« Les premiers mots que j’ai appris en français, me racontait souvent ma maman avec son mignon petit accent russe, c’est bonheur et espoir. J’y pense souvent à ces deux petits mots tu sais. Ils sont si précieux ! Ils définissent une vie… Parfaite. »

Ma mère, magnifique jeune femme russe avait toujours rêvé de cette vie parfaite, constituée de mots doux et rêveurs, de visions lumineuses, avec de beaux couchés de soleil, de chansons joyeuses, de soirées emplis de rires. Mais chez elle, dans son pays natal et dans sa famille surtout, ce n’était pas possible. Il faisait trop froid, son père été trop sévère, limite obsédé par la symétrie. Sa mère était le model parfait de l’épouse soumise, restant à la maison pour s’occuper des enfants, faire la cuisine et le ménage. Elle veillait toujours à ce que tout paraisse parfait. Donc pour ma mère, c’était l’enfer. Alors dès sa majorité, elle s’est enfuie et elle est partie pour la France. Oh oui ! La France! Avec sa tour Eiffel et ses croissants. Elle voulait pouvoir voir le pays de son idole, Barbara. Elle pensait que ce serait le rêve mais elle débarqua là-bas sans parler un seul mot de français, ne connaissant rien de la capitale. Elle était perdue. Puis, elle fit la rencontre de mon père. Elle me disait toujours qu’elle avait tout de suite compris que c’était le bon, l’amour, le vrai.

« Comme dans les films ?
-Oui, comme dans les films. »

Ce fut le cas au début. Je naquis deux ans après leur rencontre mais je n’eus même pas le temps d’apprendre à dire « papa » que celui-ci perdit son travail. Toutes les belles histoires ont une fin maman. Ca tu ne le savais pas mais à partir de ce moment tu n’as jamais pu l’oublier.
Tout ça, c’est elle qui me la raconté mais mes premiers souvenirs ne sont pas aussi beaux. A vrai dire, ils relèvent plutôt du cauchemar que tu rêves. Ils sont flous, incomplets, la plupart perdus dans la l’ombre. Ce ne sont plus que des flashes. Je me vois en dessous de la table ou derrière le canapé, les mains plaqués sur les oreilles pour ne plus entendre les cris de ma mère. Ou bien en train d’agripper sa jupe, pleurant, essayant de la tirer en arrière pour qu’elle évite les poings de mon père. Je le vois lui aussi, dans l’entrebâillure d’une porte, affalé sur le canapé, une bouteille de vodka à la main. Je me vois hurler, le supplier d’arrêter. Sa main fusée vers mon visage. Posant mes mains potelées sur les joues couvertes de bleus de maman, essuyant ses larmes.

« Tout va bien se passer ma petite maman. Oui, je vais te protéger tu sais. Je veux te protéger ! »

Les cris de mes parents. Moi toute seule, recroquevillée dans mon lit, terrifiée. Mais parfois de plus beaux souvenirs me reviennent comme ce noël où mon papa avait retrouvé un peu de travail. Il avait acheté une belle robe à ma mère, elle l’a porté. Elle était si belle ! Elle avait acheté ses longs cheveux soyeux en un chignon lâche et elle avait réussi à cacher un peu tous ces bleus.

« Tu sais Charlie, tu es mon bonheur à moi. Oh oui ma petite fille chérie ! Tu es mon trésor, la chose la plus importante que j’ai au monde ! »

Elle me disait ça des fois, quand elle était heureuse. Elle s’agenouiller devant moi, me faisait un très grand sourire qui illuminé son si doux visage et elle me disait ça tout doucement. Ensuite elle me serrait dans ses bras en me disant que bientôt on serait très heureux.
Puis elle s’est suicidée. Je n’avais pas été assez importante pour qu’elle reste en vie.

Les flics ont découvert en même temps que ce que mon père nous faisait et il fut envoyé en prison. J’avais 11 ans. Autant vous dire qu’on ne trouva personne à qui me confier et que pour me faire adopter ce fut la grosse galère. Enfin une famille me choisit. Moi ! Ils n’avaient pas l’air méchant et je me pris à espérer. Espérer être heureuse. Je le fus. Pendant les deux mois de grandes vacances où leur fils était parti en vacances je ne sais pas où. Pour la rentrée, il revint et ce que je croyais être le frère parfait se révéla en fait être une petite peste. Je l’ai haïe du plus profond de mon être. Il me fit vivre les pires horreurs, m’accusant de toutes sortes de mensonges. Dans cette famille où je pensais enfin pouvoir trouver la paix s’engagea un combat que je vécus chaque jour jusqu’à ma majorité. Au début les parents étaient vraiment sympas. Ils m’aimaient beaucoup mais au fur et à mesure une sorte de gêne se formait entre nous. Petit à petit ils commençaient à croire leur fils, j’avais l’impression que je les agaçais, que j’étais inutile. Ils m’engueulaient constamment puis m’ignorer simplement. Ils racontaient à tout le monde que j’étais une gosse terrible, que je devrais être reconnaissante qu’ils aient bien voulu m’adopter et qu’à la place je les emmerdais plus qu’autre chose.
Une sorte de rage commença à se former en moi. Pourquoi ça devait tomber sur moi ? Je ne pouvais donc pas être heureuse ? Qu’est-ce que j’avais pour mériter ça ? J’ai été sage pourtant ! Obéissante. Pourquoi personne ne m’aime ? Suis-je maudite ? Laissez-moi ! Barrez-vous tous ! Putain ! Allez-vous faire foutre! Qu’est-ce que tu regardes comme ça toi? Pourquoi tu me relooke ? T’as un problème ? Tu me veux voir mon poing s’écraser dans ta figure ? Je ne tiens plus ! Dégagez ! Ne murmurez plus sur mon passage ! Je vais te défoncer ! Au secours ! J’ai mal ! Je vais péter un plomb ! Je sais pas moi ! Frapper un gosse dans la rue ! Ça sera horrible ! Foutez-moi la paix ! J’en marre ! Fuck ! Qu’est-ce que t’as connard ! T’as un problème ! Fuck !T’es qu’une merde! Va te foutre salaud!

Je me mis lentement à dévier sur un look punk, pétant les plombs. En cours je n’écoutais plus, je rentrais, je m’asseyais sur une chaise et je ne sortais même pas mes affaires. Si le prof osait me faire un remarque je me levais et quittais la salle en trombe, renversant la table des fois, faisant voler les cahiers, hurlant qu’on me laisse tranquille. Après je traînais dehors, je commençais à avoir de mauvaises fréquentations. Tout ce qui pouvait me calmer c’était la musique. Je ne quittais jamais mon ipod. Je me mis à fumer, puis à boire en soirée et même des fois à me droguer. Je n’étais qu’en seconde et je partais déjà en vrille.
C’est Eliott qui me sauva. Il arrive en plein milieu de l’année, lui aussi c’était un punk. Il m’adopta tout de suite, lui aussi il adorait s’amuser en soirée et tout. Mais il savait comment garder la tête hors de l’eau, la limite à ne pas dépasser. Il m’aidait à me redresser, à me contrôler et à trouver de bons amis. On forma une petite bande. On était cinq gros fêtards toujours à délirer. Et on était tous passionner de musique. Alors on finit par former un groupe qui décolla bien vite. On commençait à vraiment bien marcher quand Sacha, la seule fille avec moi eut un accident. Elle avait un peu trop bu et elle était rentrée dans une autre voiture en rentrant d’une fête. Elle mourut 24h après.
Ce fut un véritable choque et on décida tous de se séparer pendant quelques temps. Mais on ne tint pas longtemps et on se retrouva bien vite. Eliott voulait rentrer dans une grande université et on l’aida tous à réussir ses examens. Les autres étaient plus intelligents alors que moi, à cause de mon pêtage de plomb quelques années plus tôt, j’avais loupé toutes mes études. Je décidais donc de redoubler ma dernière année de lycée de et repasser le bac. Mon meilleur ami réussit et fut accepté dans son université, j’en fus si contente. Mais j’avais oublié qu’il allait devoir déménager à l’autre bout de la France.
Au début je réussis à tenir le coup mais peu mes deux autres amis qui étaient restés à Paris s’éloignaient. Je devais bosser très dure et eux aussi pour réussir.
J’ai toujours su que j’étais faible, instable. Fragile… Je fis une grosse rechute. Encore pire que quelques années plus tôt. Je me mis à me péter les plombs. J’en avais après tout le monde. J’étais fatigué de cette vie de merde qui ne me menait nulle part. Tous les moments de bonheurs m’avaient été arrachés ! J’étais fatigué…
Tu sais maman, à ce moment-là je comprenais ton geste, même si je t’en voulais à mort. C’est tellement épuisant d’être humain.
Et puis un jour se produit quelque chose d’incroyable… Je m’étais effondrée dans une ruelle salle, complètement shootée et j’avais vu un homme s’approcher. (Enfin vu… Plutôt entraperçu…) Je m’en rappelle très bien même dans l’état où j’étais parce qu’il m’avait choqué. Il devait avoir la quarantaine, en costume avec de beaux yeux bleus et des cheveux gris. Chez lui ça ne faisait pas papy, c’était classe ! Et dans cette petite rue sombre, salle, juste réservé à des gens comme moi, qui ne valait pas mieux que la pisse derrière la cuvette des chiottes (pour reprendre Fauve), il semblait tellement éblouissant, majestueux. Je me suis dit que ce mec devait être un rêve mais il s’est mis à me parler et du plus loin de mon esprit embrumé je me suis prise à espérer. Espérer qu’il me prenne dans ses bras, et qu’il me dise « Je vais t’emmener avec moi et tout ira bien. » Je n’ai pas entendu ce qu’il avait vraiment déclarer, j’étais trop occupé à espérer.

« Nan, je ne suis qu’une pauvre merdre ! Ma place est ici. »

Ma voix était encore plus rauque de d’habitude. Je n’avais jamais eu c’est voix angélique et douce qu’avait certaines chanteuses. Je rêvais dans avoir une comme ça mais la mienne était grave. Eliott m’avait souvent dit que la mienne était écorchée, profonde et que c’était ça qui la rendait si jolie. Particulière…

« Je n'ai jamais dis le contraire mais je connais un endroit où tu pourras recommencer et être quelqu’un. Où tu pourras ne plus être une pauvre merde. »

Je l’avais regardé, ne comprenant pas puis j’avais fermé les yeux et souris. Je crois que ce n’était qu’un petit sourire, mais il devait être paisible.

☼☼☼

Quand je me suis réveillé, je ne savais pas du tout où j’étais. Tout ce que je savais c’est que j’avais un putain de mal de tête et que je devais prendre une douche très, très, très vite. Je me suis redressé et j’ai enfin prit le temps de regarder où j’étais tombé. Je dois dire que j’ai été assez surprise de voir que j’étais toujours dans une rue mais celle-ci était grande lumineuse et entouré de bâtiments à l’architecture extravagante.
Voilà, je venais de débarquer à Gwendalavir sans le savoir.
J’ai erré pendant une journée entière alors que les gens me regardaient bizarrement, fixant mes habits et les clopes que je fumais constamment, pour me calmer un peu. Et puis je fis la rencontre de Léon. C’était un jeune homme de mon âge qui a osé venir me parler en devinant que j’étais étrangère et que vu mon air totalement paumée, j’avais un peu besoin d’aide. Léon avait cinq petites sœurs dont la plus grand avait 16 ans et qu’il devait nourrir en volant par-ci par-là ou en faisant petits boulots à l’occasion.

« T’as qu’à venir chez moi. Je t’apprendrais tout ce que tu as savoir et on essayera de retrouver ton dessinateur (ça j’avais pas compris sur le coup). Et puis tu sais, une fille en plus ou en moins… J’en suis plus à ça près. » avait-il déclaré après que je lui ai rapidement raconter comment j’avais atterrie ici

Je l’avais donc suivi et j’étais resté avec lui pendant presque un an. J’avais rapidement apprit à me débrouiller ici et on avait cherché le mec aux cheveux gris. Je n’avais pas abandonné mon look de punk ni mes habitudes de terrienne et je commençais à avoir le mal de pays. Je n’avais plus de clopes et c’était dure… (et pas que de clopes si vous voyez ce que je veux dire)
Et puis on a retrouvé mon dessinateur. Enfin retrouvé… Léon et moi, on avait juste débarqué dans un bar et je l’avais reconnu, assis au comptoir. Je m’étais plantée devant lui, jambes écartés, index pointé vers son visage.

« Ah ah ! Je t’ai retrouvé mécréant ! »

A vrai dire, depuis que j’étais ici, j’avais l’impression d’être dans un jeu de rôle médiévale… Bref ! Il m’avait regardé sans sembler me reconnaître pendant quelques secondes puis avait dit avec un air du genre « je m’en foutu » :

« Ah ! T’es la petite merde terrienne de la ruelle. T’es difficile à reconnaître quand t’es pas défoncée ! »

Sur ceux je m’étais jeté sur lui en l’attrapant par le col et je lui avais foutu mon doigt d’honneur sous le nez en répétant au moins une dizaine de fois « Je t’emmerde connard ! ». Il avait posé une main sur mon épaule et je m’étais tout de suite calmée. On avait parlé et j’avais découvert qu’il faisait du trafic de marchandise terrienne non-autorisée. Genre drogue, clopes et tout ce que genre de chose. Et là Léon avait bondi de sa chaise en hurlant :

« Je veux t’aider ! Je veux t’aider ! »

Ouais, en fait, il se doutait juste que ça devait être bien payé… Et contrairement à ce que je croyais, Alexander (puisqu’il s’appelle comme ça), avait accepté. Si si, je vous jure, moi aussi ça m’avait surprise ! Il avait dit qu’il travaillait tout seul et qu’en ce moment il avait un peu de mal. Au début on ne le voyait que pour le boulot puis j’ai découvert qu’il habitait dans une minuscule maison toute pourrie alors qu’il avait plein de fric et j’avais eu une super bonne idée qui arrache la chaussure à fond !

« On va faire une auberge ! »

Ils m’avaient regardé bizarrement les deux mecs sur le coup. Je leur avais expliqué que déjà ça faisait plus d’argent, que les gens sauraient où nous trouver pour nous passer des commandes et qu’avec ce qu’on rapporter de la Terre, ça pourrait attirer un max de monde. En plus comme ça on pourrait tous habiter là-bas et les sœurs de Léon gèreraient l’auberge quand on serait partit. Pour moi qui rêvais d’une belle grande famille, c’était l’idéal. Et je crois que je semblais tellement le vouloir qu’ils ont accepté. Quelques mois plus tard, l’auberge ouvrait et ma ville en famille commençait. J’étais ravie même si ce n’était pas facile tous les jours.
Avoir cinq sœurs h24 dans les pattes, à se chamailler, à crier, à courir et tout ça me tape vite sur les nerfs. En plus Alexander est tout le temps de mauvaise humeur et Léon peut vraiment être chiant des fois lui aussi. Il se croit toujours au-dessus de tout le monde. Vous vous demandez pourquoi je suis passé au présent ? Mais parce que c’est encore le cas. Et en plus d’autres personnes sont venus se joindre à nous. Il y a Sam, une jeune fille douce comme un agneau qui elle ne fait que s’occuper de l’auberge et jouait à la baby-sitter. Y a aussi mon blondinet, alias Matt qui nous aide dans nos commandes. Alors tu vois maman, il existe un endroit, où je ne suis plus une merde, où je suis quelqu’un. Je suis sûre que toi aussi un jour tu l’aurais trouvé cette endroit où tu aurais pu vivre ton rêve et cette fois pour de vrai. Un endroit où tu aurais été plus importante qu’une vulgaire femme à l’allure fatiguée qu’on croise dans la rue, qu’on a presque envie d’aider, presque parce qu’on n’a pas le temps. Maman, tu as abandonné trop tôt.
J’ai pu revoir Eliott lors d’une de mes visites sur terre.

« Tu vois, je suis heureuse maintenant. D’accord, je fume, je bois et je me shoote encore. Il m’arrive encore même de planter des trucs dans les poignets et il m’arrive d’avoir des moments de rechute. Je suis très triste des fois, en repensant au passé. Mais maintenant, j’ai enfin l’impression d’avoir trouvé ma place et je vais essayer de la protéger comme je peux. Je sais aussi que ce ne sera pas rose tous les jours mais je suis déjà arrivé jusqu’ici et il est hors de questions que j’abandonne maintenant. Putain de merde ! C’est à notre tour d’être heureux et de pouvoir espérer Eliott ! C’est enfin à notre tour… »

Il m’avait regardé en souriant après que j’ai terminé ma petite histoire (modifié bien entendu) par cela. Et on s’était promit qu’un jour on se retrouverait tous à Paris, comme avant et qu’on jouerait de nouveau ensemble. En l’honneur de ceux qui ont disparus et de ceux qui sont encore là. Parce que maintenant on peut enfin vivre.

« Et si c'était ça le bonheur, pas même un rêve, pas même une promesse, juste l'instant. »
No et moi