Alex est un marchombre. Est ou était. La limite est floue, même pour lui. Il a accompli sa formation lorsqu'il était encore un jeune homme, réussi l'épreuve de l'Anh-Ju et même demandé à recevoir la greffe. Il ne l'a cependant pas reçue. Alex était un marchombre, ni mauvais, ni excellent. Il possède les qualités propre à son enseignement, mais s'est éloignée de la voie juste après la fin de sa formation.
Son style de combat est devenu violent, puissant. La supériorité de son enseignement le pousse à ne jamais perdre son temps et à terrasser l'ennemi le plus rapidement possible. Ce n'est pas qu'il aime tuer, au contraire. Mais c'est peut être cette colère qui le pousse dans des retranchements effrayants.
Amené à voyager, il a exploré le monde pour y découvrir d'autres façon d'appréhender la liberté, la Voie. Il apprit d'autres armes, d'autres façon de combattre, mais également d'autres connaissances. La navigation, la météorologie, la survie en tout milieu hostile, l'histoire des différentes parties de Gwendalavir et même plus loin encore. Au fil des ans, il se découvrit un élan de vie pirate. L'exploration, la découverte de trésors enfouis, cachés, oubliés. Les mystères et les secrets du monde. Il a développé un véritable don pour se mettre en chasse et dénicher des merveilles ou des réponses.
   

La liberté a toujours été un maitre mot dans la vie d'Alex, un pilier qui le guide, le soutient et le pousse en avant. C'est une des choses qui l'ont guidé jusqu'à la voie marchombre. Il en a tiré ce qu'il a pu mais malgré l'extraordinaire voyage qu'elle lui offrait, celle-ci n'était pas faites pour lui. Il s'en est détourné sans animosité mais sans un regard en arrière.
Si la liberté était un pilier, les mystères en étaient les fondations. Les secrets, la recherche, l'inconnu et les trésors faisaient vibrait son cœur. L'attrait de l'archipel Alines lui apparu alors comme une nouvelle porte à franchir sur sa propre voie. Il s'y engouffra, non sans difficulté, pour y découvrir une vie d'aventure, de découverte, de sensations. Mais également de simplicité, de sauvagerie, de prodiges, de combat, d'infinité perdue entre ciel et mer...
Le gout du sel. Le chant de l'eau contre la coque. Les histoires du vent, perdus dans l'océan. Les peintures du ciel à l'aube. Les arabesques…
L'odeur de la suie. La vue de l'or. L'écoute des chants de guerre. L'adrénaline s'écoulant dans ses veines lorsqu'il manquait de peu la mort. La vie fusant dans chaque parcelle de son corps. Le gout du sang…
Il y trouva une renaissance.
Du chant des sirènes aux plus hauts volcans.
Les mystères de l'océan l'ont fait grandir. De marchombre, il est passé à simple pirate puis capitaine de navire. Se transformant au fil des ans, il est devenu un homme nouveau, préparé aux difficultés de la vie, à la mort de ses compagnons, la perte de ses batailles et plus récemment de sa famille. Cette dernière perte l'a affecté de façon irréversible. Dans une quête de vengeance contre le monde et les hommes, il s'est meurtri. Perdu sur les flots, à la dérive, il erre.
   

Les yeux bleu perçant, les cheveux courts et hirsutes, jamais coiffés, une barbe à peine taillée correctement, son visage est globalement buriné par les années, taillé dans la roche à grands coups. Son corps musclé est constellé de cicatrices plus ou moins grandes qui déforment sa peau. Qu'elles soient dus au combat ou aux accidents, elles prouvaient que son corps avaient servi au-delà parfois des limites raisonnables.
Sans finesse, pourtant son attitude dénotait.  Sa démarche fluide le rappelait à ses origines alors que quelque chose d'animal avait également pris place dans ses mouvements. Alex n'était plus un marchombre, il était plus et moins à la fois. Différent. Il arbore quelques tatouages pourtant bien dissimulés sous ses vêtements, mais il est loin de ressembler aux pirates peinturlurés des iles.
Alex avait été un beau jeune homme, mais les aléas de la vie ont appuyés sur son physique. Il a gagné en charme et une aura étrange se dégage de lui. Quelque chose de dangereux et violent. Une tension toujours présente mais qui ne se révèle pourtant jamais. Comme une arbalète tendu.  
   

Les flots martelaient le navire avec force. Ce dernier suivait des vagues de plus en plus hautes, offrant une amplitude croissante à laquelle il était difficile de résister. Le ciel était noir de nuages. Une chape de plomb se formait, grossissait, se préparant à s'abattre avec violence pour tout écraser. Menaçant d'emporter le bâtiment mal en point au fond de l'eau, d'une seule averse. Les tempêtes de l'océan n'étaient pas connu pour leur douceur. Et celle qui se préparait promettait d'être divine.

Le soleil était bas sur l'horizon, à un endroit où rien encore ne l'empêchait de briller. Une étrange quiétude bercée d'or et de cuivre régnait donc. Le calme avant la tempête. La tension était palpable et l'attente insupportable faisait craquer la coque. Mais le trois mâts grondait d'une rage sourde et filait toute voile trouées dehors, se riant de ses blessures à vif. Il avait une dernière mission ce soir.  Et il la remplirait.
Alex observait le crépuscule mourir. La main sur le mât, s'accrochant pour que le vent ne le jette par-dessus bord. Finir dans la mer à ce moment là signifierait la mort. S'il ne s'écrasait pas sur le pont. Il s'emplissait pourtant des dernières effluves de tranquillité qui lui était offert. Respirant l'air marin qui se chargerait bientôt d'une humidité telle qu'il serait possible de boire la tasse en prenant une trop grande goulée.
Décidant qu'il avait assez profité, il salua une dernière fois le soleil. Il s'appuya contre la rambarde de la vigie et passa par-dessus bord. Crochetant une corde quelques mètre plus bas avec aisance, il amorti sa chute jusqu'au pont et se laissa descendre en douceur, atterrissant dans un silence de mort.
La bateau tout entier voguait en silence.

Aucun bruit de pas, aucune clameur. Jusque dans les entrailles même du vaisseau, déchirées, pas une âme ne vivait. Le sang séché sur les cordages, les coups d'épée dans le bois, le bastingage détruit à coup de canon… Chaque blessure portée à son navire était une blessure portée à son être. Réminiscence de douloureux souvenirs. Du combat. Non, du massacre.
Il passait ses doigts sur la carcasse malmenée, se gorgeant de rage et de haine par chaque suintement invisible qui s'écoulait en lui et sur les flots. Si la Dame passait derrière le navire, peut être lui offrirait-elle sa bénédiction. Ou peut être le punirait-elle.
Il s'arrêta de marcher, la main sur la barre. Décrochant le morceau de bois qu'il avait trouvé pour bloquer le cap, il le rectifia. L'armature grinça sinistrement sur les vagues, projetant des gerbes d'eau de plus en plus importante, s'élevant haut dans le ciel. Les rayons du soleil s'y reflétaient par milles pierres précieuses lancées contre le vent et retombant sur le pont rougi.
Mais le navire filait droit devant lui, insensible à la beauté effrayante du moment, tout comme son capitaine. Il ferma les yeux alors que des mots se gravait sous ses paupières malgré lui.


Quand il les ouvrit à nouveau, il faisait noir. Un éclair apparut au loin, coupé par une forme sombre et haute. Il approchait.




Le flash d'un éclair. Les trombes d'eau se déversant avec violence, rendant le sol boueux. Le bruit déchirant du tonnerre. La tempête faisait rage dans une obscurité d'encre, entrecoupée par les éclats furieux des nuages.
A genoux, par terre, maintenu par les bras, Alex observait la marée de corps sans vie qui jonchait le sol. Il serrait les dents, de ses blessures à vif s'écoulait lentement sa vie. Il n'en n'avait plus pour longtemps. Mais il ne regrettait rien. Il avait fait ce qu'il pouvait. Son nom s'effacerait aussi vite qu'un message sur le sable. Mais il s'en fichait. Il n'avait plus rien à attendre de la vie.

Qu'il ait réussi à venir jusqu'ici était un miracle. Il avait vogué sur un bateau détruit, seul. Avait retrouvé la trace de ses proies, bravé la tempête sans précédent qui s'annonçait, pour enfin arriver sur l'île. De là avait commencé son entreprise de mort. Se venger de l'équipage pirate qui les avait attaqués, par avidité. Il avait alors décimé et ravagé avec la même violence dont ils avaient fait preuve.
Il était bon combattant. Et ils ne s'étaient jamais attendus à ce qu'il soit là. A ce qu'il les traque. La bataille avait été gagnée depuis bien longtemps pour eux. Elle n'avait pourtant fait que commencer pour lui. Jouant de la surprise, il en avait mis à terre un bon nombre avant que d'autres ne sortent braver les éléments pour le défier.

Il n'était pourtant pas un surhomme. La fatigue avait commencé à venir. Les premières blessures. Son sang se mêlant à celui de ses assassins.
Mais il avait vengé. Ses compagnons d'armes, sa femme, toutes les promesses désormais non tenues. Tous les espoirs et les rêves morts qui fleurissaient sur les tombes de ceux qu'il avait connu. Qu'ils reposent en paix. Alex ne regrettait rien.

Un des hommes qui le maintenait lui releva la tête pour faire face aux survivants qui l'entouraient, armes et torches à la main. Beaucoup trop nombreux. Et lui bien trop faible. Sa poitrine se soulevait avec difficulté.
Un homme s'avança, le capitaine Alom. L'homme qui avait relâché la meute de chiens sur son équipage au moment le plus sournois qui soit. Il n'avait compris que trop tard qu'il s'était attaqué à un loup. Il l'avait payé cher, en témoignait la moitié de son équipe à terre. Un rictus de haine fendait son visage avec une violence mesquine.

Cette vision tira un sourire condescendant à Alex. Moins facile de vivre la même chose. Le coup portée à son visage fusa aussitôt sa pensée terminée. Il grogna alors qu'une nouvelle ligne de feu s'ajouta à son corps constellé. Il ne savait pas ce qui l'avait touché, mais à ce stade, était-ce vraiment important ? On le remit d'aplomb alors que la voix d'acier de l'homme qui lui faisait face couvrit le vacarme incessant.

- Bien dommage qu'il ne reste plus aucune de tes pouliches avec lesquels s'amuser en attendant ton tour. Tu aurais surement adoré le spectacle juste avant ta mort. Mais vu ton état, on va se contenter de te regarder en riant.

L'estropié reçu un crachat des plus haineux au visage. Il aurait tellement voulu pouvoir l'atteindre lui. Plus que tout autre. Les faveurs de la Dame avaient donc des limites. Il ne prit même pas la peine d'ouvrir la bouche et lui offrit un sourire insolent. Alom leva alors sa lame. Alex ferma les yeux. Qu'il en finisse avec monde ci.

Il avait cru trouver sa voie, l'endroit où il pourrait s'accomplir. L'échec avait été aussi cuisant qu'un instant sous les flammes du Dragon. Il repensa à ses compagnons. Ses soirées à voguer sous les étoiles. Ses découvertes improbables, ces nouvelles iles et ces trésors, ces joies passées à repousser sans cesses les limites du monde, de l'océan. Sa femme. Il voulait que ce soit la dernière chose à laquelle il pensait.
Malgré lui, l'image de la Dame lui apparut. Se frayant un chemin dans son esprit. La seule fois de sa vie où il l'avait vu. Il était encore jeune et découvrait à peine l'immensité du monde. Il  la remercia une dernière fois d'avoir guidé ses pas aussi longtemps...



L'éclat surpris des hommes se fit entendre. Mais rien ne se produisit. Aucune douleur sur son cou, dans sa poitrine... Il ouvrit les yeux. Tous les pirates s'était tournés vers le centre du cercle. Qui n'était plus lui. Une gamine se tenait debout et fut trempée en quelques secondes. Elle était apparu de nulle part, vu les regards d'idiots éberlués qui se peignaient sur le visage de chacun. Mais l'étrangeté de la scène devait surement pousser Alex à arborer le même air. L'enfant ne bougeait presque pas, observant les alentours d'une manière interdite. Elle ne savait visiblement pas ce qu'elle faisait là.

Une des leurs ? Les autres la dévisageait pourtant avec toute l'animosité dont il pouvait se parer. La fille quant à elle ne semblait pas perturbée plus que cela. Elle n'observait aucun des cadavres qui s'étalaient à ses pieds. Ses yeux étaient tournés vers les vivants, dévisageant chaque homme. La pluie n'aurait pas battue à tout rompre qu'on aurait pu croire le temps arrêté.

- Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

La fillette sursauta alors. Elle rentra la tête entre ses épaules à la voix qui avait claqué, se tournant vers un des pirates qui avaient parlé. Les torches faiblissaient, tout comme l'ardeur des hommes aussi douché que leur corps tendus.

- Tuez là. Elle est surement avec lui.

Tous dégainèrent leurs armes. Face à une enfant. La voix d'Alex s'éleva malgré tout.

- Vous n'allez quand même pas buter une gamine ?!

Un chapelet des pires jurons lui traversa l'esprit, mais personne ne faisait attention à lui. La fillette chercha un moyen de s'enfuir, affolée, mais encerclée, elle se retrouvait prisonnière. Ce fut à ce moment qu'elle croisa son regard. Des yeux de biches apeurées. Elle aussi, allait mourir avec lui. Sans avoir pu comprendre ce qui lui arrivait. Etait-ce la conséquence de sa vengeance ? La mort d'une enfant qui n'avait rien à voir là dedans...

Quelque chose connecta alors. De l'impuissance du pirate naissait une rage sans limite qui trouva un écho en elle. Au plus profond de l'âme de la fillette, une porte se déverrouilla. Une justification, un secret scellé, une voie. Son regard se durcit, sa mâchoire se contracta. Elle ouvrit la bouche comme pour un grognement silencieux. Une animalité folle dans un regard fou. Elle aurait pu avoir l'air d'un chiot montrant les dents.

Mais Alex n'avait pas envie de rire. Un autre que lui aurait pu avoir peur. Pourtant la gamine ne lui donnait qu'un sentiment de puissance en attente d'exploser. Elle lui renvoyait sa propre image avec autant de violence que de justesse. Son souffle se stoppa.

Il ne s'était passé qu'une demie seconde. Une demi seconde où l'éternité avait pris place entre eux deux. Ou chacun avait partagé plus qu'ils n'auraient pu l'expliquer. Homme usé par la vie. Enfant promise à la mort. Les pirates avaient à peine bougés. Le temps repris son cours et certains se dirigeaient vers elle avec l'envie d'en finir rapidement. La prise des hommes qui l'emprisonnaient faiblissait, comme s'ils étaient happés par le spectacle.




Un éclair. Plus personne n'était debout.

Un autre. L'enfant le regardait depuis le centre du cercle.

Encore un. Elle lui faisait face, sans qu'il ait pu bouger.

Alex la fixa, sans une once de peur. Puis s'écroula sur le sable poisseux.

 

Ambre