Janvier.
L’hiver dans toute sa splendeur, au point culminant de sa beauté. Janvier. Mois durant lequel cette sublime dame aux autours de soie immaculée sort de son palais de glace afin de tendre la main aux pauvres gens. Janvier. Croyant voir un ange, nombreux succombent à cet appel et se retrouvent à jamais enfermés dans les profondeurs de la demeure aux tours de sorbet blanc.
Janvier.
Le messager de la Mort s’adressant aux momies de glace. Multiples étaient les personnes succombant à la peur et se terrant dans un milieu chaleureux en attendant la fin de sa tournée mortelle. Peu étaient les insouciants qui se promenaient librement durant le pèlerinage enneigé. Mais Stormer était de ceux-là. Peut-être insouciant, mais tout de même conscient de ses capacités.
Bien qu’ayant perdu son père adoptif depuis quelques mois déjà, le garçon de quinze ans avait repris les voyages. Il savait comment survivre, se débrouiller en utilisant les matériaux que la nature mettait à sa disposition ; et il n’hésitait pas à en user. Loin de toute civilisation, il était serein. Comme avant. Excepté un détail : cette fois il était seul, irrémédiablement seul. L’absence d’Altar à ses côtés lui pesait, mais il ne pouvait pas voyager avec une autre personne que lui. Car le garçon aux yeux bleu glace avait d’énormes difficultés de communications, ayant vécu la quasi-totalité des quinze ans de sa vie sans autre contact humain que celui de son père.
Il errait donc, sans autre but que celui de découvrir. Voir. Contempler de nouveaux paysages, de nouveaux lieux. Pour apprendre.
Ses vagabondages avaient cette fois conduit Stormer aux Dentelles Vives. Il se souvenait des récits qu’Altar lui contait d’un air émerveillé, vantant notamment la beauté de la Passe de la Goule. Ses descriptions avaient de quoi mettre l’eau à la bouche ! Quoiqu’après avoir hésité pour une autre destination – non moins fabuleusement décrite par son père adoptif, le jeune aventurier avait alors opté pour aller admirer les massifs escarpés.
Lorsqu’ils étaient apparus à l’horizon tandis qu’il avançait dans les Collines de Taj, Stormer avait eu une moue appréciative. Ces récifs rocheux lui envoyaient déjà des promesses. Alors sa lourde besace battant le long de son flanc, le jeune homme avait accéléré l’allure.
Il parvint au pied de la muraille naturelle deux jours plus tard. Ebahi, il contempla longuement la vision enchanteresse de cette œuvre de Monsieur le Monde. Mais non content de la regarder d’en bas, il voulait surtout observer sa splendeur perché à son sommet.
Déterminé, il sortit de son sac une corde, un piolet et des points d’ancrage à insérer dans la roche. Attachant la corde à sa ceinture, il observa avec attention la falaise devant lui, préparant sa montée. Son chemin ainsi établi à l’avance, l’adolescent débuta sa grimpette.
La progression était difficile, et Stormer dû à plusieurs reprises faire des pauses afin de reposer ses membres. Il nouait alors sa corde à un point d’ancrage précédemment fixé et laissait pendre ses bras, ses jambes quant à elles légèrement fléchies. Puis il reprenait ensuite, ignorant le tiraillement lancinant de ses muscles. Trouver une prise, la saisir, se hisser… Le tout en faisant attention à répartir équitablement les charges portées par ses jambes et ses bras. Difficile pour un débutant de gérer tout cela à la fois ! Mais heureusement, Stormer n’en était pas à sa première montée.
Enfin, l’ascension prit fin. Exténué, l’aventurier s’étala de tous ses membres sur la surface rocheuse, respirant à s’en éclater les poumons. Son souffle retrouvé, le jeune homme se redressa et put savourer la magnifique vue que lui donnait son perchoir. Tout était comme l’avait décrit Altar. Peut-être même encore plus beau. Une vague de tristesse déferla soudain en Stormer ; mais il la refoula au plus profond de lui. Malgré ses muscles douloureux et tremblant, il se leva et apprécia la bise glaciale venue lui caressa sa peau pâle. Il détacha ses longs cheveux blancs précédemment noués sur sa nuque puis balaya à nouveau le paysage du regard. Le soleil, encore bas dans le ciel, faisait scintiller les étendues enneigées en un ballet d’étoiles éblouissant.
Ne pouvant plus tenir sur ses jambes, le jeune homme se laissa retomber sur la roche glacée. Malgré ses vêtements bien trop légers, il n’avait pas froid. Il était habillé d’une simple tunique couleur crème serrée à sa taille par une ceinture – de laquelle pendait une paire de griffes de métal, ainsi que d’un pantalon de toile marron. N’importe qui aurait claqué des dents dans une tenue pareille, surtout par le froid mordant de l’hiver. Mais curieusement, Stormer avait rarement froid.
L’aventurier resta allongé ainsi une poignée de minutes avant de se remettre sur ses deux jambes, puis de marcher le long du vide. Penseur, il ne remarqua pas la plaque de verglas traîtresse alors qu’il accélérait le pas.
Son pied glissa. Sa tête se cogna contre un rocher. Son corps chuta.
En un sursaut d’adrénaline, sa main droite s’accrocha à une aspérité de la paroi. Cela arrêta sa chute, mais l’élan de son corps le cogna violemment contre la falaise. Sonné, le jeune aventurier luttait pour ne pas sombrer dans les méandres de l’inconscience. Tout en lui était douloureux. Et en particulier à l’arrière de son crâne, où un liquide pourpre s’étalait telle une rose rouge dans ses cheveux blancs.
Stormer lutta. Il résista. Puis la fatigue le rattrapa ; l’adolescent s’évanouit.
Et sa main lâcha.