La chasse a commencé

               

               

Je suis mes proies depuis plusieurs jours déjà, sans laisser de trace, de loin, me contentant pour l'heure de les observer. C'était la partie la plus excitante de la traque. Après les avoir cherchées pendant longtemps, m'être renseigné à leur sujet, les avoir trouvées presque par hasard, je les guette. Je suis leurs moindres mouvements, je lis sur leurs lèvres pour savoir de quoi elles parlent, me permettant peut-être de découvrir leurs projets et de revendre ces informations au commanditaire, ce qui m'assurerait une marge confortable. Je cherche aussi leurs points faibles, leurs points forts, je déduis leurs capacités de leurs postures, j'observe attentivement leurs entraînements pour comprendre comment les battre. De ce que je vois pour l'instant, il me faudra sans doute les isoler pour pouvoir les tuer plus facilement. Je commencerai par la Marchombre confirmée, ce sera le plus compliqué. Après, son apprentie sera un jeu d'enfant. Il me suffira de la déstabiliser, sans doute en la rendant responsable de la mort de son Maître, et je n'aurai plus qu'à l'achever. Sa mort aura un goût délicieux, le goût âpre des remords, de la culpabilité et des sanglots.

Mais d'abord, je les suis. J'apprends à les connaître. J'entre dans leur intimité. Tout bon chasseur se doit d'observer ses proies avant de passer à l'attaque. Et c'est à ce moment que l'adrénaline coule dans mes veines, rendant la vie si intense et véritable. On ne savoure jamais autant la vie que lorsqu'on s'apprête à l'ôter. Mais avant ce moment si délectable, patience. Attendre sa récompense fait aussi partie du jeu, c'est ce qui la rend si désirable. Il y a une certaine excitation à anticiper le moment, imaginer les réactions de ses victimes, se repaître à l'avance de leurs cris de souffrance, de la peur dans leurs yeux. Même si je doute trouver de la peur chez la Marchombre. De la surprise sans doute, il faudra que je l'attaque vite, sans faire traîner les choses comme j'aime. Tant pis, je me rattraperai sur la petite.

Habituellement, je ne m'attaque pas trop aux Marchombres, pour deux raisons principales. La première, c'est qu'ils sont très solidaires entre eux. ils ont beau voyager seuls le plus souvent, si j'en tue un, je me retrouve avec un tas d'autres Marchombres sur le dos qui veulent ma peau pour venger ma proie. Et ils sont presque aussi doués que moi pour pister, les bougres. La deuxième raison, c'est parce qu'ils sont les ennemis jurés des Mercenaires du Chaos et que ceux-ci me piquent assez souvent mon travail. Et je n'aime pas la concurrence. Donc je préfère laisser les Marchombres vivants, comme ça ils se chargent d'occuper les Mercenaires pendant que je fais tranquillement mon travail. Et histoire d'arranger le tout, je vais essayer de signer ces assassinats comme ceux d'un Mercenaires, pour détourner les Marchombres de ma piste et les lancer sur celle des Mercenaires. Je ferai ainsi d'une pierre deux coups.

Et le meurtre était pour bientôt. Je les avais entendu parler d'aller à Al-Vor en passant par les plaines. Je ne peux les suivre par là mais qu'importe, il me suffit de me rendre à Al-Vor plus vite qu'elles et je retrouverai leur trace là-bas. Il me sera même plus simple de les séparer pour les tuer. Je dois donc prendre de l'avance tout en faisant un détour. Je talonne mon puissant destrier sans perdre une minute. Je décide de longer la lisière de la forêt de Baraïl. Il ne me faut que quelques heures pour voir apparaître les fortifications de la ville à l'horizon. Je pousse encore mon cheval pour un dernier effort. Je préfère ne pas l'emmener avec moi dans la ville, aussi je libère un peu avant d'arriver et je continue à pied. Pour le retour, soit ma monture sera restée ici et je la récupèrerai, soit j'en volerai un autre. Peut-être même un de ceux des Marchombres.

Une fois dans les ruelles tortueuses d'Al-Vor, je n'ai aucun mal à les retrouver. Elles sont voyantes au milieu de la foule, avec leur manière de se mouvoir que personne ne remarque alors qu'ils ne devraient voir que ça. C'est une des rares choses que j'admire chez les Marchombres. Leur démarche. Souple, coulante, discrète mais magnifique. Qui impose le respect. Et comme je suis loin d'être stupide, je sais admettre quand je vois une capacité que je n'ai pas et qui surpasse les miennes. Ma démarche est discrète certes, silencieuse mais imposante. En revanche elle est loin d'être souple ou fluide. Il va falloir que je m'entraîne.

Soudain, mes réflexes de tueur reprennent le dessus sur mes pensées qui s'égarent et du coin de l'oeil, je remarque un homme. A sa posture, sa tenue et sa façon de regarder mes proies, je devine tout de suite qu'il est de la même catégorie que moi. Un chasseur. Est-il lui aussi là pour les tuer ? Ou bien a-t-il seulement été attiré par la quasi perfection de leurs mouvements ? Je ne détecte pas de pulsions belliqueuses en lui, il semble calme, surpris de les voir tout au plus, mais pas vraiment aux aguets. Pas un ennemi. Enfin, pas pour elles.

Puis l'homme se met en mouvement pour ne pas les perdre de vue et l'évidence me saute aux yeux. Marchombre lui aussi. Voilà qui complique mon affaire. J'espère qu'il ne va pas se joindre à elles sinon je devrai le tuer aussi et cela sera plus risqué, plus difficile. Heureusement, il se contente de les filer discrètement sans chercher à établir le contact avec elles. Peut-être qu'il est tombé sur elles par hasard et qu'il hésite à aller les aborder. J'espère qu'il va renoncer à cette idée et disparaître. Néanmoins il faudra que je sois sur mes gardes, avec un autre Marchombre dans ces murs, si les nouvelles vont un peu trop vite il pourrait lui prendre l'envie de chercher l'assassin avant que j'ai pu m'enfuir. Prudence donc. La mission se corse, ça me plaît.

Un sourire carnassier vient éclairer mon visage d'une lueur malsaine. La chasse a commencé.