d’autres informations. Je mets un moment avant de comprendre ce qu’il s’est passé, mais quand je l’analyse enfin, le moins qu’on puisse dire est que je suis consternée : comment l’eau a-t-elle pu se réchauffer ? Et puis la consternation s’estompe, elle n’aura fait à vrai dire que me frôler l’esprit une fraction de seconde. Je crois que j’ai compris. Ou alors je n’ai pas compris, cela m’importe très peu. Je relègue donc cela dans un coin de mon esprit, d’où il rejaillira plus tard si ça lui fait plaisir, ou jamais si j’ai oublié d’ici là, ce qui ne serait pas non plus impossible. 
Pour le moment, j’ai bien autre chose à penser. Par exemple, Evan qui vient de plonger et de ressurgir derrière moi, pour nouer ses bras autour de ma taille. Affolement degré 15 sur l’échelle de Richter, qu’est-ce qu’il fabrique ? 
 
-Détends-toi, c’est juste pour te réchauffer…
 
Mais bien sûr. Je le connais depuis quelques minutes à peine, il est incroyablement séduisant, il manie la langue comme un virtuose, il a réparé le bateau sur lequel je travaillais depuis un peu trop longtemps à mon goût, et là nous sommes dans l’eau dont la température augmente doucement autour de nous, et il me prend dans ses bras pour me réchauffer. 
 
Entendons-nous bien ; je ne suis pas particulièrement timide, et les envolées verbales lyriques m’ont enivrée, et je sens que quelque chose de singulier est en train de se passer. Cependant j’ai 17 ans et là, la tournure que prennent les choses, si je n’ai jamais pensé qu’elle étaient désagréables, au contraire, m’effraient cependant un peu. Un petit peu.
Je m’oblige à souffler doucement. Peut-être que je devrais aussi cesser de me faire en permanence des nœuds au cerveau, et laisser les choses arriver les unes après les autres, en savourant simplement.
Alors mes muscles se relâchent légèrement. Je m’abandonne un peu plus, et mon cœur bat un peu trop fort quand je m’aperçois que c’est la première fois que je m’abandonne à quelqu’un, même si conserver mon intégrité spirituelle reste une de mes priorités absolues.
A-t-il perçu le changement lorsqu’il disparait de nouveau pour se placer face à moi ? Je l’ignore, je sais que je reste néanmoins pleine d’appréhensions. 
La suite est floue dans mon esprit. Le visage d’Evan, c’est à peu près tout. A un moment, je sens la coque en bois dans mon dos, et puis, puisque toute initiative semble avoir quitté mon esprit, mon cerveau prend le commandement de mon corps, et doucement mes jambes vont s’enrouler autour d’Evan. Je ne nage plus et, immobile, je n’ai plus qu’à laisser les choses suivre leurs cours. 
Il s’approche. Il s’approche, il approche son visage du mien. Ma respiration est un peu trop désordonnée, cela ne présage rien de très bon. Ou alors au contraire… mais je m’interdis de penser plus avant.
Je voudrais à la fois qu’il fût plus près et me trouver très loin d’ici. C’est comme si j’assistais à tout cela de loin, je ne saisis plus rien. 
 
- Tu m’enivres, Eyrim… Et tout est là…
 
Son front, contre le mien. Sa main, sur ma joue. Et soudain, ses lèvres, sur les miennes. 
Grand blanc dans ma tête, aussitôt suivi d’une explosion. Mon rythme cardiaque semble ne jamais vouloir se calmer. Je suis ivre, probablement. Par la Dame, que se passe-t-il ? Impossible de réfléchir clairement, cela au moins est sûr. 
Il m’embrasse, je l’embrasse, nous nous embrassons. Un résumé bien incapable de décrire réellement mes émotions à cet instant là.
Je sors de ce baiser étourdie et les repères en vrac. D’un geste maladroit je me retourne et, d’un mouvement souple, je remonte sur le navire dont la coque était jusqu’à présent dans mon dos. Je lui fais signe de me suivre. Peu à peu mon rythme cardiaque se calme, et je peux m’affairer à lever les voiles et tirer les cordes. Je ne dis rien, je ne sais pas ce qu’il se passe dans sa tête et ne cherche pas à le savoir pour une fois. Je serais bien incapable de dire ce qui se déroule dans la mienne, alors quant à imaginer pour autrui… Je ne tiens cependant pas très longtemps dans ce silence, je n’ai jamais été très douée pour cela. Alors je tente d’exprimer une idée qui ne soit pas confuse ou embrouillée, mais peine perdue. Après tout, n’était-ce pas ce qu’inconsciemment je savais que nous attendions tous deux ? Bien sûr que si. Cela n’empêche pas la confusion. 
Eyrim, ça suffit maintenant. Tu n’es plus une enfant, calme-toi tout de suite et respire doucement, tout va bien. Oui, tout va bien réalisé-je alors avec un sourire naissant, qui ne tarde pas à s’épanouir un peu plus, jusqu’à devenir vraiment franc. Telle est Eyrim, toujours changeante dans son humeur. Je laisse mon geste en suspens ; j’étais en train de border les voiles, mais en ai-je toujours envie ? Dans le doute, je tourne mon regard vers Evan. Être ivre, disions-nous ? Il me regarde également, peut-être perplexe de par mon attitude étrange. Il faudra bien qu’il s’y habitue, les faëls ne sont pas connus pour être très logiques, d’un point de vue humain au moins, et qui plus est ma logique à moi échappe à beaucoup, même parmi ceux de mon peuple. Je me mordille la lèvre inférieure, sans trop savoir quoi faire. Nulle question de gêne ici, simplement d’indécision. 
Comme il faut bien faire quelque chose, je choque de nouveau les voiles et repose les cordes, peut-être un peu pour me donner une contenance, surtout parce que je ne veux pas relancer d’un coup le bateau sans mot dire. Alors je dis mots…
 
 
-Evan.
 
Un peu pauvre. Je crois que j’avais très envie de prononcer son nom. Il va bien falloir exprimer quelque chose de plus cependant.
 
 
-Je ne veux plus que tu me sois inconnu. Je veux t’apprendre.
 
Je suis à peu près certaine qu’il aura compris ce que j’ai voulu dire par là. Presque aucun doute là-dessus, nous nous comprenons, cela au moins est sûr. Le reste n’est que sentiments. Reste à savoir si la vie suivra. De toute façon, elle n’a jamais demandé son avis à personne, non plus que la mort d’ailleurs, alors m’interroger pour savoir si je suis raisonnable m’importe très peu, je veux juste vivre et penser par moi-même, aimer et être indépendante. Si un de ces critères n’est pas rempli, je ne considérerais pas ma vie comme accomplie, or j’ai la ferme intention d’arriver à la mort après avoir vécu intensément. Je pressens qu’Evan fait partie de cet ensemble, et qu’il lui confère une partie de cette intensité que je recherche, et c’est pour cela que j’ai suspendu mon geste tout à l’heure, pour cela que j’ai hésité, je n’avais pas encore compris de quelle façon il venait d’entrer dans ma vie. Car une autre certitude qui s’est implantée dans mon être, c’est que désormais il fait partie intégrante de mon existence. La vie qui n’attend pas et ne se pose pas de question l’a amené ici, à Al-Chen, pour que nous puissions nous rencontrer, le hasard qui fait si bien les choses et nous gouverne l’a placé pour moi ici, ou alors m’a placée pour lui. Cette question-là en revanche ne sera probablement jamais tranchée. 
 
Il m’apparait cependant comme un début de réponse que j’appartiens en un sens à Evan. C’est comme une sensation inexplicable, qui m’aurait complètement rebutée deux heures plus tôt mais dont certains aspects me semblent à présent l’évidence. Ce n’est une idée ni plaisante, ni déplaisante, simplement une vérité qu’il ne m’appartient pas de contrôler ou de maitriser. Ainsi va la vie, et lutter contre certains de ces aspects peut se révéler à la fois inutile et stupide. Parfois l’inutilité est belle, mais ce n’est pour le moment pas le cas. 
J’ai soudainement envie de me lover contre lui. Il n’est pas dans ma nature de me retenir ou de me gêner, d’autant que cela me semble relativement opportun ; ne vient-il pas de m’embrasser ? Sans autre forme de procès, je m’approche donc de lui et me glisse dans ses bras sans mot ajouter. Doucement, ma tête commence à glisser et finit par tomber sur son épaule. Je voudrais que cet instant ne finisse jamais.
Et puis une autre question se profile à l’horizon de mon cerveau qui, décidément, n’en finit pas de cogiter et ne me laissera jamais en paix, une question qui pour une fois possède une réponse très concrète que j’ai besoin de connaitre assez rapidement, parce que cela, je ne dirais pas « m’inquiète » mais ne m’indiffère pas non plus… 
 
-Quel âge as-tu ?
 
Un soupçon de considération bassement terre à terre ; l’âge des personnes que j’ai pu rencontrer m’a à vrai dire toujours fort peu intéressé. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse, n’est-ce pas ? Puisque l’ivresse est tout ce qui compte. Cependant pour une fois, le préciser ne me semble pas inutile. Juste pour savoir. D’ailleurs je lui précise moi-même, avant qu’il ne réponde :
 
-Pour ma part cela fait 17 années que le monde a eu le grand bonheur ou la plus triste désillusion, à toi de choisir entre les deux, de me voir apparaitre parmi les siens.
 
Mi- anxieuse, mi- détachée, j’attends sa réponse en silence.
Je ne me suis pas détachée de lui d’un cheveu.
 

 
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