Il était idiot, et il le savait. Y retourner était une mauvaise idée. La revoir était une mauvaise idée. Mais c'était plus fort que lui. Cela faisait trop longtemps. Son sourire, sa voix, son odeur...
Layna.
Sa première conquête, son premier amour, sa première fois. Près de quatre ans qu'ils s'étaient quittés, près de quatre ans que leurs chemins s'étaient séparés. Quatre ans qu'elle hantait ses nuits, quatre ans qu'il se réveillait au moins une nuit par semaine en hurlant son nom. Quatre ans d'atroce solitude, quatre ans de liberté. Il s'était promis de ne plus l'aimer, promis de l'oublier. De la haïr même, peut-être. Oui, la haïr. La haine est une passion, après tout, et la passion, Evan en manquait. De la sienne surtout. Ses bras, sa peau, ses courbes...
Le Raï faillit le surprendre.
Un guerrier au faciès de cochon, petit, à la peau verdâtre et au groin cerné de crocs, jaillit d'un bosquet au bord de la route. S'évader, partir dans ses pensées, Evan avait l'habitude de le faire. Cette fois, cela manqua de lui coûter la vie. Le Raï bondit de sa cachette et percuta Evan, sur le dos de Soupir, et tous les deux roulèrent au sol. Evan parvint à se relever et tira son couteau de chasse de sa botte. Le cochon se releva aussi et se jeta sur Evan une seconde fois. Cette fois, le Dessinateur put l'éviter sans grand peine. Il profita même de l'élan de son adversaire pour lui mettre un coup de pied entre les omoplates. Le raï s'étala de tout son long, et avant qu'il ait pu esquisser un mouvement, la terre sous lui se déroba, s'affaissa lentement. Horrifié, le cochon se vit s'enfoncer dans le sol, devenu soudain très humide. Ses bras et ses jambes furent prisonnièrs de la boue. Evan s'approcha de sa victime et lui trancha la gorge d'un geste net.
Un bruit derrière lui le fit se retourner. Il eut un hoquet de stupeur. Dix raïs lui faisaient face. Sans plus réfléchir, Evan se précipita sur Soupir, sa jument. Fuir? Bien sûr que non! Il allait juste libérer sa sœur, et ses saletés de cochons allaient la sentir passer. La gourde d'Evan émit un "plop" sonore lorsqu'il en ôta le bouchon. Ses yeux virèrent au bleu, et il passa à l'action.
Il plaça la gourde à terre et raffermit sa prise sur son arme. Il prit une grande inspiration. Le premier Raï se rua sur lui. De l'eau jaillit de la gourde posée sur le sol et se précipita sur l'ennemi. A l'ultime moment, elle prit une forme pointue et gela. Un poignard de glace se ficha dans le cœur du cochon. L'action n'avait pas duré deux secondes. Déjà, Evan se remettait en mouvement. Il se précipita sur un raï. La meilleure défense reste l'attaque. Il évita un cimeterre éméché d'un mouvement du buste et ficha sa lame dans le cou de son adversaire dans un cri de rage. Et de deux. Trois autres cochons se ruèrent sur Evan. Une bourraque les repoussa et ils atterrirent dix mètres plus loin. De l'eau s'échappa de la gourde et le même sort fut réservé aux cochons sur le sol. Cinq. La moitié. Les raïs, conscients que leur méthode ne fonctionnait pas terrible, ralentirent la cadence et prirent le temps de jauger leur adversaire. Evan fit de même. Son cerveau calculait déjà les trajectoires, prévoyait chaque geste. Lentement, une chorégraphie prit forme dans la tête du jeune Dessinateur. Lui, là, allait venir et brandir son cimeterre, alors il n'y aura juste qu'à lancer le couteau, au niveau de la faiblesse des plaques de protection, au niveau de l'aisselle. Puis lui, là tenterait un coup de taille. Alors il n'y aura juste qu'à...
Les ennemis passèrent à l'attaque. Tout se déroula comme prévu. Le couteau se ficha dans la chair du cochon avec un bruit mat. Six. Evan se jeta à plat ventre, se releva, derrière son ennemi. Il le saisit par les épaules et le retourna, s'en servant de bouclier. Ce dernier se fit empaler par son propre coéquipier. Sept. Une pointe de roche extraite du sol se ficha dans le corps de l'agresseur. Huit. Plus que deux. Les guerriers cochons se ruèrent simultanément sur Evan. Ce dernier se jeta en arrière et roula sur le dos. Dans le même mouvement, il s'empara de la lance sur le sol et n'eut qu'à la redresser. Le neuvième raï s'empala tout seul. Derechef, Evan bondit en arrière, le raï sur ses talons. Il s'empara de son couteau resté planté dans le corps de sa première victime et se rua sur la dernière. Le raï abattit sa hallebarde. Evan se décala légèrement de côté. L'arme se planta dans le sol meuble. D'un coup de pied rageur, Evan cassa le manche de bois, et dans le même mouvement, pivota sur ses hanches, frappa. Son couteau se planta dans la mâchoire de l'ultime cochon, de bas en haut.
Evan retira sa lame et laissa sa victime s'écrouler sur le sol et agoniser.
Dix.
•
Il était reparti depuis un quart d'heure lorsqu'il l'aperçut enfin. La Citadelle! Un frisson lui parcourt l'échine alors qu'un sentiment de plénitude l'envahissait. Il était surpris d'avoir été attaqué par des Raïs si près de la citadelle. Les temps étaient sombres, et les comportements inhabituels. Il ferait part de sa confrontation aux Frontaliers.
Evan talonna Soupir.
- Allez ma grande, on y est presque, courage!
Evan arriva à la Citadelle en fin d'après-midi. Il déposa sa jument dans les écuries, qu'il connaissait bien, et entra, après s'être présenté aux deux hommes qui gardaient l'entrée. Une vague de souvenirs le submergea alors qu'il regardait le décor qui l'entourait. Un an. Il était resté un an. C'était si peu, et c'était tellement. Un an durant, il y avait subi un entraînement intensif, s'était endurci. Le Dessin ne pouvait être sa seule arme. C'est certainement cette année qui lui avait sauvé la vie un peu plus tôt dans la journée. Il y avait rencontré Layna, Frontalière farouche. Au bout d'un an, il lui avait annoncé qu'il voulait partir, qu'il avait besoin d'air, de liberté, d'aventure. Elle avait tenté de l'en dissuader, il a tenté de l'emmener. Finalement, chacun avait pris sa décision, et l'histoire s'est arrêtée là.
Evan prit rendez-vous auprès du seigneur des marches du Nord. Après d'émouvantes retrouvailles, les deux hommes s'étaient en effet rencontrés et beaucoup appréciés, Evan fit part de sa découverte à son ami. Un pli inquiet barra le front de l'homme. Ils en discutèrent encore un moment puis Evan prit congé, désireux de retrouver sa belle.
En passant près des cuisines, il croisa deux hommes tous deux armés qui discutaient. La réplique de l'un capta soudain toute son attention.
- ... compte me rendre à l’Œil d’Otolep. Je me suis toujours demandé si j’étais capable de m’y baigner. J’irai à cheval....
L'œil! Ce lieu mythique! Ce lieu où il avait conçu le plus beau de ses dessins. Il donnerait tout pour y retourner. *Eh bien va voir Layna et va à l'œil ensuite, tu n'as rien de prévu de toute façon. *Oui, mais si c'était un signe? Si le fait que je croise cet homme en cet instant parlant de l'œil était un signe? Un signe comme quoi il faut que je m'y rende?
Evan ne prit pas le temps de réfléchir plus, et décida d'agir comme il le faisait d'habitude: spontanément. Quand la chance passe, il faut s'en saisir et ne plus la lâcher. Il fit demi-tour.
Le temps qu'il réfléchisse, les deux hommes s'étaient envolés. Evan les chercha, et les trouva finalement dans la grande cuisine. Sans faire attention à ce qui l'entourait, il se précipita directement vers eux.
- Hé! Hé! Une minute!, les interpella-t-il. Une minute! Bonjour! Désolé de vous importuner. Je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre votre conversation dans le couloir. Vous comptez vous rendre à l'œil d'Otolep, c'est bien ça? Je m'appelle Evan, je suis Dessinateur. Je peux vous y conduire en un clin d'œil, sans mauvais jeu de mot.
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14.01.13 20:52
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23.01.13 17:56
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31.01.13 11:16
HRP: Dites-moi si ça vous convient et/ou s'il faut que je change un truc ;)
« ACCROCHEZ-VOUS, LES GARS. »
Evan attendait leurs réactions avec une certaine appréhension tout de même. Aussi bien, il venait de les brusquer, ou de les couper dans une discussion très importante. Aussi bien ils n’étaient pas commodes du tout et allaient lui mettre une raclée, et ce ne seraient pas les Frontaliers qui voleraient à son secours ! L’homme qui parlait au moment où il les avait interrompus prit la parole : - Un pas sur le côté ? Ce ne serait pas de refus, mais pourquoi… Il s’interrompit soudain et repris quelques secondes après, d’un ton tout à fait différent : - Désolé pour ce que j’ai failli dire, je parle trop vite. Avec plaisir. Je me nomme Eilar Nelan. En revanche, mon nouveau compagnon, Néo, souhaiterait plutôt partir demain, si ça ne te dérange pas. Fixons cela à l’aube, d’accord ? Cela me laisse le temps de me reposer. Eh bien, on ne pouvait pas dire que ce gars-là traînait ! Bon, au moins, Evan était satisfait. Ce n’était pas aujourd’hui qu’il allait se faire remonter les bretelles. Mais vu l’allure des ces deux gars-là, il se doutait fort qu’il ne parviendrait pas à se tenir loin des ennuis ad vitam aeternam. Le second euh… bonhomme, prit la parole à son tour : - Je m'appelle Néo Lyama. Et oui, nous comptons bien nous rendre à l'Œil. Est-ce vraiment avec le pas sur le côté que tu propose de nous y emmener ? Je n'ai jamais utilisé ce moyen de transport. Je vais vous laisser. Devant les écuries à l'aube, ça vous va ? - Impeccable ! , répondit le Dessinateur. Puis Néo partit sans demander son reste ! - Bah dis-donc les gars, ont peut pas dire que vous trainiez vous hein ! Vous êtes même un peu… Un peu survoltés non ? Allez les gars, on s’en va casser du Raï !! C’est un peu comme ça que ça marche non ? Devant l’impassibilité de mon partenaire, Evan choisit néanmoins de ne pas me démonter. - Roooooooh allez !! Lâche-toi un peu vieux, tu vas pas te faire attaquer ! Eilar répondit enfin quelque chose qui fit rire le jeune Dessinateur, puis après quelques minutes à bavarder, ce dernier s’en alla trouver un endroit où dormir. Elle n’était pas à la Citadelle. Layna. Evan eut du mal à contenir sa déception. Dépité, il ne parla à personne de la soirée et alla se coucher, pressé de se rendre à l’Œil. Le lendemain, il se leva de bonne heure et après un copieux petit déjeuner, empaqueta ses affaires, pas grand-chose, et se mit en route pour les écuries. Il y trouva Soupir, sa chère jument. Il la caressa de longues minutes et détacha son arc de la selle qu’il enfila en bandoulière ainsi qu’un carquois rempli de flèches Il s’empara d’une flèche au manche brisé. Un bref saut dans l’Imagination et elle était réparée Ses affaires prêtes, Evan se rendit dans l’étable y trouver ses compagnons. Ils étaient là tous les deux. - Alors, bien dormi ? C’est le grand jour aujourd’hui hein ! Bon allez, j’essaie de détendre l’atmosphère j’avoue mais je stresse un peu c’est vrai. A vrai dire, c’est la première fois que j’essaye ! Il leur adressa un clin d’œil, de telle manière qu’ils ne purent savoir si il blaguait ou non. - Bon, vous avez toutes vos affaires ? Alors on y va. J’ai accès à l’Imagination, je viens de vérifier. Donnez-moi vos mains… Evan ferma les yeux. Aussitôt apparurent dans sa tête les Spires, un nombre de chemin infini. Il ne savait pas très bien comment s’y prendre, la seule fois qu’il avait fait un pas sur le côté, c’était un peu involontaire… Peu à peu, il visualisa l’Œil. Il s’était rendu une fois, mais malgré tout, chaque détail était précis dans sa tête. Evan se savait être un Dessinateur hors du commun, dans le sens où sa maîtrise sortait de l’ordinaire, mais il ignorait s’il serait capable de transporter les deux hommes en même temps. Son pas sur le côté était presque terminé. Tout aurait pu se dérouler comme prévu. Aurait pu. Si un cheval n’avait pas renâclé. Le renâclement du cheval rappela à Evan l’un de ses nombreux souvenirs en tant qu’éclaireur dans les convois, un jour qu’un tigre des prairies les attaquait. Dans les plaines de Shaal. Ils disparurent.
*
Dans la seconde, ils se matérialisèrent dans un autre lieu. Evan chercha l’Œil du regard mais ne vit que des plaines. A perte de vue. De l’herbe, partout. Partout, de l’herbe. Un bruit le fit soudain se retourner. - Par la Dame… Un tigre, un bon mètre au garrot, se redressait doucement. Et derrière lui, trois autres. - Ok les gars, on panique pas, okay ? Il suffit de ne pas faire de bruit. Le tigre leva soudain les yeux sur eux et sembla comprendre ce qu’il se passait. Sembla comprendre que le repas venait de lui être servi sur un plateau d’argent. Ou plutôt sur un plateau d’herbe, parce qu’il n’y avait que ça dans les plaines. Le tigre rugit soudain, si fort que son haleine agita les cheveux du Dessinateur. - ON COURT !!!! , hurla-t-il à ses compagnons, puis, faisant demi-tour, prit ses jambes à son cou. Il crut voir un de ses camarades dégainer son arme et cria que ça ne servait à rien, qu’ils ne pourraient jamais s’en sortir face à quatre tigres enragés. Il accéléra le pas. Derrière lui, les tigres venaient de se mettre en mouvement, et rattrapaient déjà la maigre avance qu’ils avaient réussi à prendre. Evan percuta soudain. Le Dessin bien sûr ! Il se retourna et plongea dans l’Imagination. Aussitôt, un mur de pierre de deux mètres jaillit du sol et les tigres vinrent s’encastrer dedans. - Vous voyez ? C’est pas si terrible que ça final… Il s’interrompit aussitôt lorsqu’une des bêtes bondit par-dessus son mur de fortune. - Oh ho ! Ok les gars, on reste calme… La bête rugit à nouveau. Evan dégaina lentement son arc. Non, il n’aurait pas le temps. Ille rengaina aussitôt. Il jeta un rapide coup d’œil à ses compagnons. Ils avaient le visage fermé. - Je vais arranger ça…, risqua Evan. Il sortit une flèche de son carquois. Le tigre se ramassait. Un plan prenait forme dans l’esprit du jeune homme, mais il fallait être complètement fou pour le tenter, et complètement chanceux pour le réussir. Derechef, Evan se glissa dans les Spires. Il visualisa la flèche. Dans la tige en bois, il plaça lentement de la puissance. Le bois, la terre, l’un des éléments. Et ça, c’était son rayon. Il plaça donc de la puissance dans le fin bout de bois, toujours plus de la puissance, jusqu’à ce que la flèche menace d’exploser. Alors il ouvrit les yeux. - Accrochez-vous les gars. Le tigre ramassa sa prodigieuse musculature et bondit sur les trois hommes. Alors Evan saisit sa flèche à une main et la planta d’un geste rageur dans le sol en poussant un cri. Aussitôt, celui-ci se fendit sur plusieurs dizaines de mètres et les deux parties se détachèrent soudain l’une de l’autre dans un tremblement terrible. La faille fit en une fraction de seconde deux mètres de large. Evan y poussa ses compagnons, bon gré mal gré, et sauta à son tour, juste à temps. Le tigre passa au-dessus de leurs têtes, qu’il aurait dû arracher du reste de leur corps d’un mouvement de patte. La terre du sol ne s’était désolidarisée « que » sur vingt mètres en profondeurs et déjà les compagnons s’en rapprochaient dangereusement ! Evan saisit la manche d’un, le poignet de l’autre et se glissa dans les Spires.
*
Le tigre, rageur, chercha les humains du regard. Personne. Il s’approcha de sa démarche féline du bord du trou. Personne.