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Les grands esprits se rencontrent, dit-on... [Eyrim/Artémis]
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09.03.13 11:39
Un coup d’œil suffit parfois pour savoir que quelque chose d’énorme vient de heurter votre propre univers, et de le modifier à jamais. Un coup d’œil à quelqu’un qui vous observe de la même façon que vous le faites à son égard, et puis cet échange s’attarde, on ne détourne pas les yeux, et le coup d’œil devient regard, gagne en intensité et ne faiblit toujours pas. Vous vous noyez dedans, et vous découvrez alors que rien, jamais, ne sera assez fort pour rompre le lien qui vient de se créer en l’espace d’une ridicule poignée de secondes, qui vous a semblé duré des heures tant le temps n’a plus aucune valeur.

On s’aperçoit toujours de ce moment où votre vie change aussi radicalement de couleur, car cela ne passe pas vraiment inaperçu ; et pourtant, on pèse le pour et le contre, on se demande  s’il est bien raisonnable de se laisser entraîner dans la spirale inconnue d’une rencontre imprévue, et que l’on a cessé d’attendre depuis longtemps. On est fasciné d’abord, on s’observe l’un l’autre et une cascades de certitudes nouvelles s’implante en vous, qui vont plus tard certainement germer puis fleurir, mais pour l’heure on ne se préoccupe pas du lendemain, on ne vit que pour cette relation qui vient de naître… ou peut-être juste de se révéler. Ensuite, on est euphorique. Rempli de joie, de bonheur, et de questions pour la personne d’en face qui en a autant pour vous. On se rejoint, on  se fait moult promesses, on échange pendant plusieurs heures qui passent plus vite que quelques secondes, dont on ressort étourdi par ce fourmillement nouveau et par cette soudaine absence de tout ce qui vous reliait à la vie auparavant. Plus rien n’a d’importance. Vient le moment où l’on doit se séparer pour une nuit ou une journée, à peine, mais il peut se passer tellement de choses dans cet espace de temps si réduit ! On se retrouve en tête à tête avec soi-même, et on est surexcité et en même temps effrayé. Toutes nos certitudes viennent de s’envoler d’un seul coup en poussière, c’est difficile à faire passer. On a un peu le tournis. On songe à la personne, et on se dit : c’est parce que c’est elle, c’est parce que c’est moi. Ce moment d’égarement pendant lequel on se dit que la routine calme et tranquille à laquelle on était habitué valait peut-être mieux que cette nouvelle et pourtant bénéfique poussée soudaine vers l’avant ne dure pas très longtemps, juste suffisamment pour nous faire saisir à quel point on était seul avant. Avant devient un monde très lointain, un ailleurs qu’on n’imagine qu’avec difficulté ; on se demande si, réellement, on pouvait se satisfaire de la vie quand on ne connaissait pas cette personne qui soudain revêt une telle importance à vos yeux.

Voici ce qui s’est passé quand j’ai rencontré Artémis. Je venais de gravir la colline précédent Al-Jeit, celle d’où l’on a la plus belle vue sur l’Arche. C’était la deuxième fois que je me rendais dans cet endroit. Comment raconter un paysage avec des mots ? Ce n’était pas la première fois que je me posais cette question, la description de la nature n’a jamais été mon fort ; mais là, une dimension nouvelle venait s’y greffer : comment décrire la plus sublime et grandiose des œuvres d’art, qui ne fut même pas créée par une main humaine, et qui génère une telle émotion qu’elle arrache des larmes même aux faëls ? Cela s’apparentait pour moi à l’impossible. Quand on se trouve devant une telle prouesse, on a du mal à envisager que ce soit réel, du mal à intégrer sérieusement l’idée que cette vue appartienne à nos yeux, que ce soit bien de la matière qui est là, sous nos yeux et que l’on n’est pas dans un rêve. Après un long, très long moment où je ne fus plus que contemplation, je réussis à m’arracher de cette merveille qui me happait. J’aime bien conserver ce qui me constitue, en particulier ma liberté, et je sentais que si je restais encore un peu devant elle, l’Arche finirait par m’annihiler à force de beauté. Grâce à un effort de volonté, je réussis donc à détourner le regard, mais ce fut pour replonger aussitôt dans un autre. Je rencontrais mon âme sœur. Et la boucle fut bouclée.


[HRP: Désolée, c'est un peu court... Dis-moi si tu veux que je modifie ou ajoute quelque chose.]
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27.04.13 22:55
UNDER THE BRIDGE DOWNTOWN
IS WHERE I DREW SOME BLOOD

Artémis allongea ses jambes joliment bottées, et s'étira avec un long soupir exaspéré. Son ennui était profond, et son désintérêt évident.

Le paysage était pittoresque pourtant, mais guère familier, cependant que même l'Archipel Aline ne parvenait à l'enchanter ! Sa nature ne laissait place à aucune once d'inutile admiration. D'autant que ce pont était une plaisanterie en soi. En quel honneur ressentirait-elle quelque émerveillement à sa vue ?

Il fallait pour attirer l'attention d'Artémis réveiller ses capacités émotionnelles, et jouer avec sa sensibilité refoulée. Un lieu inconnu n'en était pas à même. Il lui manquait de l'histoire, du souvenir. Tout endroit lui semblait immatériel jusqu'à ce que quelque chose d'important s'y déroule, et éveille chez elle une certaine mélancolie, voire nostalgie lorsqu'elle y songerait à nouveau.

Cet évènement allait se produire.

Artémis compta son quatrième bâillement. Un pressentiment la retenait sur son rocher pour elle ne savait quelle raison. Elle ne pouvait être venue pour rien ; être au pied de cette arche titanesque devait signifier quelque chose pour elle, sa conviction en était inébranlable, mais basée sur du néant.

La pirate s'attarda sur les visages des quelques obstinés qui voyageaient tard à l'heure du crépuscule ou venaient admirer cette "splendeur" colorée plutôt que de profiter de leur doux foyer.

Parmi eux, elle repéra une faëlle. Ce peuple trop délicat et fier lui avait offert quelques spécimens assez ennuyants lors de ses abordages. Mais cet individu-là ne pouvait être résumé par sa race. Pas cette fois ci, pensa-t-elle, et elle parvint à se surprendre personnellement.

Leurs regards se croisèrent, se lièrent plusieurs secondes. Puis le joli spécimen détourna les yeux. Artémis fronça les sourcils, frappée d'incompréhension. Ce qu'elle avait pris au tout premier abord - excusez l'habitude - pour un échange de regard noir et de défiance se révélait être une expérience étrange et presque voluptueuse. Il ne s'agissait pas de coup de foudre, pourtant l'atmosphère lui sembla soudain électrique. Elle se sentait grisée et mal à l'aise. Heureuse et apeurée.
Elle regretta soudain de ne pas être partie plus tôt, d'être venue même. Le hasard venait de fixer son Destin ; le hasard d'une rencontre venait de claquer toutes les autres portes avec violence pour ne la laisser entrevoir qu'un seul chemin. Elle sut qu'en demeurant ici elle avait fait le choix de non-retour, et il était effrayant de savoir qu'elle venait de jouer un des tournants les plus importants de sa vie sans en avoir pris conscience.

La peur ne valait la curiosité toutefois.
Devait-elle regretter ? Elle ne le croyait pas.

« Je vous salue jeune faëlle au regard plus inquisiteur que celui d'un garde Frontalier. Je vous proposerais bien de venir vous asseoir avec moi boire un verre, mais j'ai oublié la bouteille et ma décence. »

Il se mêlait à sa voix une étrange combinaison d'ironie, d'impatience et de sérieux. Son anxiété intérieure ne s'exprimait d'aucune manière malgré tout. Ah ! Combien elle angoissait à ce moment précis. Et si les émotions qu'elle éprouvait étaient déçues ? Si finalement son interlocutrice ne se révélait d'aucune espèce d'importance dans sa vie ?

D'ailleurs, rien ne prouvait le contraire. Tout à coup elle parlait à une étrangère et... Non ce n'était pas le fait qu'elle parle à une étrangère qui soit étonnant, mais plutôt toute l'espérance qu'elle plaçait dans cette rencontre.
Et les gestes de la jeune fille ? pouvait-on se demander. Sa façon de faire, de se mouvoir ? Pourquoi tous ces détails insignifiants et négligeables la portaient-ils à croire qu'elle serait différente des autres à ses yeux ?

Tout ceci se déroule dans ta tête, Artémis, tu cherches un repère, un point d'accroche, et l'imagine en la première personne que tu rencontres. Tu sombres dans la désespérance. Commencer à délirer ne saura que t'enfoncer un peu plus dans ce gouffre profond dans lequel tu es prisonnière.

Mais déterminée qu'elle l'était, elle poursuivit la conversation, ignorant cette petite voix désagréable qui tente tant bien que mal de nous résonner en société. Cette petite voix qui nous bride, en appelle à la raison, alors que le cœur se débat de toutes ses forces pour nous certifier qu'il a un moyen d'être heureux, et qu'il s'appelle Eyrim - bien qu'à ce point de l'histoire il ne pouvait encore la nommer.

Artémis inspira doucement, l'expression posée reflétant mal son excitation intérieure. Ses yeux sombres tombèrent sur ce qui était le plus voyant alentours ; le pont. Ils étaient gris, il était arc-en-ciel. Le contraste poignant laissait présager du rejet mutuel qui suivit :

« Ce pont est laid, n'est-ce pas ? Il nous écrase, et dissimule à peine son message. M'est avis que si les dessinateurs se sont permis un tel ouvrage, c'est qu'ils souhaitaient prouver leur puissance. Pourquoi l'admirer, je vous le demande ! Lui ne me répondra pas. Il ne sait rien faire. D'ailleurs qu'a-t-il fait pour mériter tant d'éloges, si ce n'est le mérite de faire plaisir aux yeux ? »
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30.05.13 20:07
Sans surprise, elle vint m’adresser la parole :

-Je vous salue jeune faëlle au regard plus inquisiteur que celui d'un garde Frontalier. Je vous proposerais bien de venir vous asseoir avec moi boire un verre, mais j'ai oublié la bouteille et ma décence.

-Bouteille n’est que rarement ma compagnie, mais il me semble qu’avec vous ce serait un plaisir, dès que l’occasion s’en présentera ; quant à Décence, oubliez-la je vous prie, je n’en ai jamais eu besoin et s’il m’arrive d’en faire preuve ce n’est point par volonté mais par personnalité.

Lorsque l’on prend du recul sur la situation, on peut se dire qu’il est étonnant qu’elle n’ait parlé qu’à moi, et justement à moi, parmi la diversité bigarrée qui se pressait comme toujours autour du spectacle enchanteur de l’Arche ; mais cela me parut dans l’ordre logique des choses, les univers avaient forcément toujours convergé vers cet instant de premier contact entre elle et moi.

Cette sensation de prédestination cependant ne s’exprimait pas encore clairement dans mon esprit, et prenait plutôt la forme d’une sensation diffuse que celle d’un réel savoir dicible et explicable ou démontrable ; ce n’est que bien plus tard, quand je pus enfin aborder ce souvenir sans me laisser emporter par une vague d’émerveillement et d’émotions violentes, que les mots furent possibles à poser.


-Ce pont est laid, n'est-ce pas ? Il nous écrase, et dissimule à peine son message. M'est avis que si les dessinateurs se sont permis un tel ouvrage, c'est qu'ils souhaitaient prouver leur puissance. Pourquoi l'admirer, je vous le demande ! Lui ne me répondra pas. Il ne sait rien faire. D'ailleurs qu'a-t-il fait pour mériter tant d'éloges, si ce n'est le mérite de faire plaisir aux yeux ?

Une originale, constatai-je avec émerveillement.

-Laid je ne sais pas, la beauté n’a jamais selon moi été subjective et si j’en crois ma propre objectivité –qui cependant peut n’être pas partagée par tout le monde, je vous l’accorde– la beauté pure et un peu trop majestueuse est présente ici. En revanche, il est très dangereux et tout à fait susceptible de prendre des âmes ; diabolique en quelque sorte. S’il y a une chose dont je suis sûre, c’est qu’il n’aura pas la mienne et que mon indépendance sera toujours très assise. Mais j’ai bien peur que tout le monde ne puisse en dire autant. Cependant les personnes se la laissant voler méritaient-ils alors d’en posséder une, si un objet dépourvu de conscience est capable de la prendre aussi facilement ? Ou alors cela signifierait-il au contraire que cette sublime œuvre d’art est encore plus détestablement puissante qu’elle n’y parait, auquel cas je ne pourrais qu’être d’accord avec vous quant à la malveillance pernicieuse de ses créateurs.
J’aime malgré tout la beauté, je suis incapable de détester l’Arche.

Je ne savais pas si les mots que je disais avaient une réelle importance ; à vrai dire je crois que oui, ils avaient pour but de montrer à mon interlocutrice que je pouvais avoir un esprit et des réflexions légèrement fuligineux.

Je la détaillai avec curiosité du regard, me demandant qui elle pouvait bien être et pourquoi elle me donnait une telle sensation de correspondance.
Et puis je me souvins que je ne pouvais pas même la nommer.


-Je m’appelle Eyrim, l'informai-je simplement.

Il ne me sembla pas utile d’ajouter autre chose, je ne désirais rien lui demander, et ne prendre que ce qu’il lui plairait de me donner.

Pas une seule fois je n’avais envisagé que j’eus pu me faire des idées et qu’elle aurait pu n’être pas à la hauteur de mes espérances.

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01.06.13 20:08
LIVE FAST, DIE YOUNG
BAD GIRLS DO IT WELL


« C'est bien dommage de se priver de la compagnie d'une bouteille, lorsqu'on sait qu'elle a ce grand mérite de nous faire oublier l'Indécence des autres ! Cependant qu'elle ne ... puisse pas grand-chose pour celle qui est nôtre. »

Artémis était comme paralysée, vissée sur son rocher tant ses muscles se contractaient d'appréhension. Cette rencontre ne pouvait avoir lieu dans un monde réel quel qu'il soit, et, quand elle y pensait, une alcoolémie trop élevée parvenait sans mal à justifier un rêve éveillé.
C'était donc ça, elle n'était en mesure de penser clairement, et inventait pour cette raison des émotions qui n'étaient pas les siennes. Ce ne serait ni la première fois, ni la deuxième. Et surtout, ce serait plus raisonnable que ce qui semblait lui arriver présentement.

Une personne extérieure aurait constaté sans mal à quel point les deux jeunes femmes s'opposaient. A vrai dire, c'est ce qui perturbait inconsciemment notre cher Artémis. Leurs essences s'accordaient plus qu'elles ne se confondaient, et il en émanait une chaleur glaciale, une énergie tranquille, une paix infernale.

Si Eyrim semblait se couler dans la conversation sans anxiété aucune, la pirate elle avait oublié comment respirer. (Drôle de sensation pour un rêve supposé agréable). Loin de la faire taire, cette inquiétude inextricable qui s'appuyait sur ses doutes, sa méfiance, ses expériences la poussait vers une réflexion plus poussée et des phrases plus mordantes. Elle insisterait, quoi qu'il arrive, et ne comptait pas quitter l'endroit sans la faëlle.

Elle fit peut-être l'erreur de sourire ironiquement alors qu'elle écoutait celle-ci développer son opinion. Il se put qu'elle l'ait vexé mais s'en tamponnait bien les oreilles avec une babouche ! Qu'elle le prenne mal si elle désirait se torturer pour des futilités, elle n'en avait que faire.
Après tout, elle avait simplement souri, non ? Oui elle avait simplement souri. Parce que c'était Artémis. Et ses raisons, si elles n'étaient pas motivées par la moquerie, restaient mystérieuses.

« La beauté ne serait pas subjective. Si vous aimez ce pont, c'est donc par... mouvement de foule ? »

Habituellement cette conclusion l'aurait déçue mais pour une fois elle n'y prêta guère attention. Elle préféra se relever - ses jambes répondaient, oh apothéose ! - et s'étirer, le tout avec une sorte de flegme injurieuse. Elle préférait débattre avec une personne d'avis contraire au sien, mais ce n'était pas une raison suffisante pour démontrer ouvertement un quelconque enthousiasme à cette perspective.

Il n'y avait pas, selon elle, matière à discuter avec quelqu'un qui entretenait des pensées identiques aux siennes.
Parfois cela se révélait utile ! Notamment avec ses compagnons de marine, avec lesquels il était courant et recommandé d'agir sans communiquer. On appelait cela l'unité dans le milieu, mais évidemment cette tendance supprimait grandement la diversité et l'évolution.
S'arrachant à des idées de meurtres et pillages, la pirate reprit alors :

« On confond la beauté que l'on nous impose de celle qui nous est personnelle. Celle des autres n'a rien d'intéressant, alors que la nôtre n'a rien de menaçant, elle. Pourtant on choisit toujours la première. La beauté en devient laide de ce point de vue. »

La conversation devenait relativement profonde, et en révélait un peu trop à son goût. Lorsqu'on parcourait les méandres de l'esprit Artémisien, on se retrouvait capable de lui porter atteinte et d'y semer le trouble.
De la même façon, on peut, une fois les clefs de la maison d'un proche dans la poche, y retourner tout sens dessus-dessous. Et ce en ayant pour seul prétexte que cet ami proche nous en avait donné la possibilité.
Or Artémis ne voulait, en aucun cas, confier ses clefs à quiconque.

Cherchant distraction, elle finit par trouver une idée, qui réduirait la conversation tout en lui assurant, de plus, et avec une probabilité presque certaine, la présence d'Eyrim.
Elle fit par ailleurs mine de ne pas l'avoir entendue lorsqu'elle annonça son identité, et se garda de lui offrir la sienne. Elle répliqua plutôt :

« J'en ai marre de parler. Mon cheval m'attend, et se fera un plaisir de porter une personne supplémentaire jusqu'aux bois voisins. »

Sur ce elle tourna les talons. Elle ne précisa certes pas sa question implicitement posée. Se joindrait-elle à elle ?
Eyrim la suivrait de toute façon, il ne pouvait en être autrement, hein ? Elles avaient une vie à partager, aussi courte fut-elle.
Ou du moins lui restait-elles un rêve à partager.
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01.07.13 21:03
-Je vous promets donc de combler cette lacune dès que nous en aurons l’occasion, fit Eyrim avec un petit sourire dont elle ne savait pas réellement s’il était ironique ou sincère.

Si elle ne le savait elle-même, qui le saurait pour elle ?

Lorsqu’un sourire à peu près voisin s’étira sur les lèvres de cette nouvelle rencontre, Eyrim se demanda ce qu’il fallait en penser. Il lui avait semblé dans un ordre extrêmement logique que cette discussion se déroule ici et maintenant, près de l’Arche, objet d’un premier débat, au milieu de multiples autres personnes tout à fait lambdas qui ne semblaient être présentes qu’afin de souligner leurs originalités à elles deux ; parler lui avait paru limpide. Elle réalisa qu’elle ne savait rien de la pirate, à part peut-être une personnalité qu’on devinait résolument insolite. Son assurance vacilla un peu, redevint à peu près stable à la phrase qui suivit :

-La beauté ne serait pas subjective. Si vous aimez ce pont, c'est donc par... mouvement de foule ?

Elle était simplement iconoclaste, voilà tout. Elle aimait à se délecter de ces opinions qui n’avaient strictement rien en commun avec le convenu adopté par la vulgaire majorité, même quand cette dernière pensait être originale. Eyrim quant à elle avait comme désir premier de ne pas être influençable dans ses affirmations, et si elle s’enrichissait volontiers des visions d’autrui pour nuancer la sienne, elle avait toujours mis un point d’honneur à demeurer dans la voie qu’elle pensait être sienne. Le risque était trop grand de ne plus dire ce que l’on pensait que dans le but que ce soit l’inverse de ce que dit la personne en face ; l’on en devient presque aussi stupide que ces moutons qui vont par milliers sans jamais vraiment réfléchir ni remettre en question les acquis légués par leurs ancêtres. Elle rétorqua donc :

-Si vous le détestez, serait-ce par esprit de contradiction ? L’un comme l’autre dénoteraient un manque de réflexion certain…

Puis elle reprit :

-Mon objectivité me souffle que ce pont est beau. Peut-on aller à l’encontre de la vérité ? Parfois cela peut-être intelligent, de lutter comme cela même en en connaissant cet aspect si désespérément vain ; en l’occurrence, je ne crois pas l’aimer pour les mêmes raisons que le commun de mortels, cela ne signifie cependant pas que je doive le dénigrer pour affirmer ma différence. Je la connais moi-même, le reste m’importe peu.

- On confond la beauté que l'on nous impose de celle qui nous est personnelle. Celle des autres n'a rien d'intéressant, alors que la nôtre n'a rien de menaçant, elle. Pourtant on choisit toujours la première. La beauté en devient laide de ce point de vue.

-Cela s’appelle l’influence du milieu. J’essaie pour ma part de m’en éloigner le plus possible afin de ne me fonder que sur ma propre sensibilité, et non une quelconque culture que m’auraient léguée des parents ou des racines. Pour cette raison je trouve dangereux de trop me fier à mon propre esprit de contradiction, qui pourrait bien me faire oublier mes convictions personnelles si je n’y prenais pas garde.

Eyrim commençait à la cerner, ce qui n’avait apparemment pas l’heur de plaire à son interlocutrice ; en témoignèrent la façon qu’elle eut de s’étirer comme si tout cela l’ennuyait profondément, et la contenance que la faëlle devina qu’elle tentait de se donner par là.

Elle ne daigna d’ailleurs pas lui offrir un moyen de la nommer, et enchaina rapidement avec une phrase qui coupa court à toute discussion :

-J'en ai marre de parler. Mon cheval m'attend, et se fera un plaisir de porter une personne supplémentaire jusqu'aux bois voisins.

Eyrim eut envie de pleurer.

Son cerveau esquissa un prémices d’ordre à envoyer à ses muscles, leur demandant de se lever sans plus attendre et de suivre la pirate. Cela lui aurait semblé si naturel, dans l’ordre des choses en quelque sorte. Mais elle musela ce réflexe soudain. Elle ne se lèverait pas avant d’avoir analysé un peu plus avant la situation, et d’avoir une idée plus ou moins précise de ce vers quoi elle se dirigeait. Or elle pressentait qu’au terme de cette réflexion, la conclusion ne serait peut-être pas celle qu’avait apparemment escomptée celle qui lui avait plus ou moins ordonné de la suivre. Et Eyrim détestait qu’on lui donne des ordres.

Mais il n’y avait pas que cela. Il était déjà chose entendue pour toutes deux que leur rencontre avait été un choc des plus violents dans leurs certitudes à chacune, et que cette rencontre était une suite logique et indispensable dans l’histoire des univers. Malgré tout, quelque chose retenait Eyrim, l’empêchait d’aller rejoindre celle qu’elle aurait pourtant sans hésiter qualifiée d’âme sœur. Quelque chose qui tenait en un seul mot.

Indépendance.

Elle se savait capable d’un attachement désespéré, et l’était déjà à cette jeune pirate. Peut-on aller à l’encontre de la vérité ? La question prenait désormais tout son sens. Si elle se levait, elle signait la fin de sa liberté. Car d’après le petit aperçu qu’elle venait d’avoir de son caractère, attachement n’avait pas le même sens pour toutes les deux. Elle avait déjà ostensiblement rechigné à lui offrir son prénom, est-ce des choses qui se font avec une amie ? Eyrim quant à elle ne serait peut-être pas capable de lui refuser quoi que ce soit, de faire preuve de détachement ou de recul, et ne serait probablement plus jamais en paix à partir du moment où elle aurait par un pacte silencieux et connue d’elles seules –car l’autre ne l’ignorerait certainement pas longtemps– voué son être à cette amitié. Et son indépendance lui était précieuse plus qu’autre chose.

Mieux valait peut-être être mourir d’être loin d’elle que vivre par procuration. Car si elle acceptait de se lever, elle acceptait aussi la domination implicite de l’une sur l’autre que cela engendrerait à coup sûr.

La vérité était là, toute simple : elle venait de rencontrer celle qu’elle attendait depuis sa naissance, et se sentait prête à tout lui accorder, mais l’inverse n’était pas vrai.

Cette vérité-là, la véracité de ce lien fulgurant qui s’était créé entre ces deux-là, fallait-il lutter contre cela ? Il sembla à Eyrim que c’était inutile, et que jamais il ne s’effacerait (il était bien trop violent pour cela) mais que cependant aller contre sa nature pour son indépendance était le bon choix.
Elle se mordit la lèvre presque à en saigner mais ne se leva pas. Il ne le fallait pas, dans leur intérêt à toutes deux.

Elle demeura assise et entièrement elle-même.

Sa vision cependant s’était brouillée, peut-être était-ce dû aux larmes douloureuses qui lui montaient doucement aux yeux en lui perforant l’intérieur du crâne ? Elle la voyait s’éloigner. Elle allait bien finir par se rendre compte qu’Eyrim ne la suivait pas, elle allait bien finir par faire demi-tour. Si elle revenait en arrière tout changerait. Peut-être pourraient-elles établir un vrai dialogue. Peut-être connaitrait-elle enfin son nom. Peut-être une relation rationnelle se construirait-elle, peut-être Eyrim parviendrait-elle à rester sensée. Trop d’espoirs à avoir, trop peu de certitudes, elles sont toutes parties en fumée dans le premier regard. Il ne reste plus rien qu’une âme en vrac qui espère ne pas payer trop cher son intégrité personnelle. A ce stade-là, ce n’est plus de l’égoïsme, c’est de l’élévation suffisamment profonde pour voir par-delà les sentiments premiers, fussent-ils incroyablement forts. C’était la première fois qu’Eyrim y parvenait ; cependant l’enjeu ici était de taille, puisqu’il s’agissait d’elle, de son univers en entier et de ses principes les plus fondamentaux, sur lesquels elle avait fondé sa vie.

Confiance, réciprocité, un jour peut-être elles parviendraient à construire tout cela, avec comme matière première les rêves et les projets qu’elles auraient à vivre ensemble.

Eyrim refusait d’envisager l’autre possibilité, effrayante, du vide béant. Cette perspective finit pourtant par s’imposer à elle ; ce gouffre sans fond, ce trou noir duquel ne ressortait que la détresse absolue et la solitude la plus complète, cette peur d’affronter seule l’existence, elle ne voulait pas de cela, elle ne le voulait pas, elle ne le voulait surtout pas, c’était peut-être ce qu’elle redoutait le plus au monde depuis quelques instants à peine. Et cependant ces quelques instants avaient suffit à faire basculer une vie, ce qui est énorme et ridicule à la fois. Eyrim avait peur, Eyrim attendait le retour de celle dont elle ne connaissait pas même le nom. Eyrim avait cependant choisi de ne pas disparaitre.

Et elle aurait recommencé le même choix s’il l’avait fallu.

Car lui restait encore l’espoir, le sale espoir auquel elle se raccrochait que rien n’était fini bien sûr, qu’au contraire c’était un commencement merveilleux d’une amitié longue comme bien plus que la vie. Que si elle ne se levait pas c’était simplement pour signifier sa personnalité inexorablement indépendante, mais que l’enjeu n’allait pas plus loin. Que celle qu’elle ne pouvait pas même nommer allait se retourner.

Elle aurait aimé pouvoir se dire qu’il ne pouvait en être autrement, malheureusement elle n’avait jamais eu le bonheur de croire en une prédestination des événements reposante et fatale. Il était notoire que les univers avaient attendu leur rencontre pour se mettre à respirer, cependant c’était le hasard seul qui les avait guidé l’une vers l’autre, comme il aurait tout aussi bien pu ne jamais les faire se croiser. Ainsi, l’ordre naturel aurait voulu qu’elles ne se séparent point, mais rien ne garantissait que l’ordre naturel fût suivi.

Le doute et l’incertitude se glissèrent sous la peau d’Eyrim et elle ne pouvait les chasser, sachant qu’il n’était pas absurde qu’ils se trouvassent là. Alors ne demeura plus que l’espoir désespéré.
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19.07.13 19:09
SOMETIMES IT'S SO CRAZY
THAT NOTHING CAN SAVE ME

Lacune. Ce traître mot lui chatouilla les oreilles, à la manière d'une plume d'aigle sur la plante du pied ; la plume dérange, provoque un rejet instinctif de par sa nature de "corps étranger dont le contact seul est une gêne suprêmement insoutenable".
Tout autre qu'Eyrim aurait pris un coup de pied retourné dans la figure. Mais voyez-vous, c'était bien Eyrim qui se tenait là et personne d'autre. Elle pouvait ravaler son goût du combat, qui allait de pair avec le plaisir de la violence et le bonheur de l'impétuosité.
Le temps d'une rencontre merveilleuse pour le moins.

Ainsi la jeune femme s'arma d'une patience qu'elle ne possédait pas, et murmura simplement, sans la moindre trace d'agacement décelable dans sa voix blanche :

« Je n'ai pas prétendu que l'indécence était chez moi une lacune à combler. »

Le chuchotement fut instantanément à semi emporté par la brise, puis s'évapora dans l'atmosphère dans un second temps. Ne demeura derrière lui que le soupçon d'un doute sur son existence possible mais passée à coup sûr. On eût pu douter de sa véracité comme de celle d'un passage d'une étoile filante fugace que l'on croit capter du coin de l’œil, à la lisière de notre champ de vision.  

Or la discussion poursuivait déjà son cours, comme précipitée par les réjouissances de cet évènement incroyable, et le besoin de se reconnaître - puisqu'il n'est nul besoin pour deux essences semblables et complémentaires d'apprendre à se connaître. Artémis sentit un vide, dont elle n'avait jamais pris conscience, s'emplir en elle. C'était comme avoir cherché des heures durant la pièce manquante d'un puzzle qui jamais plus ne pourra être complet, et enfin la trouver sous une armoire ou au fond d'une poche, déposée là par notre bonne étoile : on s'en saisit avec euphorie, puis la place avec extase.
L’œuvre semble entière, vraiment elle-même, alors qu'elle avait presque tout ce qu'il lui était essentiel jusque là ; il lui manquait simplement la pièce la plus importante de l'image, celle qui faisait à elle seule toute la différence.

Par esprit de contradiction.
Artémis manqua de s'étouffer. L'humour était-il un trait de caractère aussi marqué chez les faëls ? Ou pensait-elle réellement ses propos ?

La méprise était, quant à elle, évidente. Et justifiable. Le choc avait été assez révélateur d'un avenir prometteur, et aussi dynamique que puissant, à sa façon. Mais nous étions alors encore dans le présent, dans l'instant fatidique où il fallait jeter les bases du futur avant d'en espérer quoi que ce fut. Malgré tout la pirate trouvait étrange qu'elle reçût une critique par deux fois à ce moment clef de leur amitié, si ce mot convenait.

« L'un n'est pas aussi stupide que l'autre. Est imbécile seulement celui qui s'appuie sur ses propres ressentis alors qu'il interprète mal (elle appuya ses mots avec véhémence). Les autres sont ceux qui créent l'objectivité, cette notion aussi inatteignable que la perfection. »

Son regard sombre brilla un court instant. Puis l'étincelle, fulgurant éclair à peine discernable, se dissipa. Le bâillement non retenu qui suivit l'apparition acheva d'octroyer à cette flamme le statut de mirage ou d'hallucination.

Il y avait un aspect dérangeant chez Artémis. Elle effaçait les traces. Dans sa voix, sur son visage, lors de ses "missions". Elle vivait comme une ombre, il fallait s'en saisir pour espérer la faire sienne. Autrement n'appartenait-elle à personne, encore moins à elle-même.

Elle dériva instantanément le sujet pour mettre à l’œuvre ce côté fuyant, l'invitant à prolonger le débat une autre fois, à un autre endroit.

Puis elle s'éloigna, sans un coup d'oeil en arrière, sans un geste plus chaleureux.

Mais elle retint son souffle. Compta ses pas. Chacun devenant de plus en plus pesant.

Son coeur martela sa poitrine, manqua plusieurs battements.

Elle comprit qu'Eyrim n'était pas derrière elle, à moins qu'elle n'ait le secret de n'émettre aucun bruit, chose qu'elle lui envierait volontiers. Ou bien encore qu'elle volât par quelque magie inconnue. Arrivée à son cheval, elle se permit un regard, qui ne lui apporta qu'une constatation : la plaine était aussi vide que son cœur. Elle était seule et l'avait toujours été.

Elle hocha la tête pour se redonner contenance, détourna des yeux emplis de tristesse et pourtant secs, et murmura un faible "Au revoir, Eyrim. Artémis te salue."
Elle enfourcha son étalon, et le fit partir au galop vers Al-Jeit.

Artémis fonça vers l'obscurité la plus noire à bride abattue, alors que le soleil se couchait tout à fait derrière elle. Qu'importe si elle laissait la lumière l'abandonner. Eyrim ne l'avait pas suivie, elle n'avait que faire de la clarté. Elle s'était toujours sue destinée à arpenter les ténèbres. Un jour fièrement, elle se vanterai de n'avoir pas failli, d'avoir laissé Eyrim au loin, d'avoir laissé le jour se coucher dans son dos, si loin d'elle, pour mieux se fondre dans la pénombre qui la constituait.

Rayon lumineux ne peut cohabiter avec Noirceur.

***

« T'as décidé d'camper là ? »

La nuit couplée au vent avait dissimulé son arrivée, l'une avait masqué sa présence, l'autre avait étouffé ses bruits. Et c'était tout à son avantage, elle qui désirait un effet de surprise plutôt bien réussi.
Furtivement, elle s'était glissée jusqu'à un rocher, à une vingtaine de mètres de celui qu'elle avait quitté plus en amont de la soirée.

Eyrim se retourna, et la pirate lui servit un sourire sincère, quoique motivé par l'alcool qui coulait dans ses veines. Sa main gauche retenait tout juste une bouteille presque pleine. Mais à en juger de ses yeux qui papillonnaient légèrement et du timbre de sa voix un peu changé, elle n'avait pas bu que ce qu'il manquait à la bouteille ! Ou, autre possibilité très peu probable et à ne pas même envisager au risque de la vexer, elle n'était pas du tout résistante à l'alcool.

« Haha .. J'pas retrouvé ma décence - si elle a jamais existé. Par contre la bouteille oui ! »

Avant de revenir ici, elle avait donc noyé son orgueil dans l'alcool.
Mais l'important n'était-il pas qu'elle avait renoncé à la voie nocturne ?

« Pour les bois on peut annuler ça. Si tu voulais pas d'une promenade suffisait de le dire. Mais j'te préviens, si j'ai trop froid, hein, j'reste pas ici. On peut s'taper la discute en attendant. »
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22.07.13 17:23
The shining star in a dark sky, the light among the black ravens...

« Je n'ai pas prétendu que l'indécence était chez moi une lacune à combler. »

Elle avait murmuré, comme s’il lui coûtait beaucoup de contenir une vive émotion, qu’Eyrim devina être de l’agacement. Il y avait méprise. La faëlle se mordit la lèvre, elle avait bien peur que la communication ne fût mal passée, et se demandait ce qu’avait pu comprendre la pirate.

« Aussi n’ai-je jamais prétendu qu’elle en était une ; j’évoquais ici ma propre lacune, celle de n’avoir pas souvent eu bouteille comme compagnie dans les moments où, il est vrai, elle peut être d’un grand réconfort, ou ceux durant lesquels elle aide simplement les langues à se délier ou évite au cerveau des écueils trop douloureux. J’espère que vous n’avez pas pris cela pour vous… »

Lorsque fut mentionné le possible esprit de contradiction, elle eut clairement la sensation que son interlocutrice allait s’étouffer. Elle ferma les yeux un quart de seconde, se demanda à nouveau de quelle façon ses propos avaient pu être interprétés. Elle avait voulu faire preuve de légèreté, jouer avec les mots et la faire sourire, n’avait réussi qu’à induire une incompréhension de plus. S’il avait été possible de se baffer mentalement, nul doute que la claque la plus magistrale de tous les temps eût été assenée d’Eyrim à Eyrim. Pourquoi, mais pourquoi fallait-il donc qu’elle gâche toujours tout par des paroles malheureuses, sans même songer à ce qu’elle disait ?

Elle ne répondit rien. Il n’y avait rien à répondre, lui sembla-t-il. La conversation dériva, tout simplement, avec cette trace d’amertume en arrière-plan.

L’étincelle qu’il sembla à Eyrim avoir aperçu au fin fond de ces prunelles sombres disparut aussi vite qu’elle avait été, fulgurance d’un éclair de lumière au milieu des ténèbres sombres d’un regard d’encre dans lequel est inscrit l’origine du monde. Ce regard ne semblait pas de charbon ni de cendres, mais de braises, de braises noires, dont on aurait su dire si elles étaient désespérées ou déterminées. Eyrim vit les flammes obscures du fond des yeux de sa sœur d’âme, elle les ressentit comme si elles la consumaient, sentit que le brasier de noirceur s’allumait au fond d’elle. Se propageait. Il lui offrait une vision nouvelle de l’existence, et elle sut qu’elle ne respirerait jamais plus de la même façon, parce que quelque chose d’irréversible venait de se ficher en elle, ou bien de s’arracher à elle, elle ne le saurait probablement jamais. Une flamme noire dansait à présent en elle, qui avait été allumée par l’étincelle fugace dans les yeux d’Artémis.

Quand cette dernière s’éloigna, pas après pas, sans se retourner, sans jeter un regard, Eyrim sut qu’était arrivée la fin.

Un instant elle se demanda si elle était née pour souffrir. Le noir n’était plus uniquement cette flamme au fond d’elle, il était devenu le monde, un univers en noir et rouge, loin de la lumière du soleil qui s’éloignait petit à petit, sans un regard en arrière. La faëlle vit s’éloigner la pirate, elle la vit partir, et nul mot n’est à ajouter ici. Indicible prenait tout son sens à présent.  L’abysse, qui avait longtemps tourmenté Eyrim avant l’arrivée d’Artémis, s’ouvrait devant elle, fascinante d’obscurité, hypnotisant presque celle pour qui à présent le noir résumait tout. Elle se sentit morte, froide, cadavérique, glacée. Le froid vint la prendre, la serrer dans ses bras pour la réconforter. Elle demeura ainsi assise, les yeux clos, sentant le vent lui murmurer à l’oreille des paroles qu’elle ne comprenait pas, sentant qu’elle était seule, sentant le paysage tourner de plus en vite autour d’elle tandis que le précipice à ses côtés se faisait plus attrayant, plus pressant, plus rassurant, plus profond. Le fond se discernait de moins en moins, Eyrim voulut y chuter. Au moment où elle se sentait sombrer irréversiblement, la nuit était tombée. Pour elle, cela ne faisait aucune différence, la nuit s’était définitivement installée sur sa vie.

« T'as décidé d'camper là ? »

Eyrim se retourna vivement. Les sens encore amortis, elle ne l’avait ni vue ni entendue arriver. Etait-ce le jour qui se levait ? Non, c’était le gouffre qui s’éloignait.

Elle était là, l’observait, lui souriait. Elle avait l’air d’avoir un peu bu, certes, mais Eyrim s’en fichait bien. Bourrée ou pas, la revoir lui sembla une émotion plus intense encore que la peine qui l’avait étreinte quand elle était partie. Une bouteille à la main, à la nuit tombée, elle revenait tirer Eyrim des ténèbres. L’empêcher, peut-être, de franchir d’un pas la limite entre la terre ferme et le vide du précipice.

« J’ai un peu froid aussi. Tu me prêterais ta bouteille ? »

Une longue gorgée plus tard, la faëlle se sentit réchauffée, et surtout elle perçut un changement dans le roulis autour d’elle : ce n’était plus le fait de la douleur mais de l’alcool. Cela lui parut terriblement intéressant.

Il lui restait quelque chose de très important à faire cependant, devant que d’aller plus avant avec la bouteille. Elle planta ses yeux dans ceux d’Artémis, et murmura six petites lettres autour desquelles s’enroula le vent, dans lesquelles elle mit toute l’ardeur de la flamme sombre qui régnait au fond de son corps.

« Pardon. »

Entre elles deux n’était plus que le souffle grisant du vent, la nuit profondément obscure et la clarté dansante d’une lune changeante.

Rien d’autre que cela.

« Si ce pont te déplaît on peut aller ailleurs, tu sais, ce n’est pas le problème, lâcha Eyrim comme sur un ton d’excuse. Ici ou un autre lieu, je m’en fiche bien. »

Elle voulut ajouter que tant qu’elle était là, le précipice se tenait loin, et qu’elle venait probablement de la sauver de l’engloutissement de la nuit. Elle ne dit rien, se contenta de se détourner un peu et de boire une nouvelle gorgée. Elle tendit ensuite la bouteille à la pirate, comme si cette dernière n’avait pas déjà assez bu. Subitement, elle se fichait d’à peu près tout ce qui n’était pas Artémis et elle.

« En fait, ajouta-t-elle lentement, en fait je crois que tu as raison. Allons ailleurs. »

Elle ne voulait pas rester dans cet endroit où elle avait eu si mal, où il lui avait semblé perdre une amie. Elle regarda cette dernière d’un air interrogateur, guettant une approbation ou un refus –quoi que cette dernière hypothèse eût été étonnante, étant donné la façon dont elle était partie quelques heures auparavant, et l’allusion qu’elle venait de faire à la température. La faëlle se moquait bien de cette dernière donnée, cependant.

« Allons ailleurs, répéta-t-elle. Ailleurs est parfois plus beau. Ailleurs est souvent plus ensoleillé, soumis aux hospices de vents plus favorables, peuplé de gens plus intéressants... Allons ailleurs, ailleurs nous montrera que la vie peut-être différente d'ici et cependant plus belle, et que nous ne devons pas nous confiner à un seul lieu pour notre vie entière. Ailleurs est très souvent porteur d'espoir... »

Notre ailleurs le serait-il, telle était la question.

« Je te suivrai désormais quoiqu'il en soit. »

Était-ce une promesse, une constatation, une affirmation ? Peut-être un peu des trois, probablement également une détermination profonde comme l'amitié qui le liait -et profonde, elle l'était, Eyrim aurait à partir de cette instant été prête à mourir le sourire aux lèvres pour Artémis.
Sans exagération.

En attendant, elle sentait la flamme noire la pousser en avant, elle prit Artemis par la main et tourna le dos à l'Arche, marchant avec détermination vers une direction vague qu'elle supposa être celle du cheval de la pirate.

Vers un Ailleurs qu'elle espéra clément, changement marchant parfois de paire avec bonheur.

« Manque plus que retrouver décence et la famille est au complet, » marmonna-t-elle d'un ton désabusé, avant d'avaler une nouvelle gorgée d'alcool. Bouteille et amitié au moins étaient au rendez-vous, le reste n'était que superflu !
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29.10.13 20:55
I'M WAKING UP TO ASH AND DUST
I WIPE MY BROW AND I SWEAT MY RUSH
I'M BREATHING IN THE CHEMICALS

Son sourire illuminait son visage, et bien que ce bonheur soit grandement motivé par le litre d’alcool déjà ingurgité, il jurait avec l’expression distante et les yeux impénétrables qu’elle se plaisait -ou du moins s'obligeait- à adopter le reste du temps.
Bien entendu son interlocutrice ne pouvait se rendre compte du côté incongru de la scène. Mais c’était sans doute volontairement qu’Artémis s’était absentée ; pour rendre sa compagnie plus agréable et heureuse. Qui sait ? La pirate elle-même était incapable de démêler l’enchevêtrement désordonné de pensées qui se disputaient son attention à l’intérieur de sa tête, et rongeaient parfois sa joie de vivre. Là où d’autres avait un fil logique de réflexion, elle se perdait dans les méandres d’un labyrinthe de possibilités, d'éventualités malheureuses. Boire lui permettait d’oublier, donc de sourire, donc de gratter quelques grammes de bonheur.

Aussi lorsque la jeune faëlle lui demanda d’y goûter, elle n’y réfléchit pas à deux fois, et lui tendit spontanément la bouteille. La méfiance envolée, il lui était plus simple de créer des liens. Or elle la voulait cette relation, pour des raisons qu’elle découvrirait un jour, elle n’en doutait guère. Elle se sentait l’âme d’une sœur tout à coup, et peut-être cherchait-elle à s’excuser auprès d’Hayden et Kenneth en prenant soin d’Eyrim.
C’était contradictoire, voire paradoxale. Elle n’était parvenue à s’occuper de deux frères, en quoi pouvait-elle être utile à un potentiel troisième membre de famille ?

Cependant nous ferions mieux de mettre fin à la méditation. La Artémis dont nous parlons actuellement n’avait pas l’attention nécessaire pour se poser autant de questions, à ce moment précis. Ses sens étaient amoindris, faussaient ses perceptions, et son équilibre était quelconque. Elle se contenta de tendre sa veste à Eyrim, puis d’aller chercher son cheval, et la limite de ce qu'elle était expressément capable de penser était atteinte.

« J’s’rais presque partante pour aller sur l’pont. T’crois que c’est joli de nuit ? »

Et sans attendre de réponse de le part d'Eyrim, elle se dirigea vers le pont. Elle avait l'habitude de faire ce qu'il lui plaisait, et surtout, jugeait acquis que les gens dignes de son respect soient d'accord avec ses plans. De plus cela ne coûtait rien à la faëlle de l'accompagner, non ?

Ses yeux papillonnaient, distinguant avec difficultés les contours du paysage encore apparents. Elle tenait l’étalon par la bride, mais c’était à se demander qui tirait l’autre. Elle était exténuée, et bien qu’elle se forçât à se tenir droite, elle devait se rendre à l’évidence qu’elle s’en remettait totalement au cheval. Dans quoi s'était embarqué l'intrépide fille de la mer ? Si elle le savait, l'adrénaline ne serait plus au rendez-vous !

Lorsqu’Eyrim arriva à son niveau, elle reprit la bouteille avec douceur. Elle allait tuer une gamine, à la laisser boire comme ça. De cette pensée fut tirée une question.

« Dis-moi, tu as quel âge Eyrim ? »

C’était la première phrase à peu près bien prononcée de la soirée. Exploit, applaudissons la performance ! La seule qui relevait d’une certaine importance, à vrai dire, puisqu’elle concernait la jeune faëlle.

Pourquoi tant d’intérêt pour elle, d'ailleurs ?
Parce que. Elle dégageait une aura, elle avait au naturel une force d'attraction qui poussait à la confiance, qui poussait une pirate à bout de s’ouvrir peut-être, de tenter de mieux la connaître pour sûr. Elle avait tout cela.
Elle qui n'aimait en révéler plus que nécessaire, elle se crut obligée d'annoncer d'une voix enrouée, comme si les mots lui arrachaient la gorge :

« J’approche d’la vingtaine… »

Elle se tut. La tristesse lui transcenda soudain le cœur, mais son sourire demeura. Elle était d’autant plus lunatique qu’elle était soûle. Elle dut rassurer le cheval récalcitrant pour qu’il accepte de s’engager sur l’Arche, et elle n’ajouta mot jusqu’à ce que les trois compagnons arrivent au sommet. Là, elle commença à avoir la nausée, et eut le réflexe instinctif, mais malgré tout stupide, de reprendre une gorgée.

« Tu trouves pas ça plus effrayant d’ici ? J’vais te dire moi, tu aimes les loups ? Ouais ouais, aucune rapport, mais attends la suite ! Ils sont mignons, oui ils sont mignons les loups. Mais si la biche trouve le loup mignon, elle crève. Elle a droit d’être fascinée, tant que sa vie n’en dépend pas. Le loup reste un prédateur, un prédateur n’a rien de captivant. Heey … c’pareil pour le pont ! Si tu t’méfies pas, tu tombes, ou tu t’fais dominer par les dessinateurs. T'vois c'que j'veux dire ? »

Elle avait entouré la tête du cheval de ses bras pour ne pas qu’il s’affole aurait-on dit, mais surtout pour ne pas trop tanguer. La scène avait quelque chose d’étrange. Elle se retrouvait sur un pont, au crépuscule, avec une femme (ou bien fille ?) dont elle ne connaissait que le nom. Mais l’alcool nous permettait parfois d’essayer ce que l’on n’aurait jamais osé autrement. Elle ajouta d’une voix assurée, mais lointaine, si lointaine :

« Avant de voir la beauté, il faut voir la menace. »

Il lui semblait que quelqu’un parlait à travers sa bouche, ses propos étaient trop cohérents pour venir de la Artémis qui se tenait là, les yeux un peu vitreux et le sourire trop étiré. Ils étaient plus profonds, sans doute réfléchis depuis des lustres et dictés par vingt ans d’une expérience mitigée. Nul doute que si le débat s’approfondissait, il lui serait moins évident de formuler des arguments, et d’exprimer des idées claires. Tout ce à quoi elle pouvait songer à présent, c’était aux visages de ses deux frères, alternant avec la vision qu’elle avait d’Eyrim à côté d’elle. Ce n’était pas déplaisant.
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31.10.13 19:17
[Il y a eu un post entre temps mais je n'ai pas eu le temps de tout changer, et puis j'ai la flemme aussi =p]

Je suis à Al Jeit. C'est loin de la Forteresse, c'est pas drôle, je m'ennuie ici. Je me suis amusée déjà à la prison, mais je me demande quelle autre distraction je vais pouvoir trouver maintenant. Et puis j'ai aperçu l'Arche, et j'ai voulu aller y jeter un coup d'oeil puisqu'il parait que c'est si beau. Et vous savez quoi ? En vrai c'est moche. Mais alors, vraiment pas beau. Le seul truc bien c'est qu'on doit pouvoir balancer des gens de là haut. Un bon moyen de tuer ça, j'ai encore jamais eu l'occasion d'essayer !

Bon, en attendant là il fait nuit, et je suis assise pas terre et j'attends que quelque chose se passe. C'est pas cool, je m'ennuie. Si seulement je trouvais quelqu'un à qui jouer un mauvais tour !

Soudain, il y a quelqu'un qui arrive. C'est une fille, elle a l'air bourrée, elle a une bouteille à la main et elle vient parler à une autre fille. Une pirate et une faëlle, je dirais. J'aime bien les pirates, ils sont bien eux. Les faëls par contre, ils servent à rien. Tout faibles et tout. Pas marrant.
Bon alors je m'approche un peu d'elles. J'écoute même pas ce qu'elles disent, je regarde que la bouteille que la pirate a dans la main. Il faut qu'elle m'en donne, j'ai envie de goûter. Alors je sors de ma cachette et je lui dis :

"Prête-moi ta bouteille. Je te la rendrai après, je veux goûter."

Là, elle me regarde bizarre, et elle veut pas me la passer. Elle est bizarre cette fille. Mais moi je veux sa bouteille alors si elle me la passe pas, je vais me mettre en colère !

Je caresse un peu le petit couteau qui est caché dans mon dos. Peut-être que je vais avoir à m'en servir ? Ce serait cool ça aussi !

"Allez, passe-moi ta bouteille !" j'insiste.

Elle a pas l'air décidée. Alors je saute en avant, je sors d'un seul mouvement mon petit couteau et je lui entaille le bras. Elle est surprise, elle s'y attendait pas, et elle lâche enfin prise. Je l'attrape avant qu'elle tombe, et je m'enfuis vite en courant.

Je vais me cacher derrière un rocher et là, j'avale quelques gorgées. C'est pas très bon mais ça fait tout chaud, et j'aime bien cette sensation, j'ai l'impression d'être toute étourdie. Et c'est là que j'ai une trop bonne idée. Il faut que je fasse vite, parce que j'entends déjà la pirate qui approche. Je vais peut être me prendre une raclée mais ça va être drôle.

Je saisis une petite boîte dans mon petit sac de toile, et j'en tire une pincée de poudre que je saupoudre discrètement à l'intérieur de la bouteille. Hihi, voila, comme ça.

Artemis revient, elle me chope la bouteille et m'envoie une torgnole, mais je m'en fiche. Elle finit par me lâcher et je détale en courant, comme je fais souvent. C'est pratique de savoir courir vite.

C'est juste dommage que je puisse pas voir ce qu'il va se passer ensuite. J'ai empoisonné leur alcool.

Tout de même, avant de partir, je me retourne et avec une petite sarbacane je lance une fléchette dans le cou de la faëlle qui était en train de sentir le vin avec un air suspicieux. Elle a failli tout faire rater, elle !

Puis je pars pour de bon sans me retourner.
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08.12.13 22:55
Les histoires d’amitiés sont sans aucun doute les plus secrètes qu’il puisse exister. Quand une personne normalement constituée tombe amoureuse –pour peu, et d’une que la normalité existe, et de deux qu’une telle personne soit capable d’amour- lorsque cette personne donc tombe amoureuse, l’on s’attend, et c’est bien souvent ce qu’elle fait, à ce qu’elle en parle autour d’elle, ou tout du moins à ce que cela transparaisse dans sa manière d’être et dans ses actes. Le cas est bien différent lorsqu’une amitié se tisse, car rien n’est plus indécent que de tenter de l’expliquer. D’où donc vient l’amitié ? Entendez par là l’amitié  comme on ne la connait que peu dans une vie, voire dans certaines vies pas du tout. D’une dimension bien plus impudique que de celle d’où tombe l’amour, car elle n’est que spirituelle. Les mots ne peuvent donc être assez forts pour décrire le lien qui se tissait entre la faëlle et la pirate, ou s’ils le sont ne comptez pas sur moi pour tenter d’en faire rien.

Pour l’heure, Eyrim était en train de se préoccuper de ce qu’elle ressentait suite à l’absorption de ces quelques menues gorgées d’alcool. Cela avait l’air assez fort, mais elle ne savait même pas à quel point. Elle sentait juste une douce chaleur lui envahir le fond de la gorge et les profondeurs de son ventre, et un léger vertige monter dans son crâne. Lorsqu’elle releva la tête, distraite enfin de ses expériences alcooliques, ce fut pour constater qu’Artémis était allée chercher son cheval et qu’elle marchait vers elle selon une ligne droite qu’Eyrim trouva particulièrement intéressante : ainsi donc, pour se rendre d’un point à un autre, point n’est besoin de prendre le chemin le plus court.  Tanguer peut se révéler bien plus pittoresque. Que le monde était différent tout d’un coup ! Les évidences d’il y a un instant ne semblaient plus si indispensables que cela, et les lois mathématiques les plus fondamentales auraient été dans leur intégralité remises en cause par le cerveau légèrement embrumé d’Eyrim si elle les avait connues.

Par exemple, pourquoi appeler l’édifice qu’elles avaient sous les yeux un pont, ou bien une arche ? Elle voulut faire part de cette interrogation à Artémis mais elle était déjà partie devant, la coupant court dans ses fuligineuses pensées. La faëlle n’avait même pas saisi la dernière phrase de la pirate, à peine si elle avait intercepté au vol le mot « pont », ce qui ne l’empêcha pas de courir pour la rattraper avant qu’elle n’ait atteint le fameux édifice en question. Au passage, elle se prit les pieds dans… le sol ? Non, rien ne dépassait en fait, elle trébucha juste parce que la terre tanguait un peu trop sous son corps trop léger. Elle se réceptionna sur ses mains, mais se redresser fut une opération délicate, le sol n’ayant pas cessé d’être soudainement fort instable. Enfin elle trouva un semblant d’équilibre, et durant la poignée de seconde qui suivit l’instant où elle avait retrouvé la station debout, elle vécut une expérience étrange et quelque peu déstabilisante : durant un instant, elle retrouva ses repères et sa raison, dans une bienfaisante bouffée d’oxygène, tout en sachant que cet état transitoire ne durerait pas, et ses pensées s’éclaircirent un bref instant ; un instant durant lequel elle ne souhaita que retrouver l’ivresse qui venait de la quitter. Sans doute les faëls ne réagissaient-ils pas de la même façon que les humains à l’alcool, car si Eyrim avait su ce qu’était un joint, elle aurait volontiers comparé les effets qu’elle éprouvait en cet instant présent à une savante mixture entre symptômes dus à l’alcool et symptômes dus à l’herbe.

Elle n’eut pas la force de protester quand la bouteille lui fut doucement retirée ; de toute façon, un peu trop de boisson lui était déjà monté un peu trop vite à la tête, nul besoin d’en rajouter… pour l’instant. La question de l’âge lui était pénible à aborder. Elle avait bien vu que la pirate avait quelques années de plus qu’elle, mais elle aurait voulu lui dire que cela ne comptait pas, et qu’entre quinze et vingt-cinq ans de toute façon, on est toujours un jeune qui a plein de rêves et de cauchemars, et qu’elles étaient pareilles toutes les deux. Elle ne voulait pas que l’on s’arroge sur elle une mission de protection sortie d’on ne savait quel chapeau, ne voulait pas qu’Artémis puisse décider de rester près d’elle par condescendance ou esprit de responsabilité. Tout ce qu’elle trouva à répondre fut malgré tout une pauvre phrase qui n’avait pas beaucoup de lyrisme.

« J’ai, euh… Presque dix-huit maintenant. Enfin bientôt quoi. Dans pas trop longtemps j’aurai dix-huit ans je crois. »

Bien sûr, ce n’était pas un mensonge à peine un léger réarrangement de la réalité à son avantage ; en vérité, elle espérait surtout que la pirate entendrait derrière sa phrase toute la détresse qu’elle ressentait de n’être pas reconnue aux yeux du monde. Peut-être la connaissait-elle aussi, cette détresse qui vous prend quand vous n’êtes pas apprécié pour ce que vous êtes mais pour ce que vous semblez être, et qui vous enferme derrière des barreaux oppressants  d’apparences vaines. Et ce malgré ses quelques mois de vie de plus que la faëlle.

Les paroles atteignaient son cerveau sans vraiment y entrer, et papillonnaient autour sans qu’elle puisse en saisir toute l’essence, cependant elle crut discerner dans ces phrases les mots de quelqu’un qui n’avait pas eu droit à la paix ni à la quiétude depuis un bon bout de temps ; quelqu’un à qui l’on avait retiré le droit de souffler de temps à autre.

« Moi je les trouve fascinants quand même les prédateurs. Ils sont plus intenses que les gens passifs. Leur existence est moins morne, et je crois que si j’étais la biche je pourrais pas m’empêcher d’essayer d’attirer la considération du loup plutôt que celle des autres herbivores. Toujours viser un peu trop haut, tu vois ? Ce qui fait qu’au final, je me casse toujours la figure. C’est très intelligent comme attitude. Je suppose que ça dénote d’un certain manque d’esprit de conservation, mais j’ai toujours su qu’il y avait quelque chose de bizarre dans mon cerveau qui fait que je ne fonctionne pas comme la majorité de la population. Suis pas sur la même longueur d’onde, tu vois, et de toute façon être normale ça rentre pas dans mes cordes. J’ai essayé, pourtant, hein, crois-moi j’ai essayé. Mais bon, ça marche pas alors maintenant quitte à trébucher, je vise haut. »

Elle parlait et digressait sans s’en rendre compte, laissant des mots sans véritable sortir de sa bouche, et voulait surtout tenter d’atteindre Artémis, l’atteindre vraiment. Les « tu vois ? » à répétition lui demandait si réellement, elle l’écoutait, en essayant tout de même de cacher ce besoin impérieux d’attention, parce qu’elle avait conscience d’agir comme une gamine capricieuse.

Cette femme, qui se tenait à son cheval pour ne pas tomber, était-elle une prédatrice ? Faisait-elle partie des méchants de ce monde, ou bien simplement de ceux qui tracent leur chemin sans se soucier d’idéaux absurdes ? Ou encore des gentils, cette catégorie de personnes qui possédaient, ancrée en eux, la capacité de plaire et de communiquer, qu’Eyrim avait toujours considéré de loin avec plus ou moins de détachement, d’estime, de mépris ou d’envi selon les périodes…

Au terme d’une longue réflexion silencieuse, elle finit pas reprendre :

« Mais tu sais, la beauté elle est partout, et elle est pas forcément dangereuse. Bon, d’accord, elle est souvent dangereuse, mais sinon tu peux essayer de voir la beauté du danger. Ca marche pas mal, ça, même si ça conduit souvent à faire des trucs complètement stupides. »

En parlant de trucs complètement stupides…

« Tiens, regarde, ça par exemple c’est beau parce que c’est dangereux, et l’alliage des deux donne de la bêtise pure, mais dans laquelle seuls les intelligents verront la beauté. »

Et sur ces mots, elle se saisit d’un petit couteau qui était dans sa botte et d’un geste étonnamment sûr quand on savait ce qu’elle venait de boire d’un coup, elle se  dessina un longue entaille sur le poignet. Puis elle lâcha le couteau qui tomba au sol sans autre forme de procès, contempla la blessure qu’elle venait de se faire sans comprendre, releva son visage vers Artémis et lui adressa un magnifique sourire.

« Je suis probablement la personne la plus consternante qu’il t’ait été donné de rencontrer. Je sais même pas pourquoi j’ai fait ça. »

Elle s’effondra sur le sol. Bien sûr, ce n’était pas mortel, mais c’était tout de même sacrément embêtant.

« En fait si, je sais : je suis capricieuse. C’est un de mes plus gros défauts. »

Elle murmurait à présent, et la douleur commençait à se faire ressentir en pulsant dans tout son bras. Elle refusait cependant de sombrer dans l’inconscience, ne voulait pas être un poids pour son amie.

« J’vais peut-être dormir ici cette nuit, j’aime bien le danger tout compte fait. On se rejoint quelque part demain ? »
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30.12.13 17:03
THE KIDS OF TOMORROW DON'T NEED TODAY,
WHEN THEY LIVE IN THE SINS OF YESTERDAY.



Deux gamines. La grande, raisonnée, responsable Artémis qui se trouvait avoir affaire à deux enfants, chacun d’un type bien spécifique ! Comme la soirée fut agréable. Et pourtant elle ne se plaindrait pas dans le futur, aussi étonnant que cela puisse paraître pour une personne aussi accablée qu'elle l'était.
La plus mesquine des deux gamines - comme elle les nommerait dorénavant - ou du moins la plus friponne, suivant que l’on fasse preuve d’indulgence en vue de son âge, serait Nour. Lorsqu’elle quémanda sa bouteille tel un enfant capricieux faisant entendre trop haut et trop fort ses envies, Artémis demeura stupéfaite. Cette indécision lui valut une perte de quelques gorgées, car la mercenaire ne se gêna pas pour s’emparer de l’objet de convoitise et… boire. Au plus grand damne de la pirate, il était aisé de l'imaginer.

Elle avait quoi, moins d’une dizaine d’années et elle se prenait déjà pour un demi-dieu ! Ses parents la supportaient-ils telle quelle ou en avaient-ils profité pour la jeter à la porte ? Artémis aurait sûrement agi ainsi, et ne pouvait les blâmer, mais voilà que c'était à elle qui en subissait les conséquences, alors que la soirée s'annonçait calme et paisible.
De plus, si Nour se prenait pour la moitié d'une déesse, elle n’était pas la moitié d’une altérée, la pirate en témoignait. Tant de prétention fit monter une rage immodérée dans ses veines. La pirate se dirigea vers elle sans se précipiter, avec une démarche d’assassin aguerri et assuré. Elle la saisit sans ménagement par l'avant-bras, et la gifla avec une violence non retenue. Ce fut sans doute la torgnole de sa vie, à lui en déchausser ses dernières dents de lait. Ce geste aurait pu paraître outrageant, mais elle s’en moquait bien. Le soulagement qui fit vibrer ses membres lui permit de lâcher prise et de laisser la sale gosse s’enfuir. Si personne ne punissait les vicieux de cette contrée, qu'adviendrait-il de celle-ci ? Non pas qu'elle s'en soucia, mais elle aurait aimé vivre dans un monde peuplé de vertueux. Il y aurait eu bien moins de rivaux dans les rangs des pirates, le travail en aurait été facilité.

Artémis reprit soudain ses esprits. Ses pensées s'étaient égarées bien trop loin de le monde des songes ; elle se mordit la lèvre inférieure, puis adopta une expression neutre et se retourna. Puis d’une voix enrouée elle échappa un « Hmpf » en direction d’Eyrim. Elle ne connaissait pas sa réaction et ne souhaitait pas la constater par une expression choquée ou un regard accusateur. Elle agissait suivant ses lois, et ça lui convenait ainsi.
Elle ne se dérangea pas pour discuter la réponse d'Eyrim toutefois.

« Tu crois. Tu donnes souvent ton presque-âge lorsque ton âge est demandé ? »

Il ne faut pas croire, il faut savoir. Qu’importe, qu’elle ait douze ou dix-huit (pas cinquante-huit au moins), pourvu qu’elle tienne sur ses jambes et sa tête sur ses épaules. Était-ce seulement le cas ? Elle ne marchait pas bien droit, et ce qui suivrait prouverait que sa réflexion n’était pas bien profonde. Tout ça à cause de l’alcool ! Pour un peu elle en aurait arrêté de boire, mais ça n’aurait pas été digne d’Artémis d’abandonner un ami d'enfance aussi cher et loyal que l’alcool.
Elle répliqua alors, avec sa franchise caractéristique et sa confiance factice mais réaliste.

« Il vaut mieux être passif que proie. La seule différence c’est la durée de vie. Et qu’est-ce que la vie, sinon un combat contre la mort ? Ta vie de biche serait bien courte. Mais c’est pas si grave que ça, tu es faëlle, tu as du soutien et de la protection contre les prédateurs.Tu peux admirer le danger sans craindre pour ta vie. »

Leurs tergiversations et digressions s’emballaient à son goût. De quoi s’entretenaient-elles exactement ? Mammifères voraces, objectifs vitaux ou tout ceci n’était-il que discussion stérile ? Elle regrettait d’avoir trop bu, peut-être aurait-elle pu mettre de meilleurs arguments au service de sa pensée. Habituellement, il l’aidait à supporter la compagnie des imbéciles qu’elle fréquentait, mais dans le cas présent la boisson la dérangeait. Elle n’avait envisagé une telle conversation avec Eyrim, personne qu’elle pouvait juger de sensée ou de niveau de réflexion plus élevé que les marins de manière générale. Qu'importe, elle profitait de l'instant présent, car elle le savait éphémère.

« Ce n’est pas viser haut de… euh… *hip* sympathiser avec le loup. Puis on s’en fout hein ? Je suis un loup, pas une biche, ta vision ne peut que différer de mon point de vue. »

Elle écouta la suite sans réagir, le regard absent. La beauté du danger, elle ne la connaissait pas. A vrai dire, c’était plus affaire de sensations à ses yeux. Les apparences étaient futiles, là où les émotions la guidaient. C’était l’impulsivité qui lui attirait tant d’ennuis, elle était peu sensible au reste.

La pirate expira bruyamment, et se rendit compte qu’elle avait perdu le fil de la conversation. Ses yeux se tournèrent vers Eyrim, et marquèrent un temps d’arrêt sur le couteau et son bras ensanglanté, presque brillant à la lueur des étoiles. Elle soupira. Des visions de morts violentes et de blessures abjectes défilèrent devant elle, puisant dans sa mémoire. Le moment passa d'agréable à déplaisant.

« Eyrim… Qu’est-ce qu’y t’prends ? »

Sa voix était posée, mais lasse. En aucun cas elle ne lui reprochait quoi que ce soit, mais elle savait que maintenant il lui fallait régler la situation. Des responsabilités, encore. La faëlle semblait mal supporter ce qu’elle avait ingurgité, et son délire était trop poussé à son goût. Artémis s’étira avec flegme, poussa le couteau d’un coup de pied. Prions silencieusement pour qu’aucun poisson ne se trouvât près de la surface du fleuve ; la force avec laquelle l’arme percuterait l’animal provoquerait des lésions bien plus graves que ce qu’Eyrim s’était déjà inexplicablement infligée.

« T’es pas consternante. C’est ton corps et mon temps que tu gaspilles, pas ma patience. »

Sans même la prévenir, elle l’attrapa par la taille et la hissa sur le dos de l’étalon. Elle attrapa ensuite la bouteille qu’elle avait posé à terre, l’observa avec des yeux vides, et avant qu’Eyrim n’ait le temps de s’impatienter, elle la jeta à la suite du couteau. Chacune laissait ses vices choir pour ce soir. La faëlle son caprice, et elle son penchant pour l’alcool. (Espérons qu'aucun poisson ne finira soûl.)

Elle attrapa la bride du cheval, et entreprit de descendre le pont, cette fois empruntant un chemin plus rectiligne que précédemment. Elle devait prendre soin de la seconde gamine, la plus inconsciente des deux sans doute, et la seule qui méritât sa sympathie. Elle bailla longuement, et les trois compères étaient déjà bien avancés lorsqu’elle se rendit compte que le silence de la nuit était profond, et que ni l’une ni l’autre, pas même le cheval, n’osait le rompre, pour une raison qui lui échappait.

Il prit soudain de l’ampleur pour Artémis, pesant sur ses épaules, et révélant une angoisse lui martyrisant les entrailles. Elle s’éclaircit la gorge à plusieurs reprises, s’apprêtant à prendre la parole, puis se ravisant. Tout cela était gênant, et elle garda les yeux rivés au sol de longues minutes qui devinrent éternité dans son esprit. Elle comprenait mieux pourquoi la solitude la rassurait, et pour quelles raisons elle se contentait de la compagnie de dizaines de pirates aussi bavards que vulgaires.

« Je partirai demain dès l’aube. Le bateau hissera les voiles très tôt. Que vas-tu faire de ton côté ? »

Artémis osa un regard vers la faëlle. Elle lui sembla étrangement amorphe. Elle exhala, sans que cela ne puisse être interprété comme un signe de lassitude ou d’inquiétude, puis retira la lanière de cuir qui entourait son bras, glissa la dague qu’elle y dissimulait à sa ceinture, et s’en servit pour bander le bras d’Eyrim avec un soin et une douceur tout relatifs.

« Eyrim ? Tu veux aller voir un guérisseur ? »

Quelle que soit sa réponse, son opinion était arrêtée. De cette façon elle n’aurait qu’à prendre congé alors qu’elle était alitée et dire au revoir à cette amitié contraignante (comme toutes les amitiés) qui se tissait entre elles. Lorsqu’elle se réveillerait, la pirate ne serait plus que souvenir, s'éclipsant telles les étoiles disparaissant avec la lumière.
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23.03.14 10:49
Un rictus apparut sur le visage d’Eyrim. Puis elle pouffa ; un petit rire nerveux s’échappa de ses lèvres, puis grandit et devint un fou rire qu’elle était incapable de stopper et qui lui donnait un petit côté démentiel.

« Je suis… Je suis faëlle mais c’est pas… pour ça que je suis sereine. »

Elle se calma un peu avant de reprendre.

« Je me torture un peu trop l’esprit quand même. Et si t’es un loup, alors c’est viser haut que de viser les loups. »

Et elle replongea avec délice dans son aliénation d’alcoolique, là où personne ne pourrait venir la chercher, jusqu’à son délire de capricieuse. Là, elle se sentit hissée par la pirate. Elle tenta bien de l’aider du mieux qu’elle put à se jucher sur le cheval, mais ses mouvements étaient plus qu’hésitants. En revanche, sa réaction fut immédiate lorsque, d’un coup de pied ajusté, envoya à la flotte la bouteille responsable de la délicieuse absurdité de cette nuit.

« Eeeh, attend, j’en aurais bien repris un peu ! Ça fait un peu mal quand même. »

Elle n’était même pas sûre d’avoir réussi à articuler suffisamment pour se faire comprendre et se rendait de toute façon bien compte que n’importe laquelle de ses demandes en cet instant précis ne serait même pas considérée un quart de seconde par Artémis. Tant pis. Elle décida de se renfrogner en silence, agrippa sa comparse et se laissa bercer par la marche régulière du cheval.

La nuit envahissait progressivement tout. La faëlle constatait cet état de fait avec peu de conscience. Elle en était à dire vrai plus victime qu’actrice, à part bien sûr si l’on considérait qu’elle était elle-même l’instigatrice de cette semi-conscience qui s’installait au fond de son cerveau, par un coup de couteau un peu trop bien ajusté et la consommation non avertie d’une substance un peu licite mais pas trop, que l’on nomme boisson.

Cependant peu importaient les causes, l’effet était là : elle avait mal. Son cerveau avait mis un sérieux moment à s’en rendre compte, mais elle ressentait à présent la douleur un peu plus vivement à chaque pulsation de son cœur. Elle avait déjà ressenti de la douleur physique, mais jamais de la façon qu’elle la subissait à présent. Il lui semblait que se mettre à gémir ne serait pas si inapproprié que cela, n’était la présence de la pirate à côté d’elle qui avait sans doute mieux à faire que de supporter ses plaintes en plus du reste.

Pour commencer, on pouvait même se demander pourquoi elle revenue. Comment est-ce qu’elle avait pu trouver ce ridicule petit être vulnérable et naïf assez intéressant pour revenir la chercher après ce qui, sans doute, pouvait être considéré comme un affront aux yeux d’un pirate, et à fortiori à ceux d’Artémis. Mais, en plus, qu’elle se mette en tête de vouloir l’emmener quelque part avec elle, sur son cheval, dans l’éventualité de la faire soigner… C’était un peu trop inabordable, même pour le fonctionnement ralenti des capacités cérébrales d’Eyrim.

La douleur, l’ineptie ; tels étaient les deux paramètres qui rentraient en ligne de compte à présent. Le reste n’était que futilité et sans doute peu digne d’attention. Du reste, on n’y voyait goutte, et hormis le pas régulier du cheval, on n’entendait pas grand-chose non plus ; voilà donc notre Eyrim privée de plusieurs de ses sens, et plongée dans une nuit confuse qui gagnait un peu du terrain à chaque pas. Elle s’accommoda ainsi fort bien du silence qui régnait entre Artémis et elle, ne songeant pas un instant à desserrer les lèvres. A quoi bon, lorsqu’on a rien à dire ? Certes, là n’était habituellement pas la philosophie d’Eyrim, qui estimait que lorsqu’on avait rien à dire on pouvait toujours s’inventer des opinions sur tout et sur rien mais surtout sur rien ; mais elle n’était pas dans son état habituel et ne se rendit compte qu’Artémis avait prononcé quelque chose bien après les phrases proprement dites. Tant pis, à présent il était trop tard pour chercher à comprendre ce qu’elle avait voulu dire. De toute façon, elles n’auraient pas assez à parler même si deux vies entières s’étaient offertes devant elles, alors autant attendre le lendemain matin pour reprendre la communication là où elle s’était arrêtée. Il n’y avait rien de si urgent qu’elle ne puisse attendre un peu pour l’entendre ; du moins était-ce ce qu’elle imaginait.

Le sang continuait de couler ; elle avait bien trouvé la veine, cela ne faisait aucun doute. Ses yeux se voilèrent et la nuit reprit le dessus lorsqu’elle aperçut son amie tenter de bander son poignet. Sans qu’elle puisse déterminer pourquoi, elle trouva la situation légèrement amusante, sinon absurde. Puis elle sombra en silence.

Rien n’était, l’apocalypse avait enfin eut lieu ; c’était beau, c’était noir. Enfin on ne sentait plus rien, enfin avaient disparues toutes les angoisses qui nous rongent l’esprit à chaque instant, la peur de souffrir avait été vaincue par la souffrance et peut-être bientôt la peur de mourir serait-elle vaincue à son tour elle aussi, définitivement. On ne gravite pas ici, on flotte dans une inconscience bienheureuse mais beaucoup trop facile. Point n’est besoin de se battre, point n’est besoin de lutter en esprit contre les mauvais choix, beaucoup trop nombreux, et si fourbes qu’ils ne sont pas toujours ceux qu’on croit qu’ils sont. Point n’est besoin de se torturer l’esprit avec ce que l’on a fait, ce que l’on aurait dû faire et ce que l’on doit faire. Ici la sensation seule fait loi, et tout le reste n’est qu’indifférence. Elle seule fait foi, et elle seule détermine ce que l’on est, la sincérité enfin retrouvée.
Jusqu’à ce que la vie vous rappelle à se cruelle vérité ; vous garderez alors toujours en mémoire, avec envie, cette période où vous n’étiez plus, et sa douceur si amère.


La cruelle vérité, ici, c’était un tambourinement épuisant et insupportable aux tempes d’une petite faëlle pas très raisonnable. Eyrim papillonna des yeux un instant, la faible lueur d’un soleil qui commençait à poindre vint lui brûler la rétine. Elle les referma aussitôt. Elle avait eu le temps d’apercevoir une silhouette, de se dire que ce devait être Artémis, de se sentir rassurée et coupable de cette présence.

Puis elle sentit une boule se former au fond de sa gorge, et sa respiration se fit difficile. Elle se sentait mal, la douleur lancinante qui tambourinait toujours aux portes de son crâne et qui l’avait réveillée lui rappelait à présent la douleur de son poignet, et elle ne savait pas où elle était. Rien de bien intéressant ne l’attendait ici, elle sombra à nouveau.

Elle ne pourra jamais retourner à la nuit comme elle l’a fait voilà un instant ; la conscience est revenue, avec elle la douleur, avec elle la vie. Car on n’est en vie que lorsqu’on a mal, et non l’inverse. La douleur fait atteindre un seuil de conscience supérieur et de lucidité dangereuse que ne connaissent que ceux qui un jour ont été aveuglés par un véritable mal. La vie est une vieille dame capricieuse qui ne se laisse jamais abandonner au moment où on l’attendait cependant ; elle préfère se pointer quand ça emmerdera le plus de gens possible. Et apparemment, elle avait décidé que l’heure de la faëlle n’était pas encore venue.

Une vague de lucidité vint lécher les berges de la conscience de la faëlle, qui se réveilla tout à fait à la seconde attaque de sa conscience.

Elle se redressa brusquement, son regard agrippa deux trois objets dans la pièce, trébucha sur le sol, se fit flou, redevint net et enfin elle put voir normalement.

« Artémis ? »
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27.03.14 12:01
STILL IT'S HARD, HARD TO SEE
FRAGILE LIVES, SHATTERED DREAMS

A son réveil, Artémis manquait à ses côtés. La silhouette qu’elle avait associée à sa nouvelle amie correspondait à celle d’une guérisseuse affairée sur le lit voisin. A l’appel d’Eyrim, elle se détourna de son malade pour s’enquérir de son état. La patiente était consciente, et après une nuit entière de convalescence, c’était rassurant. Tel un ouvrier répétant invariablement une tâche de longue date et maîtrisée sur le bout des doigts, elle suivit la procédure. Allonger la blessée afin de limiter l’effort : fait. Palper le front : fièvre plus faible. Prendre le pouls : régulier et calme. Observation de la plaie : pas très ragoûtante, mais rien d’irréversible. A la deuxième mention du nom d'Artémis, la guérisseuse fronça les sourcils, presque réprobatrice.

« Votre… "amie" s’en est allée mon enfant. Les pirates naviguent au gré du vent et des vagues, là sont leurs seuls camarades de confiance. Elle vous a de plus très probablement empoisonnée, et nous avons dû veiller à ce qu'elle ne fasse rien de douteux, bien que nous ne puissions l'accuser sans preuve. Vous feriez mieux de vous en aller avant qu'elle ne revienne.»

Elle posa sur Eyrim un regard désolé et maternel. Combien s’étaient laissés aller à espérer l’amitié d’un pirate sans jamais recevoir que de l’indifférence ? Elle éprouvait de la compassion pour la faëlle, lorsqu’elle-même s’était permis d’aimer un matelot qui lui semblât alors moins rustre que la moyenne pirate, mais qui n'en était que plus manipulateur. Les pirates étaient une race humaine moins civilisée qu’eux autres. Ils ne connaissaient que leur instinct pour législation, et leurs amis d'un jour devenaient victimes de leurs vices le jour suivant.

* * *

Contrairement aux dires entièrement subjectifs d’une guérisseuse blessée dans son orgueil, Artémis s’était comporté telle une sœur au chevet d’Eyrim. Elle avait insisté pour demeurer sur le tabouret inconfortable qu’elle avait tiré près de son lit, et ce tout au long de la nuit. Elle avait cavalé à vive allure jusqu’à la capitale, avait abandonné son cheval sans se préoccuper de l’attacher, car Eyrim montrait des premiers signes d’inconscience. Elle l’avait alors portée jusqu’à l’intérieur du dispensaire, sans prononcer un seul mot, s’était écartée pour ne pas déranger les travailleurs, puis s’était assise là une fois la jeune faëlle bandée et alitée. Un rêveur s'en était même mêlé, car la blessure n'était pas une raison suffisante à son mal-être, puis lui avait administré quelques plantes ainsi qu'une heure de rêve.

Les yeux d'Artémis avaient dû se fermer quelques cinq ou six fois, et les ténèbres l’avaient probablement engloutie à plusieurs reprises, mais elle avait refusé de bouger d’un seul cheveu. Les marmonnements de la faëlle l’intriguaient parfois cependant. Elle sortait alors, l’espace d’un instant, de sa torpeur, afin de capter un sens à ces quelques mots inaudibles, mais abandonnaient bien vite son entreprise. Ces quelques rares interventions la rassuraient pourtant, cela signifiait qu’Eyrim ne faisait que se reposer, d’un long et profond sommeil réparateur, quoique quelque peu agité. Elle avait redouté cet état d’inconscience dont certains ne s’extirpent jamais, bien que leur respiration fût régulière, et leur corps peu endommagé.

Avant que l'aurore ne vienne, une des guérisseuses (celle qui s’occupait des quatre lits du fond, dont celui d’Eyrim, d’après les observations d’Artémis) vint à elle et l'entretint en ces mots, presque moqueurs et visant à blesser sa fierté :

« Je ne pense pas qu’elle compte s’évader, vous savez. »

La pirate la regarda avec une expression stoïque, et reporta son attention sur les draps qu’elle fixait depuis plusieurs heures à présent. Elle n’avait pas l’âme de répondre à un individu lambda, dont la conversation était aussi creuse que son esprit. Celle-ci crut cependant bon de repartir à la charge.

« Je vous répète que votre amie sera encore présente dans plusieurs heures, votre présence ici n’est pas souhaitée. »

Artémis détourna à nouveau le regard du blanc des draps (bien qu’il fût davantage noirâtre dans la pénombre), pour jauger du regard son interlocutrice. Cherchait-elle, par un moyen relativement subtil, à lui faire comprendre qu’une pirate n’était pas la bienvenue au pays des Altérés pour des raisons de sécurité, ou bien que sa présence impliquait une gêne pour les guérisseurs ? Ou seulement que les maladies contagieuses pouvaient facilement la toucher en ce lieu, et qu'il était préférable qu'elle prenne congé ?

Mais la pirate n’était pas dupe. Lorsque l'on hait quelqu’un, il faut s’attendre à recevoir le même traitement. On apprend à perdre sa naïveté, son innocence d’enfant. Le monde est cruel, et les hommes le sont encore plus.

« Les pirates naviguent au gré du vent et des vagues, là sont leurs seuls camarades de confiance. Pourtant je refuse, et refuserai de quitter cette faëlle pour rejoindre la mer. »

A nouveau, elle reporta son intérêt sur Eyrim. Si elle avait su combien ses paroles seraient déformées plus tard, elle en aurait assassiné la guérisseuse. Les minutes s’écoulèrent sans évènement toutefois, et le soleil commença à éclairer le pauvre spectacle du dispensaire et des blessés gémissants, tentant tant bien que mal à réchauffer l’atmosphère. Elle prit alors une décision irrévocable.
Elle quitta le lit d'Eyrim, et sortit dans la nuit fuyante.

* * *

"L’homme aux chevaux" observa la bête de long en large, suspicieux, puis défia Artémis du regard. Celle-ci exprimait, comme à son habitude, toujours le même sentiment : c’est-à-dire,... Rien. Aucun sentiment. De la neutralité parfaite, teintée pour l’observateur averti d’un mépris hautain et peu respectable.

« Ce n’est pas ma bête.

- Me serais-je trompée ? Devrais-je la rendre à quelqu’un d’autre dans ce cas ?

- Non, non, vous m'avez bien loué un étalon, mais enfin… Je reconnais mes chev… »

Artémis tourna les talons et sortit de l’écurie. Elle avait dû racheter un cheval afin de rendre l’étalon qui avait fui dans la nuit, et ne comptait guère justifier ses actes.
Comment ? Vous ne croyez pas à la réalité de cette générosité bien placée de la part d’une pirate telle qu’Artémis ? J’avouerais que vous avez raison. La monture avait été volée à un célèbre marchand d’Al Jeit, et lorsqu’il se rendrait à l’évidence que le loueur de chevaux à deux rues de chez lui détenait un de ses étalons fétiches, dérobé avec fourberie lorsque la pénombre cachait encore les voleurs, Artémis espérait que le litige serait assez grand pour provoquer un mort !

* * *

La pirate déambulait dans les rues depuis maintenant un quart d'heure. On aurait pu la croire pensive, mais elle était seulement résolue. Artémis ne réfléchissait pas, cela l’embrouillait. Il valait mieux s’en tenir à ses décisions, et faire valoir sa détermination d’acier. Elle rejoignit enfin la taverne où la majeure partie de l’équipage s’était déjà réunie, dévorant de la malbouffe à foison, et profitant des services de ce que l’on appelle élégamment des "péripatéticiennes", comme si placer un mot savant rendait notre vision de leur malheur plus belle et plaisante.

« Capitaine, je me retire. »

L’interlocuteur haussa un sourcil.

« Vr’ment Anthracite ? Eh ben dégage alors.  »

Il partit d’un bon rire, accompagné de quelques ricanements de lèche-bottes.

« Pas sans ma paye.

- Moié j’crois qu’tu vas partir sans !  »

La tension montait, Artémis le sentait, mais sa fureur était plus grande encore. Elle fit mine des rire à la plaisanterie, puis, sans prévenir, sortit une lame de sous sa manche, plaquant l’homme contre le mur dans le même élan. Liodys se leva à son tour et se plaça dos à elle pour prévenir les attaques mesquines d'autres matelots. Artémis savait l’avoir placé dans une position où il ne pouvait plus conserver sa place dans l’équipage, et elle s’en excusait, mais qui ne s’imposait pas chez les pirates, se faisait écraser. Il fallait leur marcher dessus ou se faire marcher dessus.

Le capitaine la jaugea du regard, peu fier. Il avait omis le fait qu’Anthracite, si elle avait une apparence peu robuste, se distinguait par sa dextérité et l’effet de surprise qui en résultait. Et toute cette bande de sous-fifres qui n’osait pas bouger le petit doigt ! Il avait cru en sa position de force, et avait perdu pour avoir négligé les mœurs pirates. Il ne doutait pas en sa mort imminente s’il ne pliait pas. Or si l’honneur était capital pour lui, la vie l’était d’autant plus. Son honneur se relèverait.

« Ouaaais, c’bon, prends.

- Avec la paye de Liodys. »

Lentement, il dirigea sa main vers sa bourse, et posa les pièces dans la main tendue d’Artémis. Les deux pirates sortirent sans un mot, sur le qui-vive. A peine sortis, la voix du capitaine retentit, furax. Le travail à fournir serait double, et Liodys pouvait presque se sentir soulagé d'avoir choisi le camp d'Artémis.

« Désolée Liodys.  »

Elle l’avait dit presque sèchement, et sans trace d'émotion, mais avec une honnêteté presque frappante. Liodys inclina la tête, et décida de ne pas épiloguer sur l’aventure peu réjouissante qu’il venait de vivre.

« Pourquoi quitter ?

- C’est dur à expliquer.

- Je vois.

- Tu peux t’occuper d’Hayden ? Prends l’argent et donne-lui ma part.

- Oui.

- Merci. On se retrouve dans un mois sur les îles. »

Liodys acquiesça. Elle l’appréciait pour ça : sa loyauté valait de loin celle d’un chevalier de haut rang, il n’était point curieux, et guère impertinent. Il acceptait sans conditions, et admettait que les explications lui parviendraient en temps voulu. Il lui fit une tape sur l'épaule, et Artémis se força à ne trop grimacer sous la force de l’impact. Si son nom ressemblait plus à celui d’un faël, son bras était celui d’un Krall.

* * *

« Eyrim ? Tu te sens prête à te lever, feignasse ? T’as dormi une journée entière au moins ! On s’en va, je veux voir ton pays, découvrir des choses. Tu vois ? Mais pas d'alcool. »

Elle était de retour au dispensaire, sur son fidèle tabouret. A son arrivée, la guérisseuse s’en était allée à l’autre bout de la pièce, soudain très occupée à ranger ce qui était de toute évidence parfaitement organisé. Elle avait cru pouvoir sortir Eyrim du dispensaire avant le retour d’Artémis, mais avait échoué, et sa situation n’était pour le moins pas désirable. Tenter de sauver une vie (celle d'Eyrim) était honorable, accuser un pirate était excessivement dangereux.
La pirate en revanche, souriait presque, bien que son regard demeura lointain. Quelque chose de très semblable à la joie emplissait ses pensées.
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22.04.14 21:02
Tout était bien. Le monde n’allait pas s’effondrer pour autant. Cela ne faisait que quelques courtes heures qu’elles se connaissaient, il était évident qu’une pirate telle qu’Artémis n’allait pas jouer les garde-malades indéfiniment sans raison aucune quand elle avait certainement un navire et un équipage qui l’attendaient. Quant à l’empoisonnement, elle espérait simplement que la pirate n’en avait pas été victime elle aussi –car il était bien évident que, dans l’éventualité où le contenu de la bouteille avait en effet été empoisonné, ce n’était pas à dessein qu’Artémis lui en avait boire.

Eyrim irait retrouver son port d’Al Chen, son petit travail tranquille là-bas, et cesserait de faire des histoires. Tout était bien.

Alors pourquoi avait-elle l’impression qu’un trou noir était en pleine expansion à l’intérieur de son crâne ? D’où venaient donc ces ridicules et minuscules gouttes d’eau salée et chaude qui roulaient le long de ses joues alors qu’elle n’avait rien demandé ? C’était vrai, Eyrim se sentait bien, elle ne voyait aucune raison pour se mettre à pleurer ; ce sont les faibles qui pleurent, Artémis n’aimait pas les faibles et en pleurant elle l’aurait certainement déçue. Eyrim ne voulait pas décevoir Artémis, et le regard plein de compassion de la vieille guérisseuse penchée sur elle fut soudain de trop.

« Vous êtes vieille. Vous soignez des corps mais vous ne savez rien des consciences. Vous n’avez jamais rien connu, jamais rien vécu, jamais rien aimé. Vous êtes laide, aigrie, et vous ne comprenez rien. Vous n’êtes rien. Vous ne savez pas ce qu’est l’ivresse du vent et l’appel de la mer, l’émotion qu’on peut ressentir lorsqu’on voit la beauté dans un navire. Si Artémis est partie, c’est parce qu’elle mérite cette beauté bien plus que vous ne pourrez jamais mériter aucune beauté ! Et tant mieux si elle navigue au gré des vagues et des courants, ça fera toujours de la distance qu’elle mettra entre elle et vous.
Tout ce qui m’empoisonne ici, c’est votre intelligence étriquée. Les pirates sont libres et vous leur en voulez parce que vous, vous êtes clouée dans votre dispensaire sans autre horizon que le prochain petit bobo sans envergure à soigner. Je vais parfaitement bien, et je n’ai nul besoin d’aucun de vos conseils ou avis !
»

C’était vrai, elle allait bien ; c’est pour cette raison qu’elle se remit à sangloter d’épuisement. Une autre personne vint prendre soin d’elle quand la première guérisseuse déclara que, malgré l’évidente fatigue de la faëlle, et voulait la mettre immédiatement dehors.

« Elle a été empoisonnée par une pirate, elle est peut-être contagieuse et il ne faudrait qu’une infection venue d’un de leurs navires ne nous contamine tous nos protégés. »

Eyrim demeura cependant et s’endormit encore, finissant de purger tout à fait la dose que la sale peste de Nour avait glissé subrepticement dans la bouteille. Morphée eut raison du reste du caprice de la faëlle qui s’attardait encore dans son sang. Elle fut également d’un grand secours pour calmer les méandres agités d’un esprit qui s’interrogeait quelque peu trop.

La douce voix moqueuse d’une Artémis de bonne humeur la tira de ses rêveries sans couleurs. Elle crut défaillir.

D’un mouvement, elle arracha le drap qui la couvrait pour éviter que la fièvre ne remonte, se redressa et se jeta dans les bras de son amie. Comme cette dernière venait de le faire remarquer cependant, il y avait un certain laps de temps qu’elle n’avait pas quitté la station couchée ; elle eut besoin d’un léger temps d’adaptation pour retrouver son équilibre –qu’elle avait toujours eu précaire- et que le sol cesse de trembler ainsi sous ses pieds. N’ayant pas vraiment d’autre appui immédiat, elle se trouva obligée de se raccrocher à la pirate, qui jugea alors bon de l’asseoir sur le lit avant qu’elle ne tombe et qu’il ne lui arrive de nouveau quelque chose.

Eyrim se sentait plus légère. L’air parvenait plus facilement à ses poumons, lui semblait-il.

« Je suis contente de te voir. »

Euphémisme, quand tu nous tiens…

Elle prit une grande inspiration et, d’une traite, lâcha tout ce qui lui semblait utile ou intéressant de dire, ce qui donna un résultat pour le moins intéressant.

« J’allais bien tu sais, j’aurais vraiment compris que tu ne reviennes pas parce que la mer est autrement plus intéressante que l’intérieur des villes et les habitudes mesquines des citadins. Mais il y a des choses bien à faire en pays faëls aussi ! Je me demandais ce que tu faisais, la guérisseuse m’a dit que tu étais partie et que j’aurais mieux fait d’en faire autant parce que les pirates ne s’attachaient pas aux gens, je crois que je lui ai un peu crié dessus, tu crois que j’ai bien fait ? Oh, j’ai dit des choses méchantes je crois, je regrette, je ne voulais pas être méchante ! Mais je ne me sentais pas vraiment dans mon état habituel je crois… C’est toi qui m’a amenée jusqu’ici ? Merci, merci, comment est-ce que je pourrai rembourser ma dette un jour maintenant ? Je suis vraiment désolée, je ne voulais pas être un fardeau pour toi. Enfin je suppose que c’est trop tard maintenant. On a combien de temps avant que tu ne repartes ? Tu es capitaine d’un équipage, non ? Oui, tu es sûrement capitaine, je te vois pas tellement obéir à des ordres, c’est étrange hein. En tout cas, promis, je ne touche plus à l’alcool ! Tu sais que la vieille femme m’a dit que tu m’avais peut-être empoisonnée ? Je crois que c’est pour ça que je me suis énervée mais j’aurais mieux fait d’en rire, c’est plus ridicule qu’autre chose ! Oh, il faut que je te montre plein de choses, tu crois qu’elles vont être d’accord pour que je parte ? »

Et sur ce, elle se releva d’un pas encore légèrement peu assuré et commença à rassembler les quelques affaires qui trainaient autour de sa couche. De temps en temps, elle jetait un coup d’œil furtif vers les quelques dames en blanc qui pourraient lui interdire la sortie. Non qu’elle se préoccupât de leur avis d’une quelconque façon, mais elle n’avait pas envie qu’Artémis ne s’énerve plus que de raison et que quelque chose de regrettable arrive.

Il lui fallut bien peu de temps pour se saisir de ses quelques armes qui trainaient dans un coin et les rares morceaux de tissu que la guérisseuse avait jugés superflu pour elle de garder tandis qu’elle était alitée. Quelques secondes plus tard, elle se tourna vers Artémis.

« On y va ? »

L’heure du superflu allait enfin être dépassée.

Un autre incident cependant se devait d’arriver avant que le destin ne leur fiche tout à fait la paix –car à vaincre sans péril, dit-on, on triomphe sans gloire. La petite vieille que la faëlle avait plus tôt qualifiée d’aigrie observait ce petit manège sans en avoir l’air depuis que la pirate était entrée dans la pièce ; et la rancœur dans son esprit prit le pas sur à peu près tout le reste. Les pirates n’étaient que vermines, et même si cette petite faëlle était une peste elle aussi, elle ne méritait pas de tomber dans les filets de l’une d’entre elle. Elle avait bien vu la confiance dans tous les traits de son visage, mais ne distinguait que vile félonie dans l’expression de son amie, et elle se devait de la sauver. Elle s’approcha donc de nouveau alors que personne ne lui avait rien demandé.

Un petit regard suffit entre Artémis et Eyrim pour qu’elles se comprennent ; lorsque, quelques instants après, elles sortirent enfin du dispensaire, la guérisseuse avait l’impression d’avoir pris dix ans en cinq minutes. Les deux filles, elles, étaient relativement hilares –tout du moins Eyrim l’était-elle, il est toujours difficile de dire ce que pense réellement Artémis.

« Le pays Faël est dans cette direction, Al-Chen dans celle-ci et si on part dans cette direction et qu’on voyage longtemps, on arrivera, euh… Dans beaucoup d’endroits. Tu veux aller par où ? »

Spoiler:
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