Le voyage jusqu'au Pollimage s'est déroulé sans encombre, Esrin ayant emprunté une route fréquentée et sûre. Même si la fatigue accumulée depuis le début de la chasse se faisait toujours sentir, le légionnaire profitait de cette chevauchée calme et sans danger. Il avait tout de même accéléré le pas, pour essayer de gagner du temps sur ses concurrents. Il mit moins d'une semaine pour atteindre le lieu de rendez-vous, où Neleam, la Chevalière, l'attendait déjà. L'aveugle était heureux d'avoir de la compagnie pour le reste de l'aventure et il savait pouvoir compter sur son expérience et ses capacités pour l'épauler dans les situations difficiles. Et de cette manière ils n'auraient pas besoin de s'encombrer de chuchoteurs pour pouvoir communiquer.

Ils prirent le bateau pour atteindre l'autre rive du majestueux fleuve, tandis qu'Esrin apprenait à connaître la jeune femme. Il essayait d'être un interlocuteur attentif et amical, peu habitué à l'exercice de la discussion au sein de la Légion. L'aveugle appréciait la bonne humeur, particulièrement contagieuse, de la chevalière. Même s'il n'osait pas trop s'ouvrir, au contraire de sa camarade d'aventure, il participait toujours aux débats et donnait son analyse quand il le sentait nécessaire. Il lui semblait que sa bienfaitrice était aux petits soins avec lui, ce qui l'avait fait tiquer dans un premier temps. Lorsqu'il protestait, avec humour, à ce propos, elle lui rétorquait qu'il avait besoin de repos suite à son voyage jusque-là. Neleam était vraiment une personne formidable.

Après quelques jours de chevauchée, le légionnaire remarquait que la chevalière prenait le temps de décrire les paysages, essayant de mettre des mots sur ce qu'elle voyait. Esrin découvrait ainsi des lieux jusque-là totalement invisibles pour lui, rajoutant des images aux sons, odeurs et sensations. C'est avec une grande sincérité qu'il l'avait remercié ce soir-là. Elle ne pouvait pas savoir combien ce geste était un cadeau pour lui. Durant tout le voyage jusqu'à Ombreuse, les deux aventuriers partagèrent de nombreuses discussions, très souvent menées par la chevalière qui était la plus sociale des deux, mais l'aveugle commençait à s'exprimer de plus en plus facilement. Et il avait découvert que son humour avait une admiratrice.

Ils surent qu'ils étaient arrivés à leur destination avant même d'entrer dans les bois. Ils ressentaient de la malveillance, une puissante envie de faire demi-tour provenant d'Ombreuse. Cette force maléfique avait été créé par les Mercenaires pour repousser les curieux et les éloigner de leur Cité, située au centre de la forêt. Malgré leur chute, les dessinateurs de l'Empire n'ont jamais réussi à annuler ce pouvoir. Ombreuse... Esrin s'y était rendu, avec la Légion et toute une armée venue des quatre coins de l'Empire, pour trouver et détruite la Cité du Chaos. Il y avait retrouvé Yaan, le chef de la caravane de ses parents. Le jour où il avait repris espoir. Même si aujourd'hui sa quête n'avait pas avancée, se souvenir de ce jour lui fit promettre de ne jamais abandonner.

Avant de pénétrer dans le bois inquiétant, les deux compagnons laissèrent leurs montures au niveau de la lisière. Etrangement, Neleam écrivait un mot avant de le laisser sur sa selle. Curieux, Esrin lui en demanda le contenu, et lorsqu'elle lui répondit il eut un grand rire. Il lui demanda, toujours le sourire aux lèvres, si elle pouvait faire de même pour sa propre monture. Ils s'efforcèrent ensuite dans Ombreuse, leurs sens attentifs et leurs armes prêtes à servir.

La forêt recélait de nombreuses surprises, et pas des plus agréables. Neleam et Esrin devait se couvrir l'un et l'autres, attentifs au moindre bruit et à la moindre activité. Plusieurs heures passèrent, leur concentration était à rude épreuve, mais pour l'instant aucun animal n'avait semblé vouloir s'en prendre à eux. Il faut dire que la chevalière avec son arme, Emryss dont le légionnaire avait appris l'existence un peu plus tôt, était intimidante. L'ambiance changeait à fur et à mesure de leur avancée, ce que l'aveugle ne parvenait pas à expliquer. Il sentait qu'ils approchaient du centre névralgique de tout ce pouvoir malveillant. La Cité du Chaos ?

C'était bien le cas. La chevalière lui avait indiqué qu'ils étaient arrivés. Esrin avait une sensation étrange en revenant dans ce lieu. Il se souvenait de la bataille, de tous ses camarades tombés au combat, de sa découverte inattendue au fin fond des caves de la cité... En un instant sa concentration disparut, laissant place aux remords et à la peur. La puissance maléfique qui hantait ces lieux commençait à exercer son influence sur l'esprit du légionnaire, qui ne sen rendait plus compte, absorbé comme il l'était dans ses souvenirs. Il perdait prise dans la réalité, comme cela lui arrivait souvent sans prévenir. L'aveugle ne repéra pas le félin qui bondissait sur lui, les griffes ouvertes, tel un démon venant lui apporter la mort depuis le ciel.

- Attention !

Esrin se réveilla en sursaut de sa torpeur et il roula sur le côté par pur réflexe, évitant de justesse les griffes acérées qui l'auraient réduit en charpie. Neleam, qui avait criée pour le prévenir s'interposa entre lui et la bête. Le légionnaire se relevait à peine que le félin avait déjà été tué par la chevalière. Il était encore choqué par les évènements, mais il était conscient du danger qu'il avait courir à leur groupe en perdant ainsi ses esprits. Il s'en voulait terriblement d'avoir faibli au point de succomber à l'influence d'Ombreuse. Quand sa compagne lui avait demandé s'il allait bien, il s'était renfermé, renflouant ses démons le plus loin qu'il le pouvait en lui-même. Elle venait de lui sauver la vie, il ne voulait pas qu'elle s'inquiète pour lui.

Suite à cet accident, ils décidèrent de faire une pause dans les ruines de la cité. Le légionnaire était très attentif, souhaitant faire oublier sa faiblesse. Ils étaient entourés par des bruits étranges et menaçants, qui mettaient les nerfs des deux compagnons à vif. Pourtant, un de ces bruits semblait étrange pour l'ouïe fine d'Esrin. Il était différent, rassurant, bienfaiteur. L'aveugle mit un certain temps avant de pouvoir l'isoler afin de pouvoir mieux l'analyser. Il lui rappelait quelque chose, un animal qu'il serait surprenant de trouver dans cette forêt maudite. Le cri d'un siffleur. Il retentit plusieurs fois, assez fort pour que Neleam s'en rende compte à son tour. Intrigués par la présence de cet animal, ils choisirent de suivre son cri.

Celui-ci les mena en dehors d'Ombreuse, à l'endroit où ils avaient laissé leurs chevaux. Habitué aux évènements étranges depuis le début de la chasse, Esrin ne fut pas surpris lorsque, pour une nouvelle fois, la voix de Merwyn résonna dans sa tête pour lui énoncer une énigme.

Trouve puis remonte l’indolent
De part en part l’Empire traversant
Sous un majestueux pont passant
Et dans de froids monts se terminant
Déniche-le, remonte-le et chez les gens de mon sang,
Dans la plus haute tour tu appelleras « Milan »

La voix était si douce, si apaisante après leurs mésaventures dans la forêt. Neleam et Esrin prirent le temps de réfléchir à ces vers, mais cela fut rapide car tout était clair dans leurs esprits.

- L'indolent est le Pollimage, nous le suivrons jusqu'à atteindre la Citadelle, bastion des Frontaliers du Nord. Nous y trouverons Milan dans la Vigie, la plus haute tour.

Le légionnaire avait pris la parole, non parce qu'il ne faisait pas confiance à sa compagne, mais parce qu'il était le coureur, lui seul devait résoudre ces mystères s'il voulait atteindre les artefacts de Merwyn. Ils reprirent la route, impatients de découvrir ce que leur réservait le vieux dessinateur et les merveilles qu'ils allaient trouver.