Il peut chevaucher pendant plusieurs heures sans se fatiguer. Ca fait partie de son travail d'éclaireur, et son très bon sens de l'observation le lui permet. Il sait aussi se  déplacer sur des chariots en marche sans difficulté, ce qui n'est pas étonnant quand on a vécu dans une caravane de ses deux à ses dix-sept ans, mais également se battre au poignard, et un peu escalader. Ewen est très souple, et fort, bien que petit et fin. Son tir à l'arc est acceptable, mais il  peu de professeur et trouver un arc qui lui soit adapté a été long de toute façon, l'arme étant soit pour des gens plus petits et jeunes que lui, soit pour des guerriers au contraire plus grands et habitués au tir. Il fait tout de même un archer correct, voire de bon niveau pour son âge. Il sait dessiner un feu, ainsi que de l'eau et de la lumière, mais c'est à peu près tout. Il n'est pas un dessinateur, et s'en moque. Il est aussi très doué pour négocier, pour préparer des tartelettes délicieuses, et en mager encore plus. Il possède un certain nombre d'autres savoirs plus ou moins utiles.
         

Ewen rêve, assit en équilibre précaire sur une barrière de bois clair. Il rêve souvent. On le lui reproche assez. Et d'avoir l'air trop désinvolte, aussi. Personne ne pourra lui reprocher de n'être pas consciencieux ou travailleur, en revanche. Il est l'un et l'autre. Et quoi qu'ils en disent, il a bien assez de temps pour rêvasser. Et pour avoir des pensées valsant entre cynisme et sarcasme un peu plus souvent qu'à son tour. Et pour s'entraîner, bien sûr. Il s'entraîne énormément. Il assez de temps pour faire ce que bon lui semble. Ewen connaît par coeur la caravane, ses rythmes, ce qu'il a à faire. C'est pour ça qu'il se débrouille pour ne jamais être tout à fait dans le temps de la caravane, afin d'être dans le sien. Parce qu'il n'aime pas être là où on l'attend. Il n'aime pas les règles, ni les ordres, en tout cas, quand il n'a pas choisi de les suivre. S'il n'a pas le choix, il agit avec indolence et désinvolture. Mais ne vous y fiez pas, il peut très bien trouver un moyen de se venger, ou tout simplement de ne pas faire ce qu'on lui demande. Il est très inventif, pour ça. Ce qu'Ewen aime, c'est être libre. Et sourire, rêver, penser, observer tout ce qui se trouve autour de lui, s'entraîner, et bien d'autres choses encore. Comme manger son dessert en entrée, passer d'un chariot à l'autre en marchant sur les mains, et faire des blagues stupides à ou avec Lynn. Il sait que certains le trouvent étrange, décalé. Il le sait, et il s'en amuse.
         

Il n'est pas seul à observer le spectacle. Il y en a aussi qui le regarde lui, plutôt que le travail rôdé qui se déroule sous leurs yeux. Il les regarde l'observer d'un regard en coin. Indifférent. Il a de grands yeux sombres, encadrés de longs cils tout aussi noirs. Ses traits sont fins, sont visage clairement juvénile. Des lèvres charnues et plaines dessinent un sourire en coin. Ces deux là ne sont vraiment pas discrets. Il s'en désintéresse et reporte son attention sur ce qui se passe. Ces gens ne le connaissent pas. Or, aussi loin qu'Ewen se souvienne, il y a toujours eu des gens pour être intrigués par lui. Des gens pour se demander ce que faisait un gosse, si jeune, dans cette caravane. Il y en avait eu aussi, de tous temps, pour dire une gosse. Il y en avait toujours, d'ailleurs. Visage trop fin, voix pas assez forte, encore que toujours audible, trop grands yeux en amande ornés de cils trop longs. Ewen passa une main dans ses cheveux noirs et raides, qui se dressaient par endroits en épis indisciplinés. Son teint était très variable, aussi pâle l'hiver que fortement hâlé l'été. Son corps fin, pas très grand, mais élancé, est étendu de manière désinvolte sur cette barrière pourtant peu large. Equillibre. Et habitude, aussi. Ça faisait des années qu'il s'asseyait à cet endroit avant le départ. Il ferma un instant les yeux, repensant à de vieux souvenirs.
         

Aussi loin qu'il se souvienne, Ewen a toujours été dans la caravane. Ses parents sont arrivés quand il avait deux ou trois ans. Et un jour, ils ont disparu. Sans qu'on sache comment, ni pourquoi, si c'était volontaire, ou non. Ewen s'en moque, aujourd'hui. Ils ne sont plus guère pour lui qu'un vague souvenir nostalgique. Il n'a pas de parents, d'accord. Mais il n'a jamais été seul. Parfois, c'est étouffant, d'ailleurs. Mais rassurant aussi. L'intendant et la maître caravanière pourraient être considérés ses parents. Bien qu'ils n'aient jamais eu une relation autre que professionnelle et amicale. Même s'ils se disputaient un peu tout le temps sur un peu tous les sujets, juste par habitude. Mais il n'y avait pas seulement eux. Il y avait les thül qui travaillaient le plus souvent avec eux, et bien sûr, beaucoup d'autres Itinérants. D'accord, il n'avait pas de parents, mais il avait une famille. Un autre membre de cette famille, c'était Lynn. Lynn, dont le prénom, d'ailleurs, était Evaëlynn, prénom qu'elle détestait. Elle aussi, était de la caravane. Depuis ses dix ans. Ses parents étaient des colons qui partaient s'installer dans le nord et faisaient le trajet avec eux. Finalement, le père était parti seul. Lynn et sa mère étaient restées. Et toutes les deux se retrouvèrent soudainement bien moins souvent blessées qu'avant. Lynn retrouva le sourire. Un sourire encore plus espiègle que le sien, agrémenté de fossettes. La petite fille avait en plus de ça quelques tâches de rousseur et les yeux marrons les plus clair qu'Ewen ai jamais vus. Ils devinrent inséparables pour de bon. Et, quelques années plus tard, ils étaient devenus le duo d'éclaireurs le meilleur et le plus improbable que la caravane aurait pu trouver. Il adorait les chevaux, et Lynn plus encore. La première fois qu'il avait vu une troupe de Raïs au loin, il était rentré directement à la caravane, faisant volte-face avec habileté. Et s'était fait réprimender pour n'avoir pas observé plus avant, une fois l'attaque démantelée par les Thüls. Il avait maintenant l'habitude, et malgré le frémissement qui le poussait à attaquer ou à prévenir les autres, il se contentait d'observer la menace avant de faire volte-face. En envoyant une flèche ou un poignard avant s'il en avait l'occasion.
Mais cette vie, mais si elle peut paraître exotique vue de l'extérieur, n'était pour Ewen, qu'un quotidien. Un quotidien heureux, certes. Mais plus il observait à cheval les paysages lointains, plus il rêvait d'aller les découvrir, seul, et par des chemins moins rodés. Plus le temps passait, plus il rêvait de partir. L'été de ses quinze ans, pour la première fois depuis quelques années, ils avaient engagé un marchombre pour protéger la caravane. Pour Ewen, cela avait été un choc. Ce n'était pas la première fois qu'il rencontrait un marchombre. En revanche, il avait trouvé une clef. Une possibilité. Liberté. Son premier Maître-mot. Ewen savait ce qu'il voulait être à tout pris, à partir de ce jour. Marchombre.
Ewen observe le remue-ménage sur l'esplanade de départ. Il ne participe jamais aux préparatifs, préférant se cacher dans le fond, toujours en ce même endroit, pour observer et, au dernier moment, se glisser dans un chariot au moment du départ. Cette année, une lueur de mélancolie flotte dans son regard. Il sait que cette fois, il ne partira pas avec la caravane. Il repense à Lynn, qui est venue le voir il y a 4 jours. Décidément, c'est elle qui le connait le mieux. Son amie lui avait mis un énorme coup de poing dans le bras en le traitant d'abruti idéaliste. Puis elle était partie, s'était retournée, et lui avait lancé : "A la prochaine, Ewy !" Il avait râlé de ce surnom pour la forme. Puis Lynn s'était retournée et était partie en courant. Ewen avait souri. Elle allait tellement lui manquer. Les chariots bougeaient, déjà. Il se laissant glisser de la barrière où il était perché, et partit, à pieds, dans la direction opposée. Il ne lui restait plus qu'à tout apprendre.