C'était au début d'adorables années
La terre nous aimait un peu, je me souviens"
Quelque part en Gwendalavir, 16 ans.
Plus les jours passaient et plus il découvrait, stupéfait, des paysages verdoyants comme il n’en avait jamais vu. Certes, Aeden marchait tous les jours, errait, même, car il savait à peine où il se trouvait, mais il ne s’ennuyait pas. Jamais. Chaque matin lui promettait de nouveaux décors dont il ne se lassait pas. La solitude qui n’avait jamais semblé vraiment le quitter depuis sa tendre enfance l’accompagnait, mais elle lui semblait en ce moment bien douce, et meilleure amie que lorsqu’elle l’accablait dans le désert.
Il était seul, jeune, perdu et ne pourrait tenir ainsi bien plus longtemps, mais il ne semblait en rien préoccupé. Il vivait au jour le jour comme il l’avait toujours fait, et tant que le soleil brillait à son réveil et que la lune veillait sur son sommeil, il était heureux.
Il lui arrivait parfois de croiser d’autres âmes errantes et souvent, ils faisaient un bout de chemin ensemble : il n’était pas toujours sûr de voyager seul, et si le jeune citoyen de l’est possédait le sabre qu’il avait appris à manier plus jeune, il aurait été bien en peine de s’en servir seul face à un groupe de bandits. Ce n’était pas vraiment par sécurité que le jeune aimer cheminer avec d’autres pèlerins. Il était bien trop téméraire pour se soucier du danger, et peut-être même un brin trop naïf pour en soupçonner son existence. Aeden attachait en réalité une importance toute particulière à questionner l’individu sur sa vie et les coutumes de Gwendalavir. Chaque nouvelle rencontre promettait de nouvelles découvertes, des histoires inédites, et quelques fois même les graines d’une amitié naissante.
Il croisait le plus souvent des itinérants ou des simples voyageurs comme lui, mais les rencontres qu’il affectionnait tout particulièrement était celles d’aventuriers en tout genre. Ceux-là n’attendaient qu’il demande pour l’ensevelir sous des récits les plus imagés et incroyables les uns que les autres, et il adorait ces histoires. Il croisa une fois un bien étonnant cavalier en armure lourde -quelle idée de voyager ainsi !- qui descendit en le voyant pour l’entretenir d’un sujet qu’il vanta être « plus important encore que l’empereur ». Il l’entretint pendant plus d’une heure d’une certaine « quête très confidentielle », car il se disait chevalier et ne savait apparemment pas tenir sa langue. Il lui demanda divers renseignements sans lui laisser le temps de caser ne serait-ce qu’un hochement de tête, et si Aeden fut tenté de dire que ramener un objet dont il n’avait jamais entendu parler à un individu dont il n’avait jamais entendu parler n’avait a priori rien de très chevaleresque, il tint sa langue.
Lui n’avait aucune quête. Aeden lui rapporta en revanche son envie de voir Al-Jeit, cité incroyable dont ses compagnons de mer avait vanté les merveilles. Il voulait aussi goûter du Raï grillé, viande qu’on lui avait déclaré être succulente -le pauvre malheureux ne se doutait pas pour un sou que cette déclaration était fausse et qu’on lui avait fait une blague. Siroter de la bière frontalière. Et apprendre ! Si le cavalier trouva ces objectifs forts étonnants, il ne fit aucun commentaire. Les deux compagnons bien mal assortis ne passèrent pas plus de quelques heures ensembles, mais le chevalier se révéla être un bien agréable compagnon au sens de l’humour certain.
Il y eut aussi cette rencontre avec un scribe itinérant à peine plus âgé que lui qui s’échina à lui apprendre les bases de la lecture alors que leur feu projetait des lueurs inquiétantes sur les morceaux de parchemins noircis. Aeden appris à écrire son nom, et si les grosses lettres tremblantes qu’il avait inscrites étaient encore très éloignée de l’écriture fine en patte de mouche du scribe, il en tira une grande fierté. Le scribe parcourait le monde à la recherche de végétaux divers pour améliorer la qualité de ses encres et de ses papiers, et il connaissait beaucoup de choses sur le monde. Il lui apprit que les déserts étaient souvent d’anciennes mers, que les étoiles brillantes dans le ciel étaient simplement d’immenses boules de gaz, et que le soleil ne se couchait pas réellement la nuit, il tournait juste autour de leur planète. Car oui, il habitait sur une planète, et il en existait d’autres semblables loin dans le ciel ! Si Aeden était impressionné par les connaissances du jeune scribe, il n’aima pas ces informations qui brisaient sa représentation du monde. Les étoiles semblaient en perdre de leur beauté et de leur poésie.
Il erra ainsi deux longs mois. S’entêta à progresser à petit pas, car le voyage jusqu’à la capitale était bien long, et il était à pieds. Aeden s’arrêtait de temps à autres dans des petits villages, hameaux ne comptant qu’une poignée d’habitants pour acheter quelques provisions avec ses maigres économies. Il ne restait jamais bien longtemps, gêné par le poids des regards, toujours étrangers malgré lui aux coutumes bien éloignées de celles qu’il avait toujours connu. Les coutumes de la « civilisation ».
Parfois, il songeait au désert. Il se demandait si son voyage n’était pas vain. Il se demandait s’il n’aurait pas du devenir marin pour de bon. Son voyage en valait-il vraiment l’affaire ? IL était parti depuis longtemps à présent. Ses buts étaient obscurs et étranges, même pour lui.
Mais tourner la tête et contempler la nature levait tous ses doutes en un rien de temps. Il ne regrettait rien.
« Rien ne dit
dans le chant de la cigale
qu’elle est près de sa fin"
16 ans et demi – ferme fortifiée
L’hiver approchait. Aeden connaissait les températures fraîches ; le désert était glacial la nuit. Les jours raccourcissaient, les arbres perdaient un peu de leur parure pour prendre une apparence froide et inquiétante. Il frissonnait sous sa cape légère de voyage. C’est la raison pour laquelle il chercha à s’abriter dans une ferme fortifiée abandonnée qu’il croisa sur son chemin.
Il ne se doutait pas qu’il y ferait la rencontre la plus importante de sa vie.
Le jeune étranger se lova dans un coin d’une grange qui n’avaient pas servi depuis des lustres, au chaud dans la paille qui le protégeait des courants d’air qui lui glaçait le sang, et sombra rapidement dans la dimension des rêves…
Pour se faire réveiller d’une façon peu agréable. Un homme, la soixantaine passée, agitait une fourche devant son nez en lui hurlant de s’en aller, le prenant pour un voleur. Aeden en aurait presque eut le sourire aux lèvres ! Il s’en abstint cependant et s’efforça de lever toutes ambiguïtés sur sa présence ici. Il lui raconta son voyage. Il lui exposa le froid dehors. Le vieil homme l’invita chez lui.
Aeden en appris beaucoup sur ce curieux vieillard. Homme pourtant encore vigoureux malgré son nombre respectable d’années, il se terrait là pour attendre la mort. Il lui raconta la solitude. L’attente. Le désespoir. Il était seul. Sa femme était morte il y a de ça des années, emportées par la maladie. Ses enfants l’avaient quitté, insensible, inconscient de la peine de leur père. L’homme était plus seul encore qu’Aeden ne l’avait jamais été. Il lui prépara une paillasse devant la cheminée où il dormit d’un sommeil sans rêve, bercé par les craquements irréguliers du feu.
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Le jeune homme était perché non plus sur une dune mais sur un monticule de neige aux éclats argentés. Il n’en avait jamais vu avant d’arriver en Gwendalavir. Emerveillé par les épais flocons immaculés qui tombaient en dansant du ciel, il en avait gouté quelques-uns et passé plusieurs heures à s’en imprégner, plus excité encore qu’un enfant le soir de noël.
La neige, arrivée bien tôt dans l’année, les avaient tous deux pris au dépourvu. Tombée soudainement la nuit de son arrivée chez Edouard, le vieil homme qui l’avait pris sous son aile, elle l’avait empêché de reprendre la route : Aeden n’était pas parti le lendemain, ni même le surlendemain. Il était resté en compagne du vieil homme plusieurs longs mois à attendre la fondue des glaces et à briser leurs solitudes respectueuses. Il avait trouvé en Edward un mentor, le père qu’il n’avait jamais eu. Edward avait retrouvé en Aeden un fils et une raison de vivre.
Il lui avait parlé de sa vie, longuement. Il lui avait tout exposé : son enfance loin d’ici, à Al-Far. Sa rencontre avec sa femme et leur rêve de s’installer loin, coupé du monde, pour fonder leur famille. Il lui avait raconté la peur et la joie de la naissance de sa première fille. Leurs premiers pas en ce monde. Leur vie ici, à cinq, et l’allégresse constante dans laquelle il vivait.
Il lui avait dit la découverte de la maladie de sa femme. Raconté ses peines, ses espoirs de guérison, et son désespoir lorsqu’il l’avait trouvé blottie contre lui, un matin. Morte. Il lui avait raconté le départ de ses trois enfants, les larmes aux yeux.
Il n’eut besoin de lui dire la solitude. Aeden savait.
Le vieil homme lui appris beaucoup de choses élémentaires. Encore vigoureux, il lui enseigna comment tirer à l’arc. Il lui montra quelles espèces il pouvait consommer et, au contraire, les plantes qui le tuerait à coup sûr. Instruit, il eut la patience d’achever ce que le scribe avait commencé en lui enseignant à lire à écrire. Ils discutèrent, beaucoup, et trouvèrent l’un en l’autre un ami fidèle. Précieux.
Aeden était à peu près sûr que ce vieil homme de soixante ans était son premier, meilleur et seul ami.
Aeden pris conscience de nombreuses choses en sa compagnie. Il fut pris de terribles remords et regretta de n’en avoir jamais dit plus à sa mère. Il voulait lui dire adieu. Qu’il lui pardonnait les erreurs qu’elle avait faite avec son enfant, car il savait à présent qu’elle était à peine plus âgée que lui lorsqu’il était né. Il avait envie de lui dire qu’il l’aimait. Qu’il lui souhaitait d’être heureuse.
Il comprit la beauté, la fragilité, et la valeur de la vie. Il regretta d’avoir été toujours spectateur de la sienne, acteur passif ne nouant de relation avec personne. Il regretta ses silences. Il comprit qu’il n’avait le droit de prendre de l’importance, même inconsciemment, dans la vie de quelqu’un pour ensuite s’enfuir. C’était égoïste. Cela causait de la peine. Il ne le souhaitait à personne. Aeden en appris bien plus sur la nature des relations humaines avec Edouard qu’avec tout le reste des âmes qu’il avait un jour croisé. Il aima ce vieil homme comme un mentor. Comme un père
Il repartit aussitôt que la neige eut fondu, sur un solide cheval brun de ferme, bois, offert par le vieil homme. Il lui arracha la promesse de revenir tous les ans au printemps. Il pourrait ainsi visiter les alentours, le reste de la propriété. Chasser ensemble. Tous deux espéraient que ce moment arriverait vraiment, mais aucun n’y croyait vraiment.
Aeden n’osa pas se retourner. Il n’aurait su retenir ses larmes.
« Ineffable lever du premier rayon d'or,
Du jour éclairant tout sans rien savoir encor!
O matin des matins ! amour ! joie effrénée
De commencer le temps, l'heure, le mois, l'année !
Ouverture du monde ! instant prodigieux ! »
17 ans, à l’approche d’Al-Jeit.
La fin de son voyage se déroula rapidement. Il n’était plus très loin de la Ô combien attendue capitale à cheval, et alors que les jours s’écoulaient, les chemins s’élargissaient et se remplissaient d’un tas de gens. Certains, à cheval, étaient habillés de tuniques colorées et brodées de fils étincelants. D’autres portaient à peine des haillons. Aeden savourait sa solitude et pris moins souvent le temps de discuter qu’il ne l’aurait voulu mais il gardait son objectif en tête. Al-Jeit.
Il se sentait éteint, par moment. Epuisé de ce voyage sans fin. N’aurait-il pas mieux fait de rester avec son vieil ami ? La renommée capitale en valait-elle vraiment la peine ? Il avait le sentiment de faire une erreur. Une erreur qu’il pleurerait toute sa vie.
Aeden avait pour une fois voygé de nuit. Il éprouvait le besoin de renouer avec lui-même, et entouré de rien sinon des étoiles, il pouvait s’imaginer être n’importe où. Dans les bras de sa mère dans le désert. Riant avec Edouard. Il descendit de Brume pour le ménager et marcha à ses côtés, seul dans le noir, dans un silence méditatif tel qu’il retint son souffle un moment. Une brise fraîche le tenait éveillé. Vivant. Un sourire éclaira son visage fatigué.
Il était heureux.
Il ne le savait pas, mais exactement dix-sept années plus tôt naissait dans de lointaines contrées ensablées un petit garçon nommé Aeden.
« La vie est une fleur qui s'épanouit lentement
Un a un ouvre ses pétales, éclatante de beauté »
Dernier chapitre : Al-Jeit, 17 ans.
Aeden avait aperçu la cité dès le lendemain. Elle était apparue soudainement, éclairée par le soleil levant, lumineuse et étincelante, comme une oasis dans le désert. Il y resta quelques mois.
Il eut rapidement la ferme conviction qu’aucune description ne saurait jamais égaler la beauté de cette ville. Le langage était une chose magnifique, mais il n’était pas magique, et bien qu’Aeden n’était pas très instruit, il savait du profond de son âme qu’aucun mot ne suffirait jamais à partager ce qu’il avait ressentit la première fois qu’il avait aperçu ses hauts bâtiments enchanteurs.
Mais Aeden n’était pas habitué à la ville. Il était un enfant du désert. IL avait grandi dans les espaces vides, silencieux, épargnés par les humains. La ville était bruyante. Elle grouillait de gens. Il était toujours à contre sens, perdu. Etranger dans une cité de gens venus de tout horizon. Etranger à la civilisation des hommes.
Pourtant, il essayait ! Il avait fréquenté avec conviction les tavernes, bus et ri avec passion en compagnie d’inconnus. Ecouté avec joie les chansons des ménestrels et bardes les plus réputés du royaume. Progressivement, il s’était fait aux us et coutumes de chacun.
Il vivait la nuit, travaillait le soir et dormait la nuit. Souvent, il flânait dehors alors que la ville et ses respectables habitants dormaient, toujours seul. Il aimait courir sous la pluie alors que personne ne regardait. Comme un enfant. Comme un homme libre. Lorsque la solitude commençait à lui pesait, il allait visiter Brume et lui racontait sa journée en le brossant. D’autres fois encore, il écoutait les histoires et récits d’autres, aventuriers, chevaliers, et se sentait tout petit face à ce qu’ils avaient accompli.
Quelques fois encore, il escaladait les murs de la ville nocturne et restait là, perché, des heures durant, seul face au vent et à la nuit.
Aeden était à peu près certain d’aimer cette ville. Il aimait les gens qu’il y avait rencontré. Leurs histoires plus passionnantes les unes que les autres. Pourtant, il ne parvenait pas à s’y sentir chez lui.
Un jour, il se rendit compte qu’il n’était plus émerveillé.
Il eut peur. Terrifié de se perdre, d’accomplir les mêmes mouvements tout le reste de sa vie, aveugle, muet, sourd. Angoissé à l’idée de passer à côté de sa vie. Effrayer d’oublier de courir, rire, aimer. Peur de désapprendre le bonheur.
Alors il repartit. Pourtant, il savait que son voyage s’était terminé en même temps que son enfance ici, entre les murs féériques d’Al-Jeit.
Il ne fuyait plus ; au contraire, il était temps d’apprendre enfin à vivre.
Epilogue.
Aeden rejoint Garich, chevalier au tempérament bouru rencontré dans une taverne. Il lui a promis qu’il pourrait enfin goûter de la viande de Raïs grillé, même si ce n’est vraiment pas bon, s’il l’accompagnait dans sa quête qui les a emmené loin, aux abords des pays faël.
Il a toutefois été de retour chez son vieil ami à temps pour remplir ses engagements.
Il fait son petit bout de chemin à droite et à gauche, remplissant parfois des petites missions pour gagner de quoi subvenir à ses besoins, se fait embaucher dans des expéditions plus importantes pour toujours découvrir plus.
Il ne part jamais très longtemps ; il rend visite à Edward tous les printemps.
Il agit ainsi pendant cinq ans encore.
Un soir, Edouard rend son dernier souffle à un âge fort honorable, Aeden à son chevet. Il meurt heureux, en paix, aux côtés de l’être qui l’aime le plus au monde. Aeden pleure longtemps, et l’enterre sous l’arbre qui devient rose au printemps qu’Edouard aimait tant.
Aeden n’est jamais retourné dans le continent de l’est. Il a pris la mer, à plusieurs reprises, mais n’y a jamais fait escale. Quelque part, il a peur. Bien qu’il n’ait jamais perdu son accent étranger, chez lui, c’est Gwendalavir maintenant.
La solitude qui l’accompagne depuis qu’il est enfant ne l’a jamais tout à fait quitté, mais à mesure que les années passent, il se fait quelques vrais amis. Il décrocherait la lune pour eux.
Il apprend beaucoup de chose. A jouer quelques airs simples à la lyre, appris grâce à un barde avec lequel il a cheminé. A dire quelques insultes en Faël -il en a enfin rencontré un ! Il comprend enfin que la viande de Raïs, ce n’est vraiment pas très comestible.
Il ne s’arrête jamais plus de quelques mois, mais il est heureux.
Et il a encore toute sa vie devant lui.