Où suis-je ? s'interrogea Ari en scrutant désespérément l'horizon obstruée par les Dentelles Vives. Cela faisait des heures, non, des jours entiers qu'il suivait la direction de ce qu'il croyait être Al-Jeit, ne faisant confiance qu'à son instinct puisque sa carte -enfin, celle du marchand auquel il l'avait dérobée- lui avait été arraché des mains par un coup de vent alors qu'il traversait le Lac Chen à bord d'une barque de pêcheur abandonné sur ses rives. Encore sous le coup des récents évènements survenus à Al-Far et toujours plus déterminé à atteindre le Grand Océan du Sud, il ne s'était alors guère inquiété. Après tout, que risquait-il sinon quelques kilomètres de marche supplémentaires ? Mais tous les chemins ne menaient pas à la capitale de l'Empire, et il en faisait à présent l'amère expérience, n'ayant aucune idée de l'endroit précis où il se trouvait et surtout, des escrocs, bêtes et autres dangers sournois qu'il pouvait y rencontrer. En tout cas, voilà bien trois jours qu'il n'avait vu personne dans les parages, et si cela ne l'aidait pas à se rassurer, il n'avait pas d'autre choix que de marcher, se contentant des rares denrées qu'il avait eu la justesse d'esprit d'emporter avec lui dans son périple improvisé.
« Je suis perdu, souffla-t-il sans s'adresser à personne en particulier. »
Sans que personne ne l'entende aussi, d'ailleurs !
Il allait encore accélérer le pas, ignorant le mal de pieds qui commençait sérieusement à le travailler, quand une voix l'apostropha. D'abord il crut à une hallucination, tant ce son était à la fois curieusement familier et incongru en de telles circonstances. Puis il dut bien admettre que le visage qui lui faisait face était indubitablement humain et, surtout, réel. C'était un homme, réalisa Ari, ce qui se remarquait plutôt facilement, d'accoord. Ce qui se rapprochait plus de l'exploit, ce fut de se concentrer sur la tirade décidée, presque brutale, que le type, plutôt costaud soit dit en passant, lui servit en guise de "Oh si peu de gens viennent se perdre dans les environs, quelle surprise de vous voir là..."
« Bonjour. Vous n'auriez pas vu une jeune fille aux longs cheveux blonds et aux yeux noirs, par hasard ? Je la cherche depuis des jours, elle a disparu »
Ari n'attendit pas la fin de sa phrase pour monter un plan dans sa petite tête embrouillée et décider du personnage à incarner. Que voulez-vous, pensa-t-il sans même regretter à l'avance sa mauvaise attitude, certaines habitudes résistent à tout, au désert, à la solitude, à la faim qui menace et aux pieds qui hurlent leur douleur... Aussitôt il se composa une mine d'homme pressé, à la fois calme et moqueur.
« Des femmes comme ça, mon gars, t'en croises à la pelle dans toutes les villes de ce foutue Empire ! assura-t-il d'un ton qui ne souffrait pas de réplique. Même si, oui, j'en avais une à mes côtés pas plus tard que la veille. Cet air qu'elle se traînait... Vaguement désespéré, qu'il était, comme si elle retenait sa tristesse. C'était poignant, y'a pas d'autres mots. Peut-être que c'est la tienne, de blonde. Ou peut-être pas ! acheva-t-il, cruel. »
Ari s'autorisa à un instant à savourer l'effet que ces mots produit sur l'homme. Il avait parlé au hasard, jugeant que si cette jeune fille était recherchée, c'était pour une raison précise, une raison qui ne devait pas être bien joyeuse. Dans tous les cas, il avançait à tâtons. Escroquer l'homme lui permettrait sans doute d'atteindre la capitale sans trop de heurts ni contraintes et s'il parvenait à mettre suffisamment de chance de son côté, peut-être obtiendrait-il de sa poche l'argent nécessaire à l'acquisition d'un bateau. Parce que si dérober une barque de pêcheur était d'une facilité insolente, voler un navire au nez et à la barbe des gardes d'Al-Jeit était d'un tout autre niveau... Non pas qu'il craignait d'en arriver là, après tout, il n'avait rien à perdre.
Sauf, peut-être, le peu de raison qu'il lui restait.
« Je m'appelle Ethan, reprit-il, chipant au passage l'identité de sa dernière rencontre marquante en date. Je suis guide dans ces contrées. Cela signifie que j'escorte ceux qui le souhaitent d'un point à l'autre. Cette donzelle a été la dernière à réclamer mes services. Elle désirait rejoindre la capitale le plus rapidement possible, et surtout, éviter les accidents, particulièrement fréquents en ce moment. »
Certes, prétendre qu'il était guide alors qu'il était lui-même perdu en ces lieux relevait de la folie pure et simple, mais Ari ne s'en souciait pas plus que de piétiner les espoirs de l'homme campé en face de lui, l'air à la fois fier et déboussolé, comme un roc sur le point de se briser en mille morceaux. D'ailleurs, l’instant d’après, il ajoutait, faussement compatissant :
« Je connais l'adresse où elle a trouvé refuge, si vous voulez... »
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