Quelque part au sud de Gwendalavir, Lavrenti Esmerol s'appliquait à dégager ses cheveux de son visage.
La mer s'agitait de façon incontrôlable. Tous les animaux marins que Lavrenti avait espéré apercevoir s'étaient mis à l'abri, bien au-dessous de la surface, évitant les tourments du vent et de la mer. Ce couple déployait son échange passionné sur des kilomètres, ou du moins c'était ce que semblait se produire aux yeux du sculpteur de branches. Le paysage tenait la marque de leurs baisers; le voilier de Lavrenti se trouvait tantôt dans une creuse vallée, entre deux immenses vagues sombres, tantôt il les surfait, le cri du vent dans la voile. L'ex-fils du Vent n'en demeurait survivant justement parce qu'il avait grandit sur un navire et qu'il était habitué aux caprices du vent, des herbes et aussi de l'eau. Pourtant, il se rendait bien compte qu'il n'était pas tiré d'affaire. Accroché au mat, il se demandait s'il devait regretter sa décision de prendre la mer comme ça, de tenter de renouer avec la voile. Regretter n'était pas un mot qu'il connaissait bien. Lavrenti était de ceux qui avancent, ou qui tournent en rond, dépendant de la perspective. Il préférait suivre le flot de son existence, qui ne l'attendait pas toujours avant de détaler à toute vitesse, au lieu de passer trop de temps à ruminer ce qui n'était plus. Depuis son navire, il se rendait bien compte que peu importait s'il avançait, reculait ou tournait en rond, il avait pénetré le coeur de la tempête et cette dernière n'allait pas le lâcher de sitôt.
Ce navire, petit et fier voilier qu'il avait acheté à la veuve d'un vieux pêcheur, peinait à supporter les tourments de l'océan. Cela dit, Lavrenti ne faisait pas non plus bon marin. Distrait, il marmonnait des jurons insensés, et identifia enfin la mèche de cheveux qui semblait vouloir l'étouffer. Le fil de sa frustration, prenant forme de mots, continuait son déversement chaotique, dont l'on put identifier "raser la tête" et "une khazargante uni-jambiste aurait été plus stable que cette fiente de voilier". Il soupira; comme on eut soupiré devant l'eau de la casserole qui mettait une éternité à bouillir, alors qu'on voulait notre tisane là, maintenant. Il déchira une lanière de la voile -elle était déjà pulvérisé- et s'en servit pour attacher sa crinière en un chignon déplorable.
-Bon, j'y vois plus clair, affirma le pauvre navigateur.
Qu'avait-il à voir, pourtant ? Cela ne lui servait pas à grand chose. Dans cet espace au tempérament infernal, sur son voilier à deux sous, il était aussi utile que la peau de banane qui ne cessait de glisser de babord à tribord. Elle parvenait à rester à bord du bateau, c'était déjà ça. Son contenu, ingéré plus tôt par Lavrenti, avait récemment été éjecté dans les eaux salées.
Il reçu une vague en plein visage. Il se gratta la barbe. Chercha une île, de la terre, quelque chose.
-Tu sais où on est, peau-de-banane ?
Il tenta de retrouver cette dernière, mais elle semblait l'avoir abandonné. Il était seul. Acceptant que son sort s'échappait ainsi entre ses doigts, il assembla sa harpe et se mit à jouer une mélodie qui semblait refléter sa misérable situation. Les vagues démoniaques captèrent le rythme de ses notes. Le ciel se referma au dessus du bateau, vaste masse noire, et Lavrenti gloussa.
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27.07.14 5:04
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29.07.14 5:07
Les vibrations des cordes de sa harpe, éveillées puis maintenues en transe par ses doigts, l'avait, d'un coup de revers habile, hypnotisé à son tour. Lavrenti s'était laissé bercé par ses mélodies et le roulis inquiétant du voilier. Les yeux fermés, l'ouïe ouverte uniquement à sa musique, il se croyait revenu parmi les Fils du Vent, bambin dans les bras de sa mère, s'endormant aux chants de son peuple. Il était retourné au point de départ de son existence, alors qu'il se rendait bien compte qu'elle pourrait prendre fin ici. Le Sculpteur de branches soupira, puis chassa doucement cette pensée ennuyante de son esprit.
Ainsi berçé, Lavrenti voulut retarder le moment où il dû ouvrir les yeux. D'un côté, il aimait bien se perdre dans les chemins infinis de son esprit; grandes avenues resplendissantes de vie et allées dissimulées qui zigzaguaient d'une extrémité à l'autre de son être. L'homme se perdait fréquemment en elles; elles lui apportaient réconfort, confiance et compagnie. Il pourrait s'éteindre là, comme endormit dans les méandres de sa vie, englouti et digéré par le Grand Océan du Sud. Il pouvait, aussi, ouvrir les yeux et partager avec l'univers la chute du dernier grain de son sablier.
Longtemps, Lavrenti en demeura là, hésitant entre deux possibles. Si loin d'Elle, il perdait ses repères. Le Sculpteur de branches avaient besoin de ses forêts, ses montagnes et ses vallées, ses racines et ses feuilles jaunies par l'automne, ses gouttes de rosées qui formaient une mosaïque de milles miroirs qui reflètaient sa splendeur. Lavrenti voulut se perdre à nouveau dans leur précieuse étreinte. L'autre Nature, il ne la connaissait pas bien. Celle des sombres profondeurs de la mer, de l'agitation vorace de ses vagues, de son combat éternel avec le vent marin... C'était comme découvrir la seconde personnalité d'une personne qu'on croyait connaître. Il pensa avec nostalgie à la terre ferme.
Lavrenti ouvrit les yeux. Les plissa. Fronça les sourcils. Ce qu'il pensait aperçevoir était tellement imprévu, et sans rapport au fil de ses pensées qu'il ne put tout d'abord y croire.
L'ex-Fils du vent tenta de regrouper ses sens; il se redressa, une poigne solide sur le mat pour éviter d'être projeté à la mer. Il secoua la voile en lambeaux, se demandant si elle pouvait encore capter le vent. Ce dernier, joueur, préféra s'échapper entre ses nombreuses fentes. Lavrenti jura, se fouillant les méninges à la recherche d'une solution. L'autre partie de son cerveau était occupée à se demander qu'est-ce qu'un, par la barbe de Sil Afian, Petit faisait dans le Grand Océan du Sud. Un Petit, une race que la plupart considérait comme mythique, que parmi ceux qui y croyaient, peu avaient vu. Alors que lui, Lavrenti Esmerol, comptait ses dernières heures au centre d'une violente tempête, un Petit se trimballait au travers d'elle, l'air plutôt à l'aise, debout sur sa planche de bois. Le Scultpeur tenta de le repèrer à nouveau, se demandant s'il ne l'avait pas imaginé. Quand le Petit surgit sur le dos d'une vague immense, Lavrenti dut se rendre à l'évidence; il y avait vraiment un Petit perdu au coeur de la mer.
-Nom d'un Raï, souffla-t-il.
Le Sculpteur de branches s'empara d'une rame, fendue mais utilisable, et se mit à pagayer vers le petit homme qui agitait ses bras vers lui. Les Petits. De ce peuple, Lavrenti en connaissait peu. Seulement ce que son Maître lui avait appris alors qu'il devenait Sculpteur : que certains arbres ne devaient pas être sculptés parce qu'ils étaient sacrés. Les arbres passeurs. Son maître lui avait appris comment les identifier, les utiliser. Quand Lavrenti lui avait demandé comment il avait acquis ces connaissances, il lui avait répondu que son maître à lui les lui avaient enseignées. Ainsi, sur des dizaines et des centaines d'années, cette information sans prix s'était transmise entre maîtres et élèves, pour éviter que la guilde des Sculpteurs de branches détruisent sans le savoir ces phénomènes exceptionnels.
Cela n'expliquait pas, loin de là, comment un Petit se retrouvait au milieu de la mer. Lavrenti s'approchait de lui, peu à peu, la rame luttant de façon déterminée contre le tumulte marin.
-Eh ! Oi !
Le Petit croisa son regard. Petit, cela va sans dire, muni d'une courte barbichette et d'un bandeau rouge, son visage avenant s'éclaira d'une nouvelle lueur lorsqu'il aperçu Lavrenti. Ce dernier lui tendit sa main, alors que le va-et-vient des vagues faisait monter et descendre le voilier, il attrapa son poignet. Une sombre pensée émergea dans l'esprit du Sculpteur de branches; il ne sauvait pas vraiment le Petit, simplement il ajoutait un délai à sa noyade. Il avala difficilement puis haussa les épaules; cela leur ferait un peu de compagnie pendant le cours de leurs dernières heures.
Une fois le nouveau venu hissé à bord, grâce à une série d'efforts et de manoeuvres maritimes pauvrement exécutées, Lavrenti se laissa retomber contre le mat. Assis au centre du bateau, il reprit son souffle, alors qu'autour d'eux la mer venait se frapper contre les flancs du navire et le vent faisait fouetter bruyamment la voile devenue inutile.
-Ça gigote aujourd'hui, la mer, hein ? lança-t-il au Petit.
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30.07.14 3:26
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05.08.14 10:39
-J'aime pas ce qui gigote. J'aime pas la mer. Je veux rentrer chez moi.
La plainte enfantine du Petit le fit sourire. Ses désirs énumérés étaient anodins, certes, mais prononcés ainsi au coeur de la tempête, accroché à un bastingage que la mer déchaînée emportait peu à peu avec elle, c'était dire beaucoup. Ce fut donc avec cette pensée en tête que Lavrenti se tourna vers le rescapé, sourcils haussés;
-Restons réaliste, lui lança-t-il.
L'ex-Fils du Vent ne se rendit pas vraiment compte de l'hypocrisie bénigne de sa remarque. Enfant prodige du rêve et des illusions aux douces berceuses, qu'avait-il à dire du Réel ? Pardonnons-lui ce léger hoquet; Lavrenti était fatigué, il naviguait, ou plutôt était barboté par la mer, depuis bientôt une journée entière. Il n'en pouvait plus d'être constamment mouillé. Le tableau du paysage n'avait pas été retouché par son peintre; Mère Nature n'avait pas fini de contempler son oeuvre, le doigt sur le menton. Elle attendait le moment propice pour traverser la toile d'un coup de bleu, d'apaiser les lignes agitées. Ou pour assombrir davantage la scène qui frôlait le dramatique. L'homme pâle qui tout à l'heure jouait à la harpe la musique de ses dernières heures, et ensuite le Petit qui affichait sa détresse en brandissant ses poings de façon surprenante vers le ciel. Mère Nature semblait vouloir faire durer ce spectacle. Aussi Lavrenti attendait-il donc avec elle; impuissance devenant attente.
Une vague particulièrement ambitieuse happa le voilier qui tangua dangereusement, retrouva son équilibre tout en éjectant un de ses passager. Presque. Le corps de Lavrenti se crispa sous le choc, et alors qu'il resserrait de façon désespérée son étreinte autour du mat, quelqu'un faisait de même avec sa jambe. Le Sculpteur sentit les petites mains fortes de l'autre qui agrippaient sa cheville. Tiens bon, pensa-t-il. Le pied dans le visage du Petit, Lavrenti serra la mâchoire et plia sa jambe, tirant en même temps le Petit à bord. Ils se plièrent en deux et crachèrent l'eau salée qu'ils avaient involontairement aspirée. Appuyé contre le bastingage, Lavrenti se tourna vers l'homme.
-Je pense qu'il fait trop pas beau pour une nouvelle session de surf, Petit Surfeur.
Il soupira en décollant quelques algues qui s'étaient collées à lui. Il ferma les yeux, épuisé.
-Je dirais même qu'il fait plutôt mauvais. Pas vrai ? C'est drôle, les tempêtes, hein ? Là on est comme une petite mouche qui tourbillonne dans une tornade.
Il trouva une algue derrière son oreille, se pencha vers la mer -ou bien laissa la mer se soulever- et retourna la plante marine à son habitat.
-Ça tourne... Ça tangue... Tu sais, mon coeur il bat parce qu'il bat, mais aussi parce que la plupart du temps le sol est stable et l'air est calme. C'est ça...
Lavrenti s' éclaircit la gorge, fredonna la mélodie de la tulipe jaune, et patienta. Il ouvrit une paupière à demi, se demanda à quoi il pensait, le Petit Surfeur.
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21.08.14 17:16
[HRP : je suis vraiment désolée pour le délais de réponse...]
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24.08.14 4:31
Le Petit n'était pas d'accord. Ou du moins, il ne l'encourageait pas à partager avec lui le fil de sa pensée. Lavrenti ne lui en voulut pas; c'était vrai qu'au moment de mourir peut-être était-ce mieux de parler de la vie, et non de la mort. Le sculpteur se referma donc sur lui-même, les yeux clos, et laissa libre court à sa pensée. Aussi bien se perdre dans des endroits joyeux en de telles circonstances. Gambadant, sa pensée frôla les champs de pâquerettes, se plia sous l'imposant volcan du pays Raï, se refléta sur la surface de l'Œil, puis enfin se perdit dans la forêt des Arbres Monde. Le Fils du vent y atteint sa paix intérieure, son état méditatif qui lui apportait confort et sérénité. Logique dans l'illusion. Les Arbres Monde; c'était en les apercevant depuis sa voile que Lavrenti avait eu l'envie de partir, au départ. De devenir un nomade solitaire. Ces arbres représentaient pour lui la silhouette d'Elle, du creux de ses yeux jusqu'à la pointe douce de son nez. Il avait eu envie d'en voir plus.
Lavrenti reposait donc ainsi, enfoui dans ses souvenirs, alors que le navire tanguait avec véhémence, que la tempête faisait rage, que les claquements bruyants de la voile faisaient concurrence au tonnerre. Puis le Petit parla, d'une voix haute et claire.
-Dis, t’aurais pas des framboises ?
Il fut expulsé de sa rêverie. Lavrenti sursauta vivement, le cœur battant à toute vitesse. Où était-il ? Où étaient passés ses arbres ? Un visage barbu aux yeux écarquillés lui répondit. Le Petit. Une masse bleue et noire, mouvante, répliqua à son regard troublé. L'océan. Que venait-on de lui demander ? S'il avait avec lui des... framboises ?
-Non je..., commença-t-il à lui répondre, confus. Non.
Des framboises. À un tel moment critique de sa vie, l’esprit de Lavrenti s’échouait au sein de ce qu’il valorisait : Elle, ses souvenirs, ses arbres. Le Petit aussi ; ses framboises. Un sourire triste étira les lèvres du sculpteur; il décida qu’il aimait bien ce Petit Surfeur. Et puis, il est vrai qu'il en aurait bien mangé, des framboises. Ou encore qu'il avait apporté ses fils, pour tisser des bracelets multicolores en attendant la mort, en grignotant des framboises et des noix. Un peu de fromage ? Le tonnerre gronda à nouveau. Il était d'accord. Le Petit lui lança une nouvelle question :
-Quel est ton nom et pourquoi es-tu là ?
Lavrenti observa le Petit Surfeur qui le regardait d'un air sérieux. Allait-il lui dire qu'il se nommait Grégoire ? Non, à ses yeux cet être était et resterait le Petit Surfeur. Une vague lui lécha le visage, comme pour le nettoyer, le rendre présentable alors qu'il tendait la main au Petit. Les cheveux ainsi soignés par la mer, Lavrenti s'adressa au nouveau venu.
-Lavrenti Esmerol. Je suis là parce que j'aime me trimbaler. Tu sais, sortir de chez soi, voyager, découvrir.
L’ex-Fils du Vent s’interrompit, fronçant les sourcils. Le voyage était-il quelque chose qu’entreprenaient les Petits ? Ce peuple avait comme moyen de transport les Arbres Passeurs, sans doute avaient-ils tenté la chose ? Du moins, le Petit Surfeur l’avait fait, lui. Il s’était retrouvé au centre du Grand Océan du Sud. Ça n’était pas anodin. Il était de toute évidence un être aventureux. Lavrenti le regardait, et il ne semblait pas trop avoir peur, malgré le fait qu’il venait de frôler la mort et que celle-ci se tenait toujours derrière eux, à attendre, attendre.
-Et toi, comment t’es-tu retrouvé sur ton bout de bois en une région aussi hasardeuse du pays ?
Lavrenti lui lança la question sur le ton de la conversation, tout en se demandant si ça existait, des Petits marins. Son regard glissa à tribord et il cru apercevoir sa peau de banane qui refaisait surface. Comme si le poisson qui l’avait trouvé en la prenant pour un nouvel aliment intéressant, avait découvert qu’en fait cet objet jaune ne lui plaisait guère. Régurgitée, la peau de banane retournait chez son consommateur initial en roulant sur les plis des vagues. Puis un oiseau jaillit des nuages et piqua vers elle. Les ailes plaquées le long du corps il filait à toute vitesse vers la mer et s’empara adroitement de l’objet jaune qu’il avait détecté. L’ex-Fils du Vent suivi l’épisode avec intérêt. Que c’était palpitant ! Le Petit avait-il lui aussi vu ce qu’il s’était produit ? L’homme se mit à rigoler fébrilement. Puis une petite pensée logique lui passa par la tête et surmonta sa folie ; y avait-il de la terre à proximité pour qu’un oiseau se retrouve là ? Non, pas forcément. Mais l’espoir était né ; Lavrenti s’y accrocha. Se pourraient-il qu’ils accostent une île ? Il pensa aux Archipels Alines qui étaient éparpillées au sud de Gwendalavir. Il regarda le ciel et se demanda vers quel point cardinal le vent faisait tourbillonner le voilier depuis presque une journée. Avançaient-ils ? Les Archipels Alines. Il déglutit difficilement à la pensée des Pirates, mais en même temps, se rendit compte qu’il serait bien intéressant d’en rencontrer. Lavrenti ne savait plus vraiment ce qu’il devait espérer. Peut-être devrait-il faire comme le Petit et ne penser qu’aux framboises, aux noix et au fromage, rien de plus.
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19.09.14 4:59
[HRP : c'est de pire en pire... presque un mois ! J'ai honte. Je suis vraiment vraiment désolée]
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14.11.14 1:03
L'ensemble des vagues dansait de par et d'autre sur l’horizon. Un grand ensemble folklorique dont on voyait, lignée après lignée, se soulever les têtes des danseurs. Et le Petit, qui se nommait Pytipok, avait la main dans celle d'un autre homme. Un homme grand, très grand, la peau parsemée de tatouages que Lavrenti aurait bien aimé analyser. Il avait émergé des flots agités et s’était hissé sur le petit voilier, comme si de rien n’était. Lavrenti en aurait crié d’effroi si la situation n’avait pas déjà été aussi dramatique. L’homme avait une corde attachée autour de la taille, et sans leur accorder un regard il s’était mis à tirer sur elle. Lavrenti observait ses bras musclés et se demandait qu’est-ce que la présence de cet individu signifiait. S’il s’était attendu à ça en regardant Gwendalavir s’éloigner ; de devenir tout d’abord naufragé en compagnie d’un Petit et ensuite d’être témoin d’un zombie marin qui se trimballait sur son voilier ? Ah ça non !
L’homme arborait sur chaque centimètre de sa peau des tatouages ; racontaient-ils les épopées de sa vie sur la mer ? Car il était bien un marin, tout sur lui le criait; sa peau hâlée, ses cheveux secs, ses épais sourcils couvrants des yeux vifs, son odeur. L’efficacité avec laquelle il dirigeait le voilier en trouvant des voies sûres parmi les eaux infernales. Après quelques halages supplémentaires de la part du nouveau venu, un énorme navire s’était révélé au travers de la brume. Lavrenti comprenait de moins en moins ce qui était en train de se produire. L’homme à la peau bleue avait effectué en deux mouvements un nœud complexe qui sécurisait le voilier à la paroi du navire qui avait fait sa superbe arrivée en scène. Il ne leur avait toujours pas adressé un mot, un regard. C’était à ce moment là qu’il s’était tourné vers Pytipok, attrapant le Petit Surfeur d'une main, l'autre l'accrochant au corps du navire impressionnant qui tanguait aussi sous les assauts du vent et des courants. Les deux individus -un étrange combo, un Petit pugnace et un Pirate patibulaire- disparurent.
Lavrenti demeurait assis. Était-il censé protester ? Était-on en train de les sauver d’une mort certaine ? Un sourcil haussé, il doutait un peu que cette intervention peu probable fut réellement en train de se produire. Ce ne fut que lorsque le petit fut hissé, ou projeté à bord, qu'il choisit d'accepter la réalité. L'ex-Fils du vent se leva d'un bond et jeta un dernier regard vers son pauvre voilier à deux sous. Il posa un pied sur le bastingage de ce dernier et se projeta vers l'imposant navire des Pirates Alines -car ç'en était bien un, n'est-ce pas ? Il attrapa la corde qui y pendait encore et se hissa à bord en quelques mouvements habiles. Son corps se souvenait de ces routines, souvenirs des Plaines. S'apprêtant à enjamber le bastingage, sa jambe heurta de plein fouet le Pirate qui revenait chercher le deuxième naufragé. L'homme-géant reçu le coup sur la joue.
Quelqu’un dû donner l’ordre de soulever l'ancre car le navire des pirates s'éloigna brusquement du voilier qui se fit aussitôt avaler par les vagues. Lavrenti ne le vit pas. Il était prisonnier du regard froid du Pirate-géant qui le fixait. Le voyageur déglutit péniblement. Ne sachant trop quoi faire, il bégaya pathétiquement :
-Eh bien, euh, merci les gars, vous nous avez sauvé la vie...
Puis il se souvint de la pensée qui avait traversé son esprit lorsqu'il avait hissé à bord de son voilier le Petit Surfeur. Qu'il n'avait fait que retarder le moment de sa mort. Le Sculpteur de branches se dit qu’au fond, les Pirates Alines venaient de faire de même pour les deux naufragés. Et si Lavrenti se fiait à leur allure sauvage, leurs traits durs, et toutes les histoires qui circulaient en Gwendalavir à leur propos, il se pourrait bien que ce soient les Pirates qui allaient les livrer à leurs morts. Ce serait un peu ironique de les rejeter à la mer.
Lavrenti repoussa ces pensées dérangeantes de son esprit. Reporta son attention sur la situation présente : « On nous a aidés à échapper à la mort. J’ai balancé un coup de pied sur notre sauveur. »
On les entraînait à présent vers l'intérieur du navire où les deux ex-naufragés furent abandonnés. Lavrenti se dit que les marins ne voulaient peut-être pas avoir deux idiots dans les jambes alors qu'ils cherchaient à s'extirper de la tempête. Le sculpteur leur en voulut. À l'intérieur, sans air frais ni horizon, il se sentit tout d'un coup beaucoup plus mal qu'avant. Lavrenti regarda le Petit Surfeur en face de lui.
-Tu crois que j’ai réduit en bouillie notre chance d’établir une bonne relation avec lui en lui flanquant mon pied dans le visage ?