Erys était accoudée au bar du « Chevalier qui Gondole » lorsque la bagarre éclata. Elle venait de rentrer à Al-Jeit (comme à chaque fois qu’elle atteignait la ville, elle était émerveillée par l’Arche et les bâtiments) après une mission assez compliquée et éprouvante et avait eu besoin de se détendre. Elle s’était donc tout naturellement rendue à l’auberge qui constituait le tripot des Chevaliers. Elle n’y était pas une franche habituée, loin de là même, mais commençait à connaitre du monde et, surtout, à connaitre le type d’ambiance qui y régnait. D’ailleurs, elle était très reconnaissante envers l’aubergiste de les laisser se défouler. La plupart de ceux qu’elle connaissait aurait directement foutu à la porte la bande de joyeux lurons qu’était les chevaliers tandis que celui-ci acceptait gaiement les bagarres et les verres cassés qui étaient le lot quotidien de la taverne.
La jeune femme était donc en train de siroter tranquillement son verre de bière en discutant avec son compagnon de bar, un gentil gars dont elle avait fait la rencontre quelques temps auparavant, lorsque les premières provocations fusèrent.
- Eilaaaar ! beugla un chevalier, passablement ivre au vu du son de sa voix. Te fous pas de moi, tu fais pas le poids ! Viens, je vais te montrer !
- Non ! Non, je suis pas très en forme là, Béric. Une autre fois ?
Elle fronça les sourcils. Elle ne voyait pas le « Eilar » en question mais il avait tout l’air d’être un pleutre indigne s’il refusait une bonne bagarre ! Qu’est-ce qu’il fichait ici ?
- Lâche ! Tu te défiles ! J’ai entendu que tu te battais comme un puceau ! Ca serait pas pour ça ?
- J’ai pas très bien entendu Béric. Mais je crois que tu m’as insulté, non ?
Erys sourit. Elle préférait ça ! Une bonne bagarre se profilait. Comme son compagnon de bar, elle s’approcha des deux hommes, son verre encore en main et se fraya un passage au milieu de la foule qui commençait à se former. Sa chope lui échappa des mains pendant ce temps et elle jeta un coup d’œil courroucé au responsable. Enfin, elle se trouva au premier rang après avoir perdu son ami dans la foule.
Elle découvrit avec étonnement que le plus sobre des deux, sans doute Eilar, portait une hallebarde. Etrange arme pour un chevalier… Mais elle n’était pas des mieux placées pour faire une remarque. Elle ne fut pas la seule à s’apercevoir de la présence de l’arme non conventionnelle, puisque le dénommé Béric lança :
- Hey, c’est à mains nues, Nelan !
- J’espère que ton corps est plus développé que ta mémoire, Roner ! Rassure-toi, je la garderai dans mon dos.
Erys haussa un sourcil. Allons bon, ainsi ce n’était pas la première fois qu’ils se défiaient ? Bah, elle aurait pu s’en douter, s’ils étaient des amateurs de la taverne. Des bagarres éclataient tout le temps et pour n’importe quoi au Chevalier qui Gondole.
Au bout de quelques secondes, une jeune femme vint se placer aux côtés d'Erys, suivant le combat d'un regard brillant. Après un instant, elle se tourna vers celle-ci et demanda :
- Qu'elle est la raison de cette histoire si je puis me permettre ? Je te propose que l'on intervienne, qu'est ce que tu en dis ?
Erys détailla son vis-à-vis. Une jeune femme brune qui, de toute évidence, n’était pas chevalier. Cela se sentait à… quelque chose. Elle ne savait pas trop quoi. L’inconnue était une guerrière sans aucun doute, mais elle n’avait pas ce truc que dégageaient ceux de sa guilde. Que venait-elle faire ici alors ? Elle se promit de lui demander et répondit :
- Le saoul là-bas a déclaré que Mister hallebarde se battait comme un puceau. Mais je suppose qu'ils auraient trouvé un moyen de se battre même sans ça, fit Erys en haussant les épaules. Quant à intervenir... Ben, pas de bol c'est fini.
En effet, pendant que les deux demoiselles discutaient, le chevalier insulté avait envoyé l'autre au sol. L'adversaire vaincu avait l'air de se demander comment il était arrivé là et la nouvelle venue afficha un air déçu.
- Pas mal ! Nous sommes désormais partagés : Eilar est-il vraiment un homme, ou est-ce que Béric était tout simplement trop faible ? Si Eilar avait bu…
La voix s'était élevée quelque part sur la gauche, volontairement blessante. Eilar aurait-il des relations pas très cordiales avec certains chevaliers ?
- Je suis soupçonné d’être puceau quand même, c’est ça ? Que voulez-vous, c’est vrai ! Et vous savez pourquoi ? C’est toujours pareil : elles demandent toujours de choisir entre leur lit et ma hallebarde ! Le choix est hélas vite fait.
Un premier rire retentit derrière elles, bientôt suivi de l'assistance entière tandis qu’Erys se contentait d’un sourire. Visiblement, le gaillard ne manquait pas d’humour. Elle s’avança :
- C’est que tu ne choisis pas les bonnes femmes, Eilar (puisque tel était son nom autant l’employer). Moi, je ne refuserai pas cette belle hallebarde mais t’accepter toi ça reste à voir, plaisanta-t-elle.
Béric, qui s’était relevé, éclata d’un rire d’ivrogne avant d’aller se laisser tomber sur le banc le plus proche, manquant d’en tomber à la renverse.
- Je m’appelle Erys. Et ton joujou a une sacrée gueule, dommage que tu ne t’en sois pas servi. C’aurait pu être très intéressant.