Je marchais. Je marchais avec une direction, avec un but. La mer. Je ne comptais plus les kilomètres que je laissais derrière moi, mais j’appréhendais chaque mètre qui me séparait dans mon objectif, chaque mètre qui me rapprochait de ma délivrance. Je chassais encore et encore une petite voix dans ma tête qui me demandait ce que j’allais faire si je ne trouvais pas de moyen de traverser. Je la repoussais donc encore et encore. En fait, plus que cette voix, je chassais la perspective que je puisse parvenir au bord de l’eau, et ne rien y trouver. Que deviendrais-je alors ? Ma famille et ma famille, loin. Seul au bord de l’eau et en fin de désert.
Agael grimpa dans mon dos et se jucha sur mon épaule.

- On arrive bientôt mon grand… On arrive bientôt…

Plus que la certitude, c’était l’espoir qui parlait.


Le doute commençait à s’installer lorsque je le vis enfin. En de multiples points semblable à l’un des nôtres, voiles repliées, un navire mouillait dans l’eau d’un bassin qui s’avançait timidement sur les terres. Une vague de soulagement déferla sur moi, et je m’élançai en avant. Je tenais mon billet de départ. Destination : l’inconnu.


Je me dissimulai derrière l’un des rares buissons qui osaient pousser dans le coin. Le doute pointait de nouveau le bout de son nez. Quels genres de navires visitent ces coins-là ? Certainement pas des marchands, encore moins des aventuriers. L’évidence s’imposa à moi. Il s’agissait de pirates. Deux hommes qui passèrent devant moi sans me voir, heureusement, confirmèrent mes impressions. Barbe qui mange le visage, habits sales, un langage bien particulier. Il ne pouvait que s’agir de pirates. Mais alors comment allais-je monter ? Je n’avais pas d’autre moyen !! Laisser ce navire partir et attendre qu’un autre passe dans le coin, qui ne soit pas pirate, relevait de l’impossible ! Non, il me fallait prendre celui-là. Le délicat de la chose étant qu’il ne fallait pas que les pirates l’apprennent…

- Tu restes silencieux Agael. Il peut s’agir de notre survie !

J’ignorais combien de temps j’allais devoir rester cachée sur le navire. Sans manger ni boire, et dormir avec un œil ouvert, question de vigilance… L’adrénaline se dilua dans mes veines. L’aventure commençait. Je n’étais qu’à la première étape de mon voyage et déjà je jouais ma vie. J’avais peur. Mais je n’avais pas le choix. Je ne pouvais pas faire demi-tour. Alors il me fallait aller de l’avant.

Vers ce bateau pirate.


J’ignore par où monter. La zone à traverser pour pourvoir approcher le navire est un no man’s land. Dès que je sortirai de ma plage caillouteuse, je serai repérable. Mon cerveau tourne à cent à l’heure tandis qu’il cherche une solution.

Une diversion.

Mais quoi ?

Ou alors… Non, c’était complètement fou… Mais censé, d’une certaine manière. De toute façon, je n’avais pas trente-six solutions. J’attrapai un morceau de bois proche, solide, et m’en servis de levier pour soulever une pierre. Celle-ci se détacha du sol et roula sur la plage jusqu’à l’eau dans laquelle elle plongea dans un bruit assourdissant. Aussitôt, je me mis à courir dans la direction opposée, courbée, Agael à mes côtés. Je vis quelques pirates courir dans la direction de mon vacarme, ce qui me libéra le champ. Pour quelques secondes seulement… Priant pour que personne ne regarde dans ma direction, je courus sur la plage en direction d’un canot. Je constatai avec soulagement qu’il n’était pas attaché. J’en saisis le bord et le traînai jusqu’à l’eau.

- Désolé Agael, mais il va falloir se mouiller..

J’entrai également dans l’eau et retournai le canot.

J’avais une chance sur mille pour que mon plan marche. Un canot retourné près du bateau, il n’y avait rien de plus suspect, d’après moi… J’espérais sincèrement que les pirates n’en penseraient pas autant, où alors j’allais passer un sale quart d’heure. Je marchais donc dans l’eau, un canot retourné au-dessus de ma tête, un singe sur mon épaule, vers un bateau pirate.

Rien de plus banal.

Lorsque je n’eus plus pied, j’agrippai les bords du canot en agitant les pieds pour avancer. Je n’eus pas à le faire longtemps. Je parvins à mon but. Sous mes pieds, quelques mètres en profondeur, l’ancre côtoyait le sable fin du fond de la mer. Et une corde crevait la surface jusqu’à la proue du navire. Ma porte d’entrée.

- Accroche-toi mon petit singe..

Je pris une grande inspiration et plongeai. Aussitôt je sentis les pattes d’Agael agripper mon vêtement. J’attrapai la corde qui reliait l’ancre au navire et m’en servis pour rejoindre la surface. Je fis dépasser ma tête et mes épaules, pour que mon pauvre petit singe puisse respirer.

- Vas-y ! Va voir s’il y a quelqu’un !

Agael comprit et grimpa le long de la corde. Il se jucha sur la balustrade et poussa un petit cri. Un seul. Ralliant toutes mes forces, je grimpai le long de la corde. Je réussis à attraper la balustrade, et, tirant sur mes bras, je passais par-dessus. Je m’affalai sur le pont, à bout de forces. Une petite patte me tira les cheveux. C’était Agael qui montrait une direction du doigt. A une quinzaine de mètres de moi, un pirate se tenait là, bouteille à la main, dos à moi. Je plaquai ma main sur ma bouche comme par réflexe. Et maintenant ? Que faire ? Quelques rires gras m’apprirent que des pirates revenaient. Je me mis à paniquer. J’attrapai un objet sur le pont et le lançai de l’autre côté, sans réfléchir. Le pirate à la bouteille tourna la tête dans sa direction. Une poignée de seconde. Ça me suffit. Sur la pointe des pieds, je passai à deux mètres de lui et descendis dans la cale. Juste avant de m’y engouffrer, j’aperçus la tête du premier pirate apparaître.

Une femme.

Je me dépêchai de trouver un endroit où me cacher. Heureusement, ils paraissaient tous de sortie puisque personne ne rôdait là. Je trouvais un recoin dans lequel étaient stockées des cordes, et je m’y assis, dans l’ombre.

Je croquai un bout de pain que j’avais trouvé et le tendis à mon petit singe pour qu’il puisse manger aussi un peu.

J’entendis des personnes s’approcher et mon cœur accéléra. J’avais peur. J’avais l’impression qu’on pouvait entendre mon cœur battre la chamade à des kilomètres. Mais personne ne me tira de ma cachette. Ils se mirent juste à parler. Ils étaient deux. Je tendis l’oreille…

- … ce soir. On a trop attendu. Je ne laisserai pas ce brin de femme me dicter ma conduite. Les autres sont au courant. Dès que le mât tombera, elle tombera aussi.

- Si tôt ? Tu ne préfères pas attendre ?

- Je n’attendrai pas une minute de plus. Tu te dégonfles ?

- Bien sûr que non ! Je dis juste que…

- Chut, quelqu’un arrive. On bouge !!

Des bruits de pas, puis plus rien. Je repensais à ce que j’avais entendu. Un complot ? Une mutinerie ? Quelque chose ne tournait pas rond sur ce navire. Je changeai de position pour être installée plus confortablement. Enfin, si on pouvait parler de confort dans cet espace exiguë…


Quelqu’un s’approche de moi, sabre à la main. On m’a trouvée dans ma cachette. Traînée sur le pont, et maintenant, on veut m’éliminer. Je dois faire quelque chose..

J’ai une idée. J’espère qu’elle est bonne, car ma vie en dépend..

- Attendez !! Attendez… Quelqu’un complote contre le capitaine de ce navire !

Une rumeur parcourt l’équipage.

Si la vie est un jeu de cartes, je joue la dernière de mon jeu.

- J'ai entendu une conversation. Une mutinerie se prépare, et je peux démasquer le coupable.