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A grands coups de mots et de lames ♦ Neleam-Jarod
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29.10.16 21:21

A grands coups de mots et de lames
Neleam & Jarod



Al-Jeit. Symbole de luxe et de toute puissance, lieu où l’art s’éveille et s’extériorise en une multitude de bâtiments aux architectures toujours plus complexes.

Il aime Al-Jeit. Avec la passion d’un jeune fou et la volonté d’un homme en quête de ce bonheur qui lui aurait été volé. Il n’a rien à envier, pourtant – peut-être tout à perdre, en revanche. Mais à déambuler dans les rues recluses de la Capitale ce soir, Jarod songe qu’il pourrait bien vouloir se démunir de son bien le plus précieux pour avoir la chance de revoir cet endroit une dernière fois. Cette ville est magnificence – des hautes tours aux ponts qui s’élancent, défiant le vide et les lois de la gravité, jusqu’aux plus petites maisons des quartiers Nord, tout ici n’est qu’une symbiose entre l’homme et son génie, entre le Dessinateur et sa création. Lui qui n’a pas accès aux plus Hautes Spires et ce, en dépit de sa position à l’Académie en reste toujours émerveillé, à la manière d’un enfant devant un spectacle de fin d’année.

Il aime Al-Jeit. Cette palette de couleurs sur les murs et cet enchevêtrement d’odeurs tantôt sucrées, tantôt salées. Amères certains jours, à vous en brûler le nez. Il ne se lasse pas du fourmillement des avenues les jours de grand marché ni du bruit des échoppes qu’on ouvre toujours trop tôt le matin. De ces soirées d’hiver passées au coin du feu auxquelles il préfère sans aucune honte celles passées dans une Taverne, une bonne bière à la main. Il fait bon de vivre ici. Du moins d’essayer. Malgré les problèmes et difficultés que le destin impose, se donner les moyens de profiter, même un peu. Quitte à regretter les maux de tête le lendemain et ses appuis vacillants, quitte à oublier les personnes rencontrées, les discussions voire même les chants.

Al-Jeit est opportunité, vie et envie. Al-Jeit est oubli, et c’est une fois encore la raison pour laquelle il est ici ce soir. Le monde tourne vite – trop vite – et il tangue, le nez levé sur le ciel à imaginer ces étoiles qu’il ne voit même pas. Il a une vague idée de l’endroit où il se trouve, mais aucune envie de rentrer chez lui pour l’instant. Il est tôt, bien trop tôt pour songer à aller dormir ou plutôt, pour se résoudre à se lancer une fois de plus dans ce monde d’ombres que constituent les cauchemars qui l’effraient en ce moment.

Alors il marche, au hasard, l’esprit vaguement embrumé par les vapeurs de l’alcool. L’endroit est peu sûr, pourtant. Il est presque certain d’avoir déjà entendu Soline lui demander de ne pas traîner dans le secteur, elle qui sait pourtant pertinemment comment il fonctionne. A lui interdire, il le fera. Pourquoi lui en parler, dans ce cas ? Il maugrée quelques paroles inintelligibles à la destination de son amie – l’auberge du Cheval Caracolant n’est pas loin, peut-être pourrait-il y faire un tour pour lui secouer les puces, à la rouquine. Au lieu de ça, il s’immobilise, le dos appuyé contre le mur humide d’une maison de pierres. Il a du mal à respirer, de la même façon que s’il avait parcouru dix kilomètres en petites foulées et au fond, cette idée l’agace.

Un bruit, là, sur la droite. Des rires gras et des corps aux démarches lourdes qui s’approchent toujours plus du lieu où il se trouve. Au creux de sa poitrine, un pressentiment – glaciale, cette impression qu’un danger est imminent.

« Eh les gars, regardez ce qu’on a là ! »

Le sentiment d’urgence s’amplifie tandis qu’il s’accroche au mur derrière lui. Il ne paye pas de mine, Jarod, avec ce manteau trop grand sur les épaules et ces cheveux blonds qui lui tombent devant les yeux. Et ce n’est pas cet air farouche, teinté d’une pointe d’amusement, qui y changera quelque chose.

« J’crois que tu t’es perdu au mauvaise endroit, mon ami. »
« Ah oui ? J’ai plutôt l’impression d’être bien tombé, chéri. Moi qui commençais à me sentir un peu seul… »

Il ponctue sa phrase d’un clin d’œil taquin, courage doublé par l’alcool qui court le long de ses veines. Un peu inconscient sur les bords, Jarod. A jouer les têtes brûlées, il finira sans doute la tête dans le mur avec des bleus et quelques blessures, si ce n’est pire. Mais qu’importe, ce n’est pas ce qui l’effraie.

« Tu t’prends pour un petit malin, toi. »

Le plus gros s’approche, menaçant, saisissant par le col celui qu’il ne voit pas plus dangereux qu’un insecte – insignifiants, les insectes, sauf pour ceux qui s’y connaissent ou s’y intéressent un peu ce qui, apparemment, est loin d’être son cas – et amène aux plus près leurs deux visages.

« J’vais t’faire passer l’envie de nous prendre pour des imbéciles. »
« Par la Dame, loin de moi cette idée… Vous vous débrouillez très bien sans moi, regardez. »

Jarod dessine un cercle du menton afin de désigner son « adversaire », si tant est qu’adversaire il y ait. Il ne voit rien d’autres qu’un ramassis de fientes de T’slich désireux de se faire les poings sur autre chose qu’un tas de sable, quitte à briser quelques dents au passage. Et l’autre qui continue de s’énerver à en oublier de respirer ! Il en devient rouge, maintenant. Dur à voir sous la faible lumière orangée des lampadaires, mais cette vision attise le sourire du Navigateur.

« Faut vraiment penser à faire quelque chose pour cette haleine, mon vieux. C’est une infection. »

Par la Dame, qu’elle est grisante, cette insolence ! Comme un retour en période d’adolescence, du temps où il prenait plaisir à pousser dans leurs retranchements ce type de spécimens. « Tout dans les bras, rien dans la tête », voilà une expression qui leur conviendrait à merveille – et le fait qu’ils soient trois et que lui soit seul n’y change absolument rien.

« Espèce de… »

La main se lève, prête à s’aplatir sur sa joue gauche pour y laisser une jolie marque alors qu’au même moment, il se concentre pour modéliser son pouvoir.

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Neleam
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01.11.16 21:43
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Neleam en avait marre.
Elle se demandait une fois de plus pourquoi elle était encore à Al-Jeit. Elle avait beau adorer cette ville, elle avait l’horrible sensation de tourner en rond et de ne rien faire de sa vie. C’était particulièrement frustrant. Pour survivre elle effectuait quelques petits boulots à droite à gauche, mais rien de glorifiant. Depuis quand avait-elle cessé de parcourir le monde et d’aider son prochain pour devenir une citadine oisive ?

La guerrière avançait au hasard des rues, sans regarder où la menaient ses pieds. Il était temps qu’elle parte. Il était temps qu’elle retrouve sa liberté. Qu’elle retrouve son ancien elle.
Qui était-elle ?
Cette question était sans doute l’origine de son incapacité à prendre des décisions et à agir. Oh, pas des décisions instinctives, comme aider telle ou telle personne, boire une bière ou faire la grâce matinée, mais des décisions comme des plans à long terme.
Pour la première fois depuis son arrivée en Gwendalavir, la demoiselle ne savait plus où elle voulait aller. Elle sentait, au fond d’elle, qu’elle restait cette femme vive, naïve et heureuse. Elle aimait toujours les mêmes choses, aucun doute là-dessus, mais elles ne lui procuraient plus cette joie intense qui lui brûlait les entrailles et lui permettait d’affirmer haut et fort qu’elle vivait.
Non, elle ne ressentait plus cette flamme qui l’avait guidée jusqu’à présent. Quand avait-elle disparu ? Depuis combien de temps avait-elle laissé place à cette autre sensation, beaucoup plus frustrante, de stagner. Neleam en était toujours au même point. Elle ne progressait plus. Elle rencontrait des gens géniaux, qui lui redonnaient vie, momentanément, mais dès qu’elle les laissait à leur vie, elle se retrouvait face à la sienne, qui était effroyablement déserte. Vide.
Elle n’avait personne.
Bien sûr, il y avait tous les chevaliers, ils étaient comme une grande famille de bras cassé et de grandes gueules, mais aujourd’hui ça ne lui suffisait plus. Même l’auberge du chevalier qui gondole n’arrivait plus à la sortir de sa torpeur. C’était pour cette raison que la jeune femme déambulait bien loin de ses quartiers habituels.

Soupirant, la demoiselle ôta son pendentif et observa ce petit morceau de ferraille qui attestait de sa qualité chevaleresque. C’était tellement illusoire. Elle s’était sentie si fière lorsqu’elle l’avait obtenue et aujourd’hui ce n’était plus qu’un objet sans grande importance à ces yeux. Quel était l’avenir de la chevalerie ? Y avait-il vraiment une gloire quelque part ? Était-ce vraiment ce qui la motivait ?
La demoiselle serra le poing et détourna le regard de son bijou.
Il était temps qu’elle cesse de s’apitoyer sur son sort et qu’elle agisse.

Comme en échos à ses pensées, elle surprit une bribe de conversation

« J’vais t’faire passer l’envie de nous prendre pour des imbéciles. »


Règlement de compte, ce n’était pas vraiment surprenant, lorsque Neleam réalisa dans quel quartier elle se trouvait. Des individus belliqueux semblaient vouloir régler leur différend et il y avait fort à parier que ça finirait par quelques coups.

« Par la Dame, loin de moi cette idée… Vous vous débrouillez très bien sans moi, regardez. »


Tiens. Voilà qui était bien plus surprenant. Cet homme n’était pas un individu belliqueux, ça s’entendait dans sa voix. Moqueur, il l’était sans conteste, fou probablement aussi, mais clairement pas issu des bas-fonds.
À traîner dans de tels quartiers, il tentait le diable. Peut-être avait-il abusé de l’alcool et qu’il avait décidé d’en finir avec sa vie. Hypothèse tirée par les cheveux, certes, mais Neleam s’en moquait un peu, ce n’était pas ses affaires. Elle continua donc son chemin. Si cet homme avait un minimum de jugeote et l’envie de conserver l'intégralité de ses os dans leur état actuel, il cesserait de faire l’idiot et obtempérerait.

« Faut vraiment penser à faire quelque chose pour cette haleine, mon vieux. C’est une infection. »


Bon, il ne semblait pas vraiment prêt à obtempérer et les pas de Neleam se firent plus petits et plus lents.
Penser ne lui attirait rien de bon, il était temps qu’elle retrouve ses vieilles habitudes, de foncer dans le lard, de taper avant de poser des questions. Et quoi de mieux que d’intervenir dans cette ruelle ? Elle soignerait probablement sa déprime passagère. Distribuer des coups est une activité particulièrement revigorante.
Tandis que résonnaient dans la nuit les paroles de l’agresseur -une délicieuse insulte- Neleam avait pris sa décision. La demoiselle s’était précipitée dans la ruelle et avait glissé sa preuve d’appartenance à l’ordre des chevaliers dans une de ses poches.

La force de l’habitude reprit le dessus, Neleam ne chercha pas à lutter. Il n’y avait que quatre personnes dans cette ruelle et il n’était pas difficile de savoir qui était la victime. Des vêtements soignés, un corps plutôt fin et un air… Peu importe, ce n’était pas le moment de s’intéresser à l’air de ce type ni à son apparence. Mieux valait se concentrer sur les gros bras. Ils devaient avoir l’habitude d’intimider et avec un peu de chance, cogner n’était pas un de leur talent, bien qu’ils possèdent probablement une force à briser les dents d’un tigre des prairies d’un seul coup de poing.
Mais Neleam était rapide, maligne et surtout, elle possédait l’avantage de la surprise. Prenant de la vitesse, la guerrière arriva sur l’homme le plus massif, qui semblait sur le point de réduire la tête du malheureux bougre à l’humour piquant à l’état d’une tomate trop mûre. Suite à son impulsion, la demoiselle décolla et arma son bras. Réunissant ses forces, elle frappa lorsqu’elle était à son apothéose. Son corps décrivait une courbe gracieuse dont le point d’impact était le corps de ce triste individu. Plus précisément la nuque dudit individu. Le bras de la guerrière se détendit aussi vivement qu’un serpent avant de mordre sa proie avec une force insoupçonnée.
L’homme s’écroula.
Neleam se réceptionna en un roulé-boulé et se releva aux côtés de l’inconnu à la chevelure désordonnée, qui avait maintenant les yeux fermés. Essayait-il de prier une quelconque divinité ? Si oui, le voilà exhaussé, elle était là pour lui sauver la mise. Y a pas de quoi.
Se campant fermement sur ses jambes, en position de combat, la jeune femme réussissait presque à faire disparaître sa petite taille pour ne laisser planer qu’une impression de danger.

-Fini de jouer les gars. Vous …


Mais les deux gros bras ne lui laissèrent pas la politesse de finir sa phrase qu’il la chargèrent, littéralement. Neleam bouscula l’inconnu pour qu’il quitte la trajectoire des mastodontes -plus de cent kilos c’était certain- et se concentra sur l’homme à sa gauche. Ce serait le premier à l’atteindre et il ne semblait pas particulièrement vif.
Les plus beaux combats sont les plus rapides.
Les secondes semblent s’étirer et le temps se fige. L’instant cesse d’être trouble et tout devient net.

La chevalière s’était mise en action. Elle n’avait nullement l’intention de faire face, mais ce type ignorait toute la subtilité d’un combat. La jeune femme se baissa et saisit le poignet de l’individu alors qu’il l’atteignait. Le tout s’enchaîna rapidement et d’une simplicité qui semblait éclatante à la demoiselle. Emporté dans son élan, l’homme pivota sous l’impulsion de son adversaire et se retrouva à effectuer un vol plané dans une tout autre direction. En direction de son comparse en fait. Ils se heurtèrent de plein fouet, dans un assourdissement craquement d’os.
Rien de bien dramatique d’après Neleam, mais elle ne tenait pas particulièrement à vérifier. Les assaillants étaient hors courses pour le moment et mieux valait déguerpir avant qu’ils ne reprennent conscience.

-On file ?


La voix claire de Neleam troubla l’air nocturne. Elle n’était pas inquiète, ni même surexcitée. Elle était simplement calme, emplie d’une certaine sérénité. Un sourire amusé fleurit sur ses lèvres tandis qu’elle observait l’homme qu’elle venait de sauver.

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05.11.16 21:47

Dix secondes.

Une inspiration et deux poumons qui s’ouvrent. L’air est pesant, lourd lorsqu’il s’engouffre à l’intérieur de sa gorge et tombe dans sa poitrine comme une pierre au milieu du Lac Chen, amer lorsqu’il s’en extirpe pour retrouver un courant d’air avoisinant. Les odeurs se mélangent encore, insaisissables. A un détail près. Il n’y a plus de note d’orange ni de zeste de citron, plus de senteurs florissantes qui agitent habituellement les narines. Ne subsiste qu’une effluve âcre qui attaque son nez, dévale le long de sa bouche pour claquer sur son palais en un relent infect.

Sept secondes.

Il a la nette impression que le temps a suspendu son vol. Ces secondes ne sont plus, pas plus que cette main qu’il devine approcher son visage pour venir s’y aplatir. Et il imagine la puissance que pourrait avoir ce coup, s’il le laissait venir, visualise l’impact de la claque sur sa joue – la peau gondolante en une dizaine de petites vaguelettes rosies par l’alcool et une certaine surprise au creux des yeux. Mais ce qu’il se plait encore plus à inventer, c’est ce bruit qu’aurait entraîné le contact entre leurs deux corps, à mi-chemin entre le coup de tonnerre et la bombe, un « clac » assourdissant qui l’instant suivant n’est plus, une fausse note dissipée dans la pénombre de cette rue malfamée… Un son dont il ne parvient pas à totalement définir l’écho, comme si la subtilité du geste lui échappait. A moins qu’il n’y ait aucune subtilité du tout – nous parlons d’une simple claque, après tout.

Quatre secondes.

Il dérive. Entre deux fleuves aux rivages bien distincts et qu’il ne visualise pourtant que partiellement. Yeux clos, Jarod commence par modéliser une tornade avant de se dire que, peut-être, les personnes habitant la maison derrière lui souhaiteraient éventuellement dormir avec un toit sur la tête pour les mois à venir. Une bourrasque alors ? Non, trop primaire. Un vent du Nord ? Utile, s’il était certain de congeler ces imbéciles en se préservant lui-même. Il n’aime pas spécialement le froid – pas du tout, même – et l’idée de finir la soirée en glaçon dans un quartier peu recommandable de la capitale ne l’attire pas plus que ça. Mais à trop attendre, il va finir par se la prendre, cette volée. Alors quoi ? L’air est cisaillé, sifflement perçant que ses oreilles – bien ouvertes, elles – perçoivent aisément.

Trois-deux-un.
Zéro seconde et un silence qui se brise.

Jarod ouvre les yeux, un peu étonné de ce qu’il entend. L’autre a mis de côté l’idée de le frapper et l’a même partiellement lâché le temps de voir d’où provient la menace, sans pour autant réussir à l’éviter. L’instant suivant, il gît au sol, sous les yeux éberlués du professeur libre. Libre ? Jarod se passe une main sur le cou pour vérifier la véracité de la chose, les yeux rivés sur le corps inanimé de son assaillant.  

« Fini de jouer les gars. Vous …»

La voix l’oblige à relever la tête vers celle qui se tient à côté de lui, bien que les deux autres blaireaux ne lui laissent pas le temps d’en apprécier les traits. Le temps de se remettre de sa bousculade, un léger sourire étire les lèvres du Navigateur tandis qu’il suit la longue chevelure de celle qui donne plus de coups qu’elle n’en prend, joie teintée d’amertume en songeant à toute la violence qu’elle offre. Peut-être est-ce le seul moyen, après tout. Peut-être est-ce l’unique manière de faire comprendre à ces invertébrés quel est l’ordre des choses et d’insuffler un peu de jugeote dans leurs têtes de pioche. Il n’y croit pas, pourtant. Il aimerait se dire qu’user des poings et refaire des portraits apporte quelque chose de constructif mais ce n’est pas dans ses habitudes, alors…

Il observe avec intérêt les gestes vifs et précis de l’inconnue, hausse les sourcils devant son roulé-boulé sans jamais cesser d’admirer l’aisance dont elle fait preuve. Qui qu’elle soit, cette jeune femme n’a pas l’air d’avoir autant d’états d’âme que lui. Peut-être même n’en a-t-elle pas du tout ? Jarod secoue rapidement la tête pour chasser cette idée. Ça n’existe pas, les gens blasés du combat. Ceux qui prétendent le contraire sont soit des imbéciles, soit des prétentieux ou un savant mélange des deux. Le craquement d’os qui suit l’impact des deux mastodontes lui arrache une grimace dégoutée. Il n’a jamais été vraiment serein avec les fractures – pire encore à la vue du sang. Sol’ passe sa vie à dire qu’elle n’a jamais entendu quelqu’un hurler aussi fort que lui dans ce genre de situation. Pas très gratifiant comme titre mais au moins on parle de lui, non ?

« On file ? »

L’ambre de ses prunelles accroche celles de la jeune femme. Elle s’amuse, on dirait, et cette pensée attise la bonne humeur du Navigateur.

« Pourquoi, vous n’appréciez pas la vue ? »

Il rit, léger de nouveau, rire rapidement éteint et remplacé par un tressaillement lorsqu’un renégat bouge un peu. Sans être un peureux, Jarod n’a pas nécessairement envie d’assister au réveil de ces trois-là. D’un coup de menton, il désigne donc la ruelle qui s’étend devant eux avant de s’élancer. Il ignore combien de temps il court – l’alcool a cette fâcheuse tendance à faire passer pour un marathon ce qui n’est en fait qu’une centaine de mètres – mais il finit par s’immobiliser au beau milieu d’un carrefour. Rien n’a changé : l’odeur est toujours aussi infecte, l’éclairage déplorable et le pavé mal posé. Au moins la solitude est-elle certaine, cette fois. Il se tourne vers l’inconnue, sourire toujours suspendu aux lèvres.

« Vous avez un joli crochet du droit. »

Il se redresse, tente d’apaiser son souffle.

« Mais sans vouloir vous manquer de respect, vos roulé-boulé manquent encore un peu de souplesse. »

Il se mordille la lèvre inférieure pour ne pas rire. Ce serait dommage qu’elle n’ait pas le sens de l’humour et qu’elle lui colle son poing dans la figure, surtout après l’avoir sauvé d’une claque qu’il avait certainement mérité de prime abord. Il promène son regard sur les rues environnantes, laissant un claquement de langue satisfait résonner lorsqu’il constate qu’ils ne sont pas très loin de chez Soline.

« Vous avez faim ? Soif, peut-être ? Quoiqu’il en soit, je connais un endroit charmant où je pourrais vous offrir quelque chose en guise de remerciement. »

Il penche la tête de côté, geste qui entraîne quelques mèches rebelles jusque devant ses yeux.

    « C’est par là, dit-il en désignant l’une des ruelles. A quatre blocs d’ici. Il commence à avancer en direction du Cheval Caracolant, puis s’immobilise brutalement avant de se tourner vers elle. Je ne sais pas si vous avez autre chose de prévu mais sinon, peut-être pourriez-vous encore m’aider un peu ? Petit silence, nouveau sourire. Plus amusé encore. Il y a une recette que je tente depuis des années de découvrir… Vous avez le palais fin, dites-moi ? »


Il en demande beaucoup, décidément. Sans compter qu’il doit passer pour plus fou qu’il ne l’est en réalité mais étrangement, cette idée ne l’atteint pas. De son équilibre toujours fragile, Jarod reprend sa marche jusqu’à l’Auberge.
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09.11.16 19:48
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Neleam détailla l’homme du regard, guettant sa réaction. Il avait les yeux brillants de ceux qui n’en sont pas à leur premier verre et la chevelure ébouriffée de ceux qui oublient de soigner leur apparence. On sentait qu’il avait cette amusante habitude de passer ses mains dans ses cheveux, et la demoiselle l’imagina en faire de même avec sa barbe naissante. Ses yeux bruns prirent soudainement vie, tandis qu’il prenait la parole.
« Pourquoi, vous n’appréciez pas la vue ? »

Toujours ce même humour, qui fit rire Neleam. Elle secoua la tête, ce type était étrange, mais elle l’aimait bien. Même si un merci lui aurait fait plaisir. Peu importait, cela viendrait plus tard, car la situation se rappela à eux par un grognement. L’un des hommes avait dû reprendre connaissance, mais tardait –heureusement- à retrouver ses esprits. L’inconnu regarda Neleam et détala. C’était comme un sprint, sauf que l’alcool devait lui brouiller un peu l’esprit car sa démarche était.. particulière. Neleam tarda quelques instants avant de le suivre, elle préféra savourer cette course oscillante mais qui démontrait une réelle volonté de prendre ses jambes à son cou. Peut-être même au sens littéral.
La guerrière n’eut pas grand mal à rejoindre l’homme et s’arrêta à ses côtés. Elle nota son souffle court, preuve de son ébriété ou de sa faible condition physique. Certainement un peu des deux, car l’homme était fin et apte à courir autrement dit il avait dû bien profiter de la soirée pour être dans un tel état.

« Vous avez un joli crochet du droit. »


Neleam sourit, mais ne dit rien. Elle observa l’endroit où ils s’étaient arrêtés et se demanda d’où venait cet homme. Était-il du quartier ? Savait-il où il était ? Faire une pause dans ce coin de la ville n’était probablement pas la meilleure des idées, bien que les gardes circulent assez fréquemment pour éviter trop de débauche. C’était probablement pour cette raison que les rues étaient désertes et les volets fermés. Tous les habitants semblaient dormir ou n’étaient pas chez eux. On ne voyait aucune lumière aux fenêtres dans les étages, et la demoiselle se demanda ce qu’elle faisait encore dehors à une telle heure. Elle ne faisait clairement pas partie du système, sinon elle serait elle aussi bien au chaud sous une couverture à profiter de la bienfaisance de ses rêves. Elle aurait probablement sa propre maison, ou un petit appartement. Un endroit qui serait à elle seule.

« Mais sans vouloir vous manquer de respect, vos roulé-boulé manquent encore un peu de souplesse. »


Plongée dans ses pensées, Neleam tarda à saisir le sens de la remarque, qui la piqua dans sa fierté. Il se moquait d’elle ou quoi ? Elle lui avait sauvé la vie et il n’avait l’avait même pas remerciée. Il s’était contenté d’un petit compliment avant de la tacler fermement.
Sans lui manquer de respect… ?
La jeune femme inspira et foudroya l’homme du regard, prête à mettre les choses au clair, mais il l’ignora superbement en observant les environs.

« Vous avez faim ? Soif, peut-être ? Quoiqu’il en soit, je connais un endroit charmant où je pourrais vous offrir quelque chose en guise de remerciement. »


La fureur de Neleam fut quelque peu douchée. Ce type était complètement lunatique. Il passait du coq à l’âne sans réaliser l’impression décousue qu’il donnait. Il devait avoir une multitude d’idées et n’arrivait pas à les relier entre elles de manière cohérente.
Heureusement pour lui, Neleam avait expérimenté ça quelque temps plus tôt et ne lui en tenait pas rigueur. En fait, c’est même plutôt agréable, lorsqu’on est la personne qui zappe de sujet de conversation tout le temps car pour l’interlocuteur c’est uniquement perturbant, elle était en train d’en faire l’expérience.
C’était donc ce qu’avait pu ressentir  Reagan… Ça avait probablement été pire, car elle n’avait pas été uniquement incohérente dans ses propos, mais également dans sa conduite. Et elle était sobre.
Un point pour l’inconnu, Neleam accepta de bonne grâce sa proposition. Ça lui changerait probablement les idées.

« C’est par là. À quatre blocs d’ici. »


La guerrière lui emboîta le pas, quelque peu rassurée qu’il reconnaisse les lieux et ne se lance pas au hasard dans les rues de la capitale, car dans certains quartiers, trouver une auberge ouverte à toute heure de la nuit est plus difficile que de voler la bourse d’un marchombre. Sans exagérer bien entendu. Neleam se souvenait d’avoir passé quelques soirées à parcourir toutes les rues de la capitale, passablement éméchée, sans trouver le moindre lieu accueillant. Elle s’était probablement perdue en chemin, mais elle se souvenait uniquement de sa douleur dans les pieds et des rues qui lui semblaient démesurément longues et désertes. Et de quelques réveils, le lendemain, en cellule de dégrisement. Pas glorieux.
Soudain, l’inconnu –ils ne s’étaient toujours pas présentés- se retourna vivement et la demoiselle s’arrêta juste à temps pour ne pas lui rentrer dedans.

« Je ne sais pas si vous avez autre chose de prévu mais sinon, peut-être pourriez-vous encore m’aider un peu ? »

Neleam l’observa d’un œil suspicieux. Que désirait-il… Il n’était vraiment pas commode. Ça devait être bien agréable d’être dans sa tête, car dans celle de Neleam, elle avait l’impression de jouer une partie de squash, et d’être la balle.

« Il y a une recette que je tente depuis des années de découvrir… Vous avez le palais fin, dites-moi ? »


Voilà une drôle de question qui prit Neleam de court. Elle papillonna des yeux, essayant de se ressaisir, mais elle était totalement perturbée, et être à jeune ne l’aidait pas dans l’immédiat.

-Heu…


Ce n’était pas une réponse très illuminée, mais l’esprit de la jeune femme s’était brusquement retrouvé vide de toute pensée cohérente. Le vide sidéral.
Un courant d’air qui tournoyait à l’intérieur de son esprit, sans trouver la moindre phrase cohérente à sortir, ni le moindre mot.
Si, un mot.

-Neleam.


Comme s’il s’agissait d’une formule magique qui venait de la délivrer d’un terrible sort d’oubli, Neleam reprit possession de son corps et de son esprit. Elle referma la bouche et observa avec attention l’homme dans les yeux. Il était temps qu’ils se présentent dans les règles. Enfin, presque.

-Je m’appelle Neleam, et je vous en prie, vous sauver la vie m’a fait extrêmement plaisir !


L’ironie pointait dans la phrase qu’elle avait lancée énergiquement. Le regard de la demoiselle démentait en partie ces propos car, en y regardant bien, on aurait pu voir dans ses yeux clairs une petite lueur, signe de son amusement. La soirée, si elle la passait en compagnie de cet étrange homme, s’annonçait folichonne.

-Mais comme vous êtes trop ivre pour porter atteinte à ma pudeur, et que je n’ai rien prévu pour le reste de ma soirée, je vous suivrais dans… le lieu où vos pas réussiront à nous mener. Pour ce qui est de mon palais, je ne promets rien !
Neleam laissa échapper un petit rire amusé, son palais n’avait jamais été particulièrement développé. À passer beaucoup de temps sur les routes, on finit par se satisfaire de ce qu’on a sans chercher à développer son palais –au risque d’être terriblement déçu. Mais je peux essayer, à condition qu’il y ait de quoi boire, j’avoue que tous ces exercices physiques m’ont donné soif !

Neleam ponctua sa phrase d’un grand sourire et d’un clin d’œil à l’homme et s’avança dans la direction de ce qu’elle espérait être une auberge. Quatre blocs, ce n’était pas grand-chose, ils arriveraient bientôt.

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29.11.16 21:34

De la buée devant les yeux et le froid qui brûle, brûle la gorge et le cou, brûle les doigts et le nez, arrachant quelques frissons désagréables lorsqu’il s’engouffre sous sa veste sans crier gare et par tous les côtés. L’hiver approche et avec lui viennent rhumes, verglas et morosité. Jarod déteste cette saison autant qu’il l’apprécie ; curieux paradoxe, qui trouve sa positivité dans les sourires que la neige tire aux enfants comme aux plus grands dès qu’elle déferle sur Al-Jeit, et transforme les paysages qu’il connait pourtant par cœur en vastes étendues de blancheur. Il arrive alors régulièrement que le Navigateur prenne part aux batailles qui confrontent ses jeunes voisins, profitant parfois excessivement de son Don pour recouvrir ses adversaires de poudre immaculée ou se rattraper en cas de glissades improvisées. Il y avait là un peu de ce bonheur qui lui est vital, en somme, et une innocence qu’il se plait encore et toujours à garder.

Pour l’heure, c’est dans le brouillard que notre homme avance, visage éternellement tourné vers le ciel tandis que ses pas se font aveugles, ricochant parfois sur une pierre mal posée ou un déchet qu’un imbécile a laissé là. Il regrette, Jarod, regrette de ne pouvoir admirer le ciel et les étoiles qui le parsèment, voie lactée indubitablement masquée par la lumière orangée qui baigne continuellement les rues. Il s’oblige pourtant à imaginer chaque détail et chaque note de ce spectacle qu’il a déjà passé tant d’heures à contempler, isolé du monde et des gens qui le composent – solitaire perdu dans la beauté, admiratif de la Nature et de ce qu’elle a encore à lui offrir. Un instant, il hésite à faire demi-tour, oubliant momentanément la jeune femme qui l’accompagne le temps d’effleurer l’idée de monter sur l’un de ces toits – et risquer de se briser le cou, un bras ou une jambe mais qu’importe ! Puisque le jeu en vaut la peine, puisque c’est une représentation unique dont il ne se lasse pas et qui pour le moment lui manque. Mais son ventre gargouille et par là-même, lui rappelle encore et toujours pourquoi il avance, inquiet de satisfaire ce besoin primaire qui tord son estomac seulement rempli d’alcool.

« Neleam. »

Le prénom rompt le cours de ses pensées tandis qu’il tourne la tête, surpris qu’elle se soit mise à parler – comme si, quelques secondes durant, il avait pu l’imaginer muette, ou simplement réduite au silence par le tourbillon de questions qu’a sans aucun doute déclenché son précédent comportement. Et cette idée, loin de le brusquer ou de le culpabiliser, fait naître en lui un sentiment de satisfaction ; narcissique quelque part certes, mais jamais bien longtemps. Un nouveau sourire vient s’épandre sur ses lèvres tandis qu’il s’immobilise à quelques mètres d’elle.

« Ne-le-am. »

Et le professeur se fait songeur, cherchant d’où peut bien provenir ce ravissant prénom, tentant de deviner sous chaque syllabe la puissance et l’éloquence de racines qu’il ne connaît pourtant pas. Il se mordille la lèvre et tourne sur lui-même, mains trouvant de nouveau ses cheveux d’un geste qu’il sait évasif pour que finalement, son regard accroche celui de sa sauveuse.

« Je m’appelle Neleam, et je vous en prie, vous sauver la vie m’a fait extrêmement plaisir ! »

Il acquiesce, perçant l’ironie dans son berceau sans pour autant s’en formaliser – au contraire, Jarod se l’approprie, tête légèrement penchée sur le côté alors qu’il s’entend répondre :

« C’est un joli prénom. »

Ses paupières papillonnent et son sourire lui barre littéralement la figure – son corps tout entier trahit son amusement. Il n’a jamais été doué pour ça. Cacher ce qu’il ressent, il en est incapable ou du moins, jamais totalement. Il reste toujours un peu de tristesse dans l’ambre de ses yeux, toujours un soupçon de folie au creux de ses lèvres et une vie de curiosité plaquée sur ses traits fins. Pour l’heure, il la contemple en silence. Il n’attend pas d’elle qu’elle reprenne la parole – ce qu’elle fait pourtant, avec plus d’aplomb et de vivacité qu’elle n’en a eu jusqu’alors, audace qui amène l’homme à se féliciter d’avoir vu juste : elle sera d’une excellente compagnie pour ce soir. Ou peut-être plus, qui sait ?

« Mais comme vous êtes trop ivre pour porter atteinte à ma pudeur, et que je n’ai rien prévu pour le reste de ma soirée, je vous suivrais dans… le lieu où vos pas réussiront à nous mener. Pour ce qui est de mon palais, je ne promets rien ! Elle rit, et ce rire amène celui du Navigateur, dont l’hilarité n’a d’écho que les vertiges de son ivresse. Mais je peux essayer, à condition qu’il y ait de quoi boire, j’avoue que tous ces exercices physiques m’ont donné soif ! »

Et Jarod d’approuver, frappant des mains pour marquer son excitation tandis qu’il rit encore, avant d’attraper Neleam par le bras pour l’entraîner dans son sillage.

« Il y a de quoi faire, ne vous inquiétez pas pour ça ! »

Il oublie de se présenter une fois de plus, oubli qui se cumule à tous ceux qu’il a déjà fait ces dix dernières minutes et dont il se moque totalement. Il est peut-être fou après tout mais par la Dame, que cette folie est douce ! Libératrice, même. Et au fond, Jarod n’est pas plus égoïste qu’un autre, bien décidé à partager un peu de cette allégresse avec celle qui pense l’avoir sauvé – et peut-être l’a-t-elle fait, d’une certaine manière. A défaut de le préserver de ces poings dont il aurait aisément pu se délivrer, elle l’a tiré de cette mélancolie qui le tenait enserré entre ses griffes. Maintenant, il rit. Et cette joie l’apaise autant qu’elle le subjugue, exultant à travers ses pas pressés ou les petits sauts qu’il esquisse de temps à autre.

« Vous ne trouvez pas qu’il y a trop de lumière dans cette ville ? Et ces bras qui se lèvent, décrivent de grands cercles tandis qu’il tournoie encore, manquant de tomber à la renverse lorsque son équilibre se rompt. On ne voit même pas les étoiles, par le Dragon ! Je suis pour faire éteindre tous ces stupides lampions. De toute manière, ils ne servent à personne. »

Il fronce les sourcils, maugréant quelques insultes à destination de la prochaine boule lumineuse avant que ses épaules ne se relâchent une fois encore.

« C’est ça ! Il crie presque, inconscient de l’heure qu’il est ou de la surprise qu’il peut susciter chez Neleam. Dès demain, je créerai une pétition. La signerez-vous ? »

Ce sourire de nouveau, qui dévoile une rangée de dents blanches sur son visage angélique. Il ralentit alors que l’Auberge se profile, s’immobilisant brusquement à quelques pas de la porte d’entrée. Lentement, Jarod se penche vers la jeune femme, et baisse la voix jusqu’au murmure.

« La propriétaire des lieux est un peu étrange mais ne vous affolez pas, elle ne me résiste pas. Il prend un air victorieux. Je sais comment la dompter ! »

D’un mouvement vif, il abaisse la poignée et pousse la porte d’entrée.

« Aubergisteeee ! J’exige du poulet ! »

Il ne reste heureusement plus qu’une poignée de clients à cette heure de la nuit. Tout en ignorant les regards interloqués qui se posent sur lui, le Navigateur chancelle jusqu’au bar où il s’accoude. Il ne faut pas longtemps à la crinière rousse pour faire son apparition – apparemment remontée comme une pendule du fait de son entrée magistrale.

« Bon sang Jarod ! On ne t’a jamais appris la discrétion ! Elle claque le bout de son torchon sur les fesses du Navigateur – couinement masculin à l’appui – puis s’interrompt en voyant qu’il est accompagné. Qui est ton amie ? »
« Soline, je te présente Neleam. Neleam, Soline est la matrone… gérante de ce charmant établissement. »

La rouquine s’approche de la jeune femme et lui sert la main avec douceur.

« Je suis ravie de vous connaître, Neleam, même si j’ignorais que Jarod avait des amis. »

L’intéressé lève les yeux au ciel.

« Pourquoi avoir des amis puisque je t’ai toi ! »
« Hmm. De quoi tu as besoin? »

Elle le connait si bien.

« De deux assiettes de poulet et d’une tournée générale. Cette demoiselle m’a sauvé la vie, je lui dois bien ça ! »
« Vraiment ? Sol paraît surprise, sur le coup. Il faudra que vous me racontiez ça. Elle désigne du menton la salle derrière elle. Installez-vous, le temps que j’apporte ce qu’il vous faut. Que voulez-vous boire, Neleam ? »

Le professeur n’attend pas la réponse de la jeune femme pour aller s’affaler sur sa chaise favorite, lui laissant le loisir – ou non – de le rejoindre. Lorsqu’elle choisit finalement de prendre place en face de lui, Jarod ne perd pas une minute pour se pencher vers elle, curiosité prenant enfin le pas sur tout le reste.

« Alors Neleam, et si vous m’expliquiez ce qui vous pousse à vagabonder dans les rues sombres d’Al-Jeit ? Et ne me parlez pas de sauver des chatons en détresse, il n’y avait que moi et je suis loin d’avoir le raffinement nécessaire. »

Déconcertant, lui ? Si peu.  
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Neleam
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11.12.16 22:33
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L’inconnu sembla apprécier la réponse de la guerrière et se remit en route. Cette dernière lui emboîta le pas, se demandant où il allait l’emmener. Elle l’observait, dissimulant mal sa curiosité. Il semblait dans un autre monde. Il avançait le nez en l’air, les yeux dans le vague…

« Vous ne trouvez pas qu’il y a trop de lumière dans cette ville ? Et ces bras qui se lèvent, décrivent de grands cercles tandis qu’il tournoie encore, manquant de tomber à la renverse lorsque son équilibre se rompt. On ne voit même pas les étoiles, par le Dragon ! Je suis pour faire éteindre tous ces stupides lampadaires. De toute manière, ils ne servent à personne. »



Neleam, amusée par cette remarque sortie ne nulle part, rit. Elle n’eut pas le temps de répondre que l’homme s'écria.

« C’est ça ! Dès demain, je créerai une pétition. La signerez-vous ? »


La guerrière réussit cette fois-ci à répondre, sans se laisser déstabiliser par l’étrange comportement de son compagnon de nuitée, et le vacarme qu’il faisait lorsqu’une idée lui traversait l’esprit.

-Si, ces lumières servent à savoir où on met les pieds et à repérer les individus louches, car les gens, en général, sentent quand ils vont se faire détrousser et profitent de la lumière pour prendre leurs jambes à leur coup, sans trébucher sur des pavés mal ajustés.

La jeune femme se demandait si son inconnu avait songé à prendre la poudre d’escampette quand les gros bras s’étaient approchés de lui. Il était probablement plongé dans ses pensées et n’avait réalisé leur présence qu’au moment où l’un l’agressait verbalement (et peut-être même physiquement).

-Mais c’est vrai que les sphères empêchent de voir les étoiles… C’est dommage. Mais j’apprécie leur lumière réconfortante parfois dans la nuit, bien qu’elles dissimulent de ce fait l’étendue de l’univers.


Elle devait avouer qu’elle s’était déjà posé beaucoup de questions  propos de ces lumières. Comment s’allumaient-elles ? Il s’agissait de dessins, on le lui avait bien dit, mais comment s’allumaient-ils ? Les dessinateurs devaient-ils passer dans toutes les rues pour les allumer ? Ou le dessin avait été conçu pour s’allumer tout seul à la nuit tombée ? Elle n’en avait pas la moindre idée, le Don était tellement nébuleux pour elle, qu’elle n’essayait pas forcément de comprendre. Il y avait des lumières à la capitale, et si on voulait voir le ciel étoilé il fallait s’éloigner de la ville.

-On peut voir des étoiles plus facilement que ces stupides lumières, c’est assez rare, pour les personnes dénudées de la moindre once de Don. Les étoiles sont visibles partout hors de la ville, et même sur certains toits ou en haut de certaines tours, il suffit de savoir où aller.

Et Neleam savait où aller. Lors de sa première visite, ses amis étaient des amoureux de la nature et lui avaient fait découvrir quelques endroits stratégiques pour profiter de la nuit et de ses merveilles. La pétition disparue de son esprit, tout comme elle allait disparaître d’ici peu de celui de l’homme qui venait de l’inventer.
Plongée dans ses souvenirs, la guerrière tarda à réaliser qu’ils étaient arrivés à destination.

Neleam observa en riant l’entrée de l’inconnu dans l’auberge, se demandant quel drôle d’homme était-il. Il était vrai qu’il avait un certain charme, son visage était séduisant, ses yeux pétillants et son sourire généreux. Il semblait doté d’un humour assez particulier, semblable à celui de Neleam, c’était probablement la raison pour laquelle elle riait à ces blagues douteuses et pénétra dans l’auberge, un sourire navré aux lèvres.
La propriétaire des lieux ne tarda pas à se montrer et elle ne semblait pas particulièrement apprécier l’entrée tonitruante de l’individu. Armée d’un torchon elle lui claqua les fesses sous le regard étonné de Neleam. Elle ignorait tout de l’homme qu’elle avait sauvé, peut-être était-ce sa femme. Ils semblaient avoir une grande complicité, c’était certain, car malgré tout, les deux se souriaient avec sincérité.
Rapidement, la patronne réalisa que son ami n’était pas seul, et les présentations furent faites. La dame (demoiselle probablement, elle semblait encore jeune et vive) se nommait Soline et l’échange suivant lui apporta une précieuse information, l’inconnu s’appelait Jarod.
La guerrière sourit avec bonne humeur et serra la main de la propriétaire de l’auberge, répondant à son salut.

-Tu n’es pas à plaindre, pour ma part j’ignorais même qu’il s’appelait Jarod !


Neleam ponctua sa phrase d’un rire, car la situation l’amusait et qu’elle annonçait une très agréable fin de nuit. Jarod commanda donc du poulet pour deux et Neleam demanda une petite bière pour accompagner leur repas. Une boisson alcoolisée, mais peu forte, elle ne voulait pas non plus passer pour une grande alcoolique, bien que ça n’émousse pas pour autant sa réputation.

Jarod s'installa confortablement sur une chaise et attendit avec uen impatience visible que la guerrière le rejoigne, ce qu'elle ne tarda pas à faire. À peine fut-elle assise que l’homme à la crinière indomptable reprit la parole, avide d’histoires, car c’était des histoires qu’il voulait, Neleam le voyait dans ses yeux. Pour fréquenter des chevaliers, elle savait reconnaître cette petite étincelle dans le regard.

« Alors Neleam, et si vous m’expliquiez ce qui vous pousse à vagabonder dans les rues sombres d’Al-Jeit ? Et ne me parlez pas de sauver des chatons en détresse, il n’y avait que moi et je suis loin d’avoir le raffinement nécessaire. »


Armée d’un sourire, la jeune femme se prépara à répondre, comme elle en avait l’habitude, en contant une histoire et en enjolivant sa vie. Mais là… que pouvait-elle enjoliver ? Car sa mélancolie lui revint en mémoire et lui engourdit brusquement tout le corps.

-Je… réfléchissais. Je sondais les tréfonds de mon âme, sans regarder où me menaient mes pieds ni sans me préoccuper de l’heure.


Neleam eut un sourire triste et baissa les yeux sur sa pinte qui venait d’arriver. Elle remercia Soline, qui repartit en cuisine, pour leur poulet. La guerrière en profita pour boire une gorgée désaltérante du liquide ambré et savoura l’explosion de bulles sur sa langue.
Ses yeux bleus observèrent Jarod, cherchant à comprendre cet homme. Il était blagueur, intrépide et bavard, mais elle ne voyait que la partie émergée de l’iceberg.

Elle réfléchissait à ce qu’elle pouvait lui demander. Il était ivre, donc ça expliquait probablement la raison pour laquelle il avait fait le fier-à-bras, mais il y avait quelque chose qui dérangeait Neleam, sans qu’elle ne puisse mettre le doigt dessus. Même ivre, un homme sait lorsqu’il va perdre la face et qu’il faut s’incliner, mais pas lui… pourquoi ?
Une idée fugace encouragea Neleam à poser sa question.

-Tu sais dessiner .. ?

C’était étrange, mais… elle sentait que la réponse serait oui. Ça justifierait une partie de son comportement, et surtout, ça la ridiculiserait.
Mettant fin à ces pensées peu agréables, Soline revint et posa sur la table deux assiettes fumantes. Le poulet était recouvert d’une sauce odorante, qui chatouilla les narines de Neleam. C’était relevé et coloré. Elle avait toujours été nulle avec les épices, elle espérait ne pas devoir donner la recette de cette sauce…

-Merci Soline ! Ça sent très bon, ce qui est un bon début !

Neleam sourit à la jeune femme et l’invita à s’asseoir à leur table. Elle trempa les dents de sa fourchette dans la sauce, préférant goûter un petit peu avant de manger une pleine bouchée, au risque de se brûler la langue et de laisser les épices lui mettre le feu à la bouche. Ce fut donc quelques saveurs raisonnables, mais parfumées. Une explosion de saveur, maîtrisée et appétissante. La jeune femme prit donc une nouvelle bouchée, cette fois-ci avec du poulet et plus de sauce.

-Et c'est délicieux.


Son expression devait probablement parler pour elle, les yeux écarquillés et le sourire aux lèvres, hochant la tête, car Soline rit.
Neleam se sentit mieux après sa bouchée, sa tristesse s’était de nouveau envolée et elle avait envie d’en savoir plus à propos de ces deux drôles d’animaux.

-Vous formez un couple d’amis plutôt détonant, comment vous êtes-vous rencontrés et ça dure depuis combien de temps ?


Neleam les observa avec attention, avant de réaliser qu'elle avait oublié un détail.

-Ah ! Et tutoyez-moi s'ils-vous-plait, je n'ai pas (encore) quarante ans.


La demoiselle ponctua sa phrase d'un clin d'oeil amusé en direction des deux individus, espérant qu'ils la tutoieraient comme elle le faisait avec eux. Il est vrai qu'elle n'était pas du genre à donner du "vous"..

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27.12.16 1:13

Et tournent, tournent le monde et la bague qu’il tient entre ses doigts, tournent la vie et surtout cette fourchette, dont l’acier vient finalement tapoter sur le bois de la table en un battement régulier. Il a faim, soif, chaud peut-être aussi, à moins que cette chaleur ne soit qu’un énième effet de l’alcool qui parcourt ses veines avec toujours plus de ferveur. Les yeux rivés sur Neleam, Jarod perçoit pourtant à peine le malaise qui s’empare d’elle à sa question, persuadé qu’il peut mettre sa soudaine mine renfrognée sur le compte de l’attente – toujours trop longue – de ce fabuleux poulet.

« Je… réfléchissais. Je sondais les tréfonds de mon âme, sans regarder où me menaient mes pieds ni sans me préoccuper de l’heure. »

Il hausse un sourcil, plus perplexe qu’autre chose, comme si l’idée de se perdre pour mieux se retrouver lui était tout bonnement inconcevable. On peut s’oublier, oui. Devant une bière ou dix, faire abstraction de ce qui nous emprisonne, passer outre les serrures de cette cage dorée dans laquelle certains se complaisent à vivre plus que nécessité… Mais obtenir des réponses en marchant au hasard ? Quelle drôle d’idée. Pour autant, son ouverture d’esprit finira par prendre le dessus, en atteste le sourire qui brille sur son visage tandis qu’il déclare simplement :

« Je connais des coins plus sympathiques, si vous désirez prendre un peu l’air. »

Il ponctue sa remarque d’un vague mouvement d’épaules, agitant de nouveau sa fourchette sous le nez de la jeune femme et s’emparant de sa chope de la main qu’il a laissée libre.

« Néanmoins, vous êtes plutôt bien tombée ! Déjà, parce que vous êtes maintenant en charmante compagnie… Petit clin d’œil à l’appui. Ensuite parce qu’il n’est rien qu’un bon repas ne puisse aider à éclairer ! »

Et cette vérité attise son rire et fait lever les yeux au ciel à Soline, qu’il aperçoit nettement en arrière-plan. Elle le surveille, la rouquine, épie ses moindres faits et gestes, en attendant celui qui le révélera tout entier – cet instant où Jarod ne saura plus se contrôler et laissera libre-court à sa folie, si tant est qu’elle l’aide à arracher un véritable sourire à Neleam. Il a toujours été ainsi, après tout, et il n’y a aucune raison que ce soir déroge à la règle.

Il plonge le nez dans sa pinte et en boit une gorgée, laissant un soupir de satisfaction éclore au creux de sa gorge au moment où sa compagne reprend la parole.

« Tu dessines… ? »

Il se redresse subitement, comme si le simple fait de lui poser cette question avait rendu à sa bière l’amertume d’une fermentation trop prononcée. Pourquoi lui demander cela maintenant ? Peut-être était-ce juste un moyen maladroit de faire la conversation. Peut-être aussi en allusion à cette récente altercation avec les abrutis de la ruelle. Il faut dire qu’il n’avait pas joué la carte de l’homme effrayé, ce soir – l’ivresse lui donne toujours l’impression qu’il ne risque rien et que son Don le protège de tout ; ce à quoi Granma répondrait qu’il n’a qu’un petit pois en guise de cervelle et qu’un jour où l’autre, il lui arrivera des bricoles, avant de le gaver à coups de madeleines et de sablés. Il dépose finalement son verre, sourire s’élargissant au fur et à mesure qu’une idée germe sous son crâne.

« Dessiner ? Oh, je sais faire mieux que ça. »

Plus tard, il sera certainement capable de lui avouer qu’il n’est pas bon dessinateur et, à défaut de l’expliquer, montrer à Neleam que son talent réside ailleurs ; autrement dit, dans son identité de Navigateur. Mais pour l’heure, voilà Soline qui approche avec deux assiettes fumantes, Jarod frappant fort dans ses mains et l’acclamant tandis qu’elle dépose les plats devant eux, ignorant avec superbe les regards interloqués et plus ou moins agacés qui se figent sur lui. Il n’a plus d’yeux que pour ce poulet aux senteurs épicées et cette association de couleurs qui baignent dans leurs assiettes.

« Jarod, tiens-toi tranquille, tu vas faire fuir tous mes clients. »

Elle le réprimande plus pour la forme qu’autre chose, alors que son attention se pose rapidement sur Neleam qui la complimente.

« Merci Soline ! Ça sent très bon, ce qui est un bon début ! »

L’aubergiste hoche la tête sans répondre, tout en s’installant à leurs côtés. Elle n’est pas de celles qui ont le rose aux joues à la moindre occasion et surtout, elle connaît l’effet prodigué par ce plat. Elle en a vu, des sourires se dessiner à la première bouchée, des visages s’éclairer au fur et à mesure que les arômes se dispersent dans la bouche, et Neleam n’échappe pas à ce spectacle que Jarod trouve lui assez singulier. Malgré l’impatience qui le dévore, le professeur n’a toujours pas touché à son plat, observant d’un air amusé la manière avec laquelle la jeune femme s’attaque au sien.

« Et c'est délicieux. »
« Ah ! Je vous avais bien dit que ça en valait la peine ! »

Il donne un léger coup de coude à Soline, cette expression taquine toujours solidement ancrée au visage.

« Un domaine dans lequel tu excelles, ma douce. »
« Ne fais pas comme si c’était le seul. »

Il jette un coup d’œil faussement exaspéré en direction de Neleam avant d’éclater de rire. Bien sûr qu’il y en a d’autres, mais est-ce utile de le préciser ? Jarod plonge donc sa fameuse fourchette dans le poulet et y goûte à son tour, savourant avec cette exagération qui lui est propre cette palette de saveurs.

« Vous formez un couple d’amis plutôt détonant, comment vous êtes-vous rencontrés et ça dure depuis combien de temps ? »

Il secoue doucement la tête à cette question. Il sait très bien comment cette scène va se terminer et surtout, qu’il devra – une fois encore – ramener Soline à cette réalité qu’elle a tendance à facilement quitter lorsqu’elle raconte l’histoire de leur rencontre. Et pourtant, c’est l’un des rares plaisirs qu’il ne s’autorise pas à lui voler.

« Ah ! Et tutoyez-moi s'ils-vous-plait, je n'ai pas (encore) quarante ans. »

Il joue plutôt bien l’étonné, avouons-le.

« Vraiment ? Et tu ne perds pas ton dentier ? Je suis déçu, moi qui m’attendais à une nouvelle méthode de dégustation de poulet… »

Sol pousse son visage du plat de la main pour le faire taire.

« D’accord, va pour le tutoiement ! De toute manière ça m’arrange, je ne suis pas aussi coincée que Jarod quand il s’agit de m’ouvrir aux gens. »

Elle rit de bon cœur en voyant la mine outrée du principal concerné, qui est bien trop occupé à s’empiffrer pour songer à lui répondre.

« Quant à ta question… Oh, ça doit bien faire seize ans que je le supporte. »
« Hmpf ! Che qu’il faut pas entendre ! »

Elle lui tapote l’arrière du crâne.

« On ne parle pas la bouche pleine, vieux crado ! Je te l’ai déjà dit. Elle hausse les épaules, poursuivant. Quant à l’histoire de notre rencontre… Pour faire court, je l’ai retrouvé ivre mort et assis tout seul sur un trottoir, au beau milieu de la nuit. Oui, je sais ce que tu te dis : ça sonne comme une habitude ! Elle éclate de rire, à nouveau. Mais je t’assure qu’il y a des jours où il est parfaitement sobre. »
« Dit comme ça, tu donnes l’impression que c’est un exploit. »

Elle ne se formalise pas de sa moue boudeuse – seize ans, ça donne largement le temps d’apprendre à ne plus s’émouvoir de la gaminerie de Jarod.

« Je l’ai ramené à l’Académie, et cet imbécile a tenté de m’embrasser. »
« Oh ça va ! C’était juste pour vérifier que je ne te plaisais pas. Il lève les yeux au ciel, pour enfin les laisser s’accrocher à ceux de Neleam. Et elle me l’a très nettement confirmé, d’ailleurs. »
« Je lui ai collé une droite mémorable. »
« A m’en briser la mâchoire ! »

Sol s’amuse, oubliant pour quelques instants l’ébriété de son ami au profit du conte, et sa bonne humeur est contagieuse.

« Et puis, il m’a finalement retrouvée – j’ignore toujours comment d’ailleurs. Aussi dingue que cela puisse paraître, cette crevette des sables s’est excusée. La suite… Eh bien, peu importe. On en est là. »

Elle hausse les épaules tandis que le Navigateur l’observe, malicieux, jusqu’à tourner les yeux vers Neleam.

« Ça en valait la peine ! Avec ça, j’ai gagné une cuisinière, une tavernière, et une nounou accessoirement. »

Il fait mine de se décaler pour éviter le coup de torchon assassin, sans grand succès.

« Mais en dix ans de dégustation, je n’ai jamais réussi à trouver l’ingrédient secret de cette recette. Alors, si tu te sens inspirée… »

Sol pousse un profond soupir, attirant son attention.

« Est-ce que tu pourrais avoir l’élégance de la laisser finir son plat avant de la rendre dingue avec ta quête impossible, hm ? A Neleam. Je suis désolée d’ailleurs, s’il t’a causé des problèmes. J’ai essayé toutes les méthodes d’éducation avec ce galopin pour en arriver… A ça. »

Elle désigne du bout des doigts un Jarod rayonnant, qui bombe le torse de fierté pour l’occasion.

« Un modèle unique ! »

Et heureusement.

« Et toi ? Tu es du coin, Neleam ? Que fais-tu dans la vie ? »

Jarod cesse de mastiquer, suivant soudainement la discussion avec un grand intérêt ; le moment est venu de voir si ses prédictions étaient les bonnes… Sol, quant à elle, se redresse brusquement et les dévisage tour à tour.

« Et d’ailleurs, comment tu en es arrivée à le sauver ? »

Le Navigateur cligne des yeux un instant, invitant finalement d’un geste du menton la jeune femme à se lancer ; puisque voilà une histoire qui mérite, elle aussi, d’être racontée.  

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21.01.17 22:01
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Tandis que Neleam dégustait son délicieux poulet à la sauce surprise, elle écoutait attentivement Soline, l’aubergiste qui lui racontait comment elle avait rencontré Jarod.

Cette femme était pleine de vie et Neleam ne put s’empêcher de sourire tandis que se déroulait le récit. Elle accompagna également la jeune femme dans son éclat de rire, visualisant la scène avec une étonnante clarté. Jarod, ivre et esseulé était une image plutôt amusante, surtout lorsqu’on connaissait –même très peu- le caractère exubérant du jeune homme.
Le reste de l’histoire était tout aussi plaisante à écouter, Soline était une excellente conteuse et Jarod se prenait également au jeu et.. leur histoire était drôle.
Neleam observa la complicité des jeunes gens, notant leur profond lien et les enviant presque. Ele en oublia même de manger. Cette soirée était décidément très surprenante.

« Mais en dix ans de dégustation, je n’ai jamais réussi à trouver l’ingrédient secret de cette recette. Alors, si tu te sens inspirée… »


La demoiselle fit les gros yeux, découvrir les ingrédients secrets de cette sauce succulente… C’était un sacré défi ! Mais elle doutait être capable de le relever…

« Est-ce que tu pourrais avoir l’élégance de la laisser finir son plat avant de la rendre dingue avec ta quête impossible, hm ? À Neleam. Je suis désolée d’ailleurs, s’il t’a causé des problèmes. J’ai essayé toutes les méthodes d’éducation avec ce galopin pour en arriver… À ça. »

Neleam sourit en secouant la tête, il n’y avait aucun mal et après tout, c’était lui qui était dans une fâcheuse posture au moment de leur rencontre. La réponse pleine de fierté tira un nouveau rire à la guerrière, tandis qu’elle observait Jarod bomber le torse, pour peu il se serait pavané fier comme un paon.
La jeune femme reprit la dégustation de son poulet, elle ne voulait pas ça refroidisse !

« Et toi ? Tu es du coin, Neleam ? Que fais-tu dans la vie ? »


Ho question piège. Neleam songea à son pendentif, toujours au fond de sa poche. Et si elle ne voulait plus être chevalier. N’était-ce pas l’occasion d’être une autre personne pendant un bref instant ? Le nez dans son plat, la jeune femme tarda à répondre, suffisamment pour que Soline poursuive avec une autre question.

« Et d’ailleurs, comment tu en es arrivée à le sauver ? »


L’intéressée releva la tête et observa Jarod, se demandant si elle devait avouer qu’il cherchait la bagarre…  et se dit qu’elle allait conter les choses comme elle lui venait.

-Hum, cette histoire est moins trépidante que celle de votre rencontre je le crains. Je me promenais au hasard des rues, quand j’ai entendu des hommes agresser un inconnu. J’allais pour poursuivre mon chemin lorsque l’inconnu leur a vertement répondu, allant jusqu’à leur conseiller de se laver les dents ! Ma curiosité était plus forte, je voulais savoir qui avait un tel culot et… j’avoue que ça m’aurait déplu qu’une telle personne perdre toutes ses dents pour avoir eu de la répartie, donc je suis intervenue ! Juste à temps.


Neleam fit un grand sourire, signe de sa fierté, avant de poursuivre, après avoir pris une gorgée de bière.

-Et sinon.. Je suis chevalier. Enfin je l’étais. Ces temps-ci je ne sais plus trop ce que je veux et ce que je suis.


Coupant Neleam dans ses aveux, la porte de l’auberge s’ouvrit à la volée et trois hommes entrèrent. La guerrière les dévisagea rapidement tandis que Soline s’excusait et partait à leur rencontre. Le devoir l’appelait.

-Je l’aime bien.
Neleam reposa ses yeux sur Jarod. Soline. Je l’aime bien, elle est amusante et pleine de vie. Vous vous êtes bien trouvés.

La guerrière leva son verre, portant un toast.

-À votre amitié indéfectible !


Elle sourit généreusement au jeune homme et vida sa chope. Il était temps qu’elle rejoigne son protégé dans son ébriété ! Elle demanda deux verres de liqueurs ainsi qu’une bière supplémentaire, la nuit était encore jeune.


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