Premiers pas

Ouvrant les yeux, Caym soupira intérieurement en reconnaissant les murs sombres de la forteresse. Du moins des souterrains. Il avait préféré passer par le bas. Il ignorait encore s'il pouvait faire confiance à sa compagne, alors en attendant il lui en montrerait le moins possible.
Dessinant une sphère de lumière, le couloir se nimba d'une lumière bleuâtre.
Le mentaï observa le vissage de la jeune femme. Sa chevelure rousse semblait plus sombre, moins brillante. Son visage portait la marque du sang, la trace qu'il avait laissée en elle, sur elle. Pour toujours, probablement. Le prix de sa dette.
Caym brisa le silence.

-Quel est ton véritable nom ?

Il plongea ses yeux gris dans ceux de l'ancienne marchombre. Elle n'avait pas le droit à l'erreur. Il sentirait bien si elle tentait de lui dissimuler la vérité. Si elle tentait de fuir... c'est qu'elle n'avait pas encore saisi l'importance de son choix et toutes ses conséquences.
Caym attendit la réponse.
Lorsqu'il l'obtenu, il entraina la demoiselle au bout du couloir où s'entrainaient les envoleurs.

Le chef des mercenaires allait requérir leur aide. Ils sauraient transformer la faille qui l'habitait en gouffre. Mais surtout, ils sauraient desceller ses véritables intentions. Cali avait des faiblesses et les admettait. Contrairement à de nombreux mercenaires, il savait lorsqu'il ne faisait pas le poids et lorsqu'il valait mieux demander de l'aide. Enfin, il n'appelait pas ça "demander de l'aide", mais plutôt rendre service ou obéir aux ordres. Les envoleurs étaient particuliers, mais ils avaient des sens très perçants, il savaient lire en chacun ce que respectait le mercenaire. Il suivait leurs enseignements de temps à autre, lorsqu'il en avait le temps, toujours dans un but de se perfectionner. Le mentaï était loin de les égaler, mais il se débrouillait relativement bien et possédait un esprit vif et surtout un Don puissant, ce qui faisait de lui un redoutable adversaire en cas de combat mortel.
Arrivé au bout du couloir, Caym laissa disparaitre son dessin. Une lourde porte en bois sculptée s'offrait à eux. Le mercenaire ouvrit un battant et s'effaça, laissant à la nouvelle recrue le plaisir de la découverte.
La salle d'entrainement des envoleurs était constamment en activité. Quelques sphères lumineuses éclairaient la pièce, d'où se dégageait une importante force et concentration. Tous ici dégageaient une aura impressionnante. Ils étaient l'ombre du Chaos, insaisissables mais mortels.

Un des envoleurs s'approcha des nouveaux arrivants et après avoir questionné Cali du regard fit signe à la jeune femme se s'avancer. Le message était passé. Une ancienne marchombre. Le test allait débuter. Un test physique, mais surtout psychologique.

Marcher dans son propre chemin

Caym hésita un instant à retourner à ses occupations, il avait des choses très importantes à faire, mais… Il était curieux. Curieux. Curieux de voir ce qui allait se passer. Curieux de voir comment un envoleur pourrait démasquer une éventuelle traitresse. Curieux de savoir si cette fille allait véritable rejoindre leurs rangs.
Elle ne lui avait d’ailleurs toujours pas offert son nom.
Peu lui importait, elle serait bien obligée de le lui dévoiler avant de s’avancer sur la voie du Chaos, il restait le chef et tous devaient obtenir son accord avant de former des apprentis.

Laissant l’ancienne apprentie marchombre pénétrer sur le tapis et ôter ses chaussures, se préparant au combat, il observa les autres apprentis. Tous étaient vêtus d’une même tenue en lin noire, épousant leurs mouvements et les laissant parfaitement libres. S’ils étaient formés pour devenir envoleurs ils ne le deviendraient pas de suite. Ils allaient devoir passer le rang de mercenaire du chaos et officier au même titre que tous les autres de la guilde. Ils avaient simplement des maîtres assez particuliers afin de les lancer sur la voie. Beaucoup d’apprentis venaient également de temps à autre dans ce dojo obscur pour s’entrainer, les mercenaires cherchaient à exceller dans le plus de domaines possible, et les envoleurs étonnaient par leur rapidité, leur souplesse et leur force. C’était un mélange étonnant qui faisait beaucoup d’envieux, mais également beaucoup de jaloux.

Reportant son attention sur la nouvelle, Caym remarqua que les échanges de coups avaient débutés. L’envoleur avait très largement le dessus, ça crevait les yeux. Mais il proposait de nombreuses feintes, laissant sa garde partiellement ouverte. Dès que la marchombre cherchait à s’y engouffrer, il refermait le piège sur elle. C’était comme une danse psychologique. Un maître enseignait à un élève.
Il lui montrait milles astuces, ne cessant de montrer à sa nouvelle recrue combien elle ignorait. C’était une démonstration de puissance et de supériorité. S’y rallierait-elle ? Accepterait-elle cette domination totale qui lui permettrait de devenir une femme terriblement puissante et mortelle ?
Lui laissant la possibilité de décider, l’envoleur se détourna du combat. Un apprenti à quelques mètres de là venait de s’écrouler au sol. Sa dague ensanglantée avait glissée sur les tapis, jusqu’à parvenir pratiquement au pied de la nouvelle venue. C’était sa chance. Son ultime test. Que ferait-elle ?

Dos à elle, son adversaire ne faisait plus vraiment attention à elle.
Elle pourrait l’attaquer et peut-être remporter fugacement le dessus dans ce bref combat. Elle pourrait ramasser l’arme et s’en servir, sous l’effet de la surprise elle pourrait éventuellement le tuer. Elle pourrait attendre ou s’enquérir de l’état de l’adolescent. Tant de chemins s’offraient à elle en cet instant et Caym l’observa. Il avait pratiquement disparu de la scène, et si ses yeux fixaient le corps de l’apprenti, il restait aux aguets, il ne laisserait pas l’envoleur mourir un poignard entre les omoplates. Il était fort probable que celui-ci soit sur ses gardes, mais il préférait être plus prudent. L’option de ramasser la dague pour s’en servir était la plus mauvaise d’entre toutes, elle prouverait certes la volonté de tuer mais également l’irrespect entre tous, la trahison. Le chaos est certes chaotique, il n’en reste pas moins une grande famille et lorsqu’on est en bas de l’échelle, tout aussi belliqueux qu’on soit, il faut savoir courber l’échine devant les plus puissants.

Bienvenue au sein du Chaos

La rousse ramassa l’arme et contre toute attente se dirigea vers Caym. Cette fille était surprenante.

-Je me nomme Edelwein

L’unique réaction que se permit Caym fut un petit sourire en coin, un brin moqueur. Elle daignait donc lui offrir son nom. Comme quoi, l’envoleur avait su arriver à ses fins et la mener là où il le désirait. L’épreuve n’était pas finie, loin de là, mais c’était un début encourageant.
Le mercenaire ne fut donc pas si surpris lorsqu’Edelwein s’adressa à l’envoleur sans lui montrer la moindre trace de perfidie. L’homme secoua la tête en réponse à la question de la jeune femme puis prit la parole.

-Cette arme est dorénavant la tienne. Sache qu’ici, tout se mérite et si les choses t’échappent des mains, il y aura toujours une personne pour s’en saisir avant que tu ne puisses rectifier ton erreur. Le moindre faux-pas est mortel.

L’homme venait de plonger ses yeux bleus dans ceux de la jeune femme. Ses yeux si froids et si envoutants. La sondèrent durant de longues minutes, s’isolant du monde extérieur, comme s’ils n’étaient plus que deux au monde.
De loin, Caym ne sut pas réellement ce qui s’était passé, s’ils s’étaient parlé, s’il s’était contenté de fixer son âme… et il ne le saurait probablement jamais. Tout est-il que l’envoleur vint à ses côtés tandis qu’Edelwein restait près des autres mercenaires qui reprenaient leur entrainement, y compris l’apprenti blessé. Une fracture ouverte mais personne ne semblait vouloir l’aider à soulager sa douleur, et à son comportement il était évident qu’il ne voulait aucune aide. Il fusilla du regard celle qui lui avait pris son arme et l’insulta.
Laissant les deux recrues s’occuper de leurs affaires, tant qu’elles restaient toutes deux en vie, le mercenaire discuta rapidement avec l’envoleur qui souhaitait former cette nouvelle recrue. Elle avait un grand potentiel et si Caym l’avait menée à lui, c’est qu’elle n’était pas encore totalement fiable et seul un envoleur expérimenté et soigné saurait l’attacher totalement au chaos. Caym hocha la tête, le Chaos avait dorénavant une nouvelle apprentie.

Le mentaï s’approcha des deux jeunes gens échauffés et par sa présence calma immédiatement l’apprenti blessé. Sans un regard pour lui il se tourna vers Edelwein.

-Edelwein. Tu viens de rejoindre les rangs du Chaos, Darnil t’enseignera la Voix et j’espère que tu sauras t’en montrer digne. Lui seul sera apte à te juger prête, ta formation pourra durer deux ans, comme cinq ou à peine quelques mois. Tu lui devras une parfaite obéissance jusqu’à ce qu’il te libère et que le conseil du Chaos ou moi-même t’offrions le titre de Mercenaire du Chaos. Tu dois également le respect à tes ainés et supérieurs.

D’un signe de tête, il conclut son rapide discours.

-Je laisserais à Darnil le soin de t’expliquer toutes les règles à connaitre lorsqu’on fait partie intégrante du Chaos. Bon courage.

Il observa attentivement une dernière fois la nouvelle et se détourna après avoir salué Darnil d’un signe de tête. Il se dirigea rapidement vers la sortie et gravit les marches. Il devait être un des rares mentaïs à préférer utiliser les portes et escaliers plutôt qu’à effectuer un pas sur le côté. Drôle d’habitude, certes, mais il n’avait jamais réellement su s’en débarrasser. Derrière lui les combats reprenaient. Devant lui, la forteresse du Chaos, ses mystères, ses horreurs et son odeur de Chaos.