Killian arriva à Al’Jeit deux jours avant le convoi. Deux jours où elle interrogea les Marchombres de confiance qu’elle connaissait au sujet de Merkin. On ne put lui apprendre beaucoup. Il était discret et se mêlait peu des affaires de la guilde. Il n’avait par ailleurs jamais présenté d’apprentis. Cela laissait la Marchombre perplexe. Comment trouver un homme que personne ne semblait réellement connaître ? Elle n’avait pas la plus petite piste à exploiter.

Elle avait beau tourner le problème dans tous les sens, elle ne trouvait rien. Luna était la seule qui connaissait le Marchombre. Donc elle devait attendre son apprentie. Couchée sur un toit près de l’esplanade d’arrivée, Killian espérait que tout se soit bien passé pour elle, mais aussi qu’elle avait appris. Appris à écouter et apprendre des paroles des autres ou de leurs silences, appris à vivre en groupe, appris à se débrouiller. Même si ces derniers points n’étaient pas inconnus de la jeune fille. Quand elle entendit l’agitation familière à l’arrivée d’un convoi, elle se redressa. En effet, c’était le convoi de Luna ; la greffe de la Marchombre le lui confirma à l’odeur de Moon et de sa cavalière.

Tiens, au lieu de jouer la maman qui récupère son enfant à la sortie de l’école, pourquoi ne pas voir comment allait agir Luna ? Killian observa donc de son perchoir la suite. Luna resta avec un jeune homme qui semblait proche d’elle. Ils s’enlacèrent même de façon éloquente. Puis ils regardèrent un homme s’éloigner. Un homme à la démarche féline et fluide qui pouvait être celle d’un Marchombre… mais qui n’en était pas un. L’odeur de cet homme était pestilentielle. Un Mercenaire. Killian sentit qu’elle manquait d’un élément important pour comprendre complètement la situation. Mais tout ça devrait attendre car Luna venait de s’élancer à la poursuite de l’homme, sortant sa dague. Killian allait devoir lui dire de ne pas tout de suite sortir son arme. C’était un défaut à corriger.

Elle courut sur les toits, sautant quand elle pouvait, descendant et regrimpant quand il fallait, sans perdre de vue Luna et l’homme à quelques mètres devant. Elle accéléra, fit un crochet pour arriver à la hauteur du Mercenaire. Là, elle prit son élan et sauta du bord du toit, atterrissant sur le dos de l’homme qui s’effondra, à moitié inconscient. Il se débattit, et elle lui asséna un coup pour l’immobiliser. Il était robuste et la repoussa sur le côté aisément. Se relevant prestement, Killian fit comprendre à Luna de ne pas bouger et de rester en retrait.

Le Mercenaire se rua sur elle. Elle se baissa et évita le bras armé qui aurait du la décapiter. Elle agrippa son poignet et voulut le tirer, mais l’homme avait prévu la botte et contre-attaqua, de sorte que Killian se retrouva le bras tordu de côté, à moitié au sol.

-On fait moins les malins hein ? Demanda le Mercenaire, sur de sa victoire.

Killian rit, et se fichant de son bras, balaya le sol de sa jambe pour le faire chuter. Surpris, il la lâcha et elle se releva, sortant sa dague et lui assénant un coup de pommeau à la tempe pour l’étourdir. Essoufflée, elle lui attacha chevilles et poignets ensemble.

-Et maintenant tu vas répondre à nos questions. Siffla Killian, laissant Luna prendre le relais.

Killian laissa Luna mener l’interrogatoire, qui fut infructueux au début, mais finalement, après une belle gifle, l’homme raconta ses bobards. Killian réfléchissait et analysait également. Cet homme s’était donc fait passer pour un bon samaritain, alors qu’il n’était autre que le Mercenaire responsable des blessures et de la disparition de Merkin.

Quand il tenta de se libérer, Killian lui appuya le coude dans le dos, l’immobilisant par la douleur. Et Luna finit par opter par la tactique du mensonge. Killian était fière de voir cette ruse employée par son apprentie, et observa l’homme. Il semblait confus, ne sachant plus qui disait la vérité.

-Menez-nous à Merkin et nous vous montrerons comment de vrais combattants procèdent.

-Je ne sais pas où il est. Je devais rejoindre un… ami qui sait.

-Bien alors vous allez nous conduire à votre ami.

Killian le prit au col et le força à se remettre sur ses jambes après lui avoir délié les chevilles. Elles se mirent à avancer, la Marchombre ne le lâchant pas pour être sûr qu’il ne tente rien. Mais cela n’était pas sûre, un Mercenaire était vicieux…

Elle aurait du s’en douter. Le Mercenaire les fit tourner en rond jusqu’à revenir à leur point de départ. Elle soupira d’exaspération et avant de pouvoir parler, Luna était sortie de ses gonds et s’était ruée sur l’homme pour le frapper sans relâche.

-Luna ! Arrête maintenant !

Elle Agrippa fermement son apprentie au col et la releva de force, la poussant plus loin.

-On n’agit pas comme ça !

Puis elle releva l’homme qui saignait du nez et de la lèvre. Elle le secoua fortement.

-On veut la vérité maintenant. Et pas l’un de tes tours !

-J’ai rien à vous dire…

Killian soupira. Tuer un homme juste comme ça n’était pas digne d’un Marchombre. Et elle ne se rabaisserait pas au niveau d’un Mercenaire. Finalement, elle le détacha.

-Pars alors. On n’a plus de raisons de te retenir.

Ces paroles causèrent la stupéfaction de Luna et de l’homme. Mais ce dernier ne chercha pas à comprendre et fila. Killian s’approcha de Luna :

-Je veux que tu te maîtrises compris ? Maintenant, suis-le par les toits, peut-être nous mènera-t-il à sa cachette ou à Merkin. Ne te fais pas voir. Il se doute peut-être qu’on va le suivre sois prudente.

Laisser Luna aller seule à la suite d’un Mercenaire n’était peut-être pas une idée très judicieuse, mais Killian se disait qu’un peu de marche seule lui remettrait les idées en place. Et elles allaient devoir avoir une conversation aussi.

Killian se mit à suivre également la piste, à l’odeur. Ainsi elle pouvait passer par un tout autre chemin et ne pas se faire voir ni de l’homme ni de son apprentie. Il rejoignit donc deux hommes, puis ils prirent un toit, redescendirent et poursuivirent vers une auberge. Killian s’y dirigea aussi. Elle repéra Luna sur un toit, discrète.

Que faire à présent ? Si elle entrait nonchalamment, le Mercenaire la reconnaîtrait. Un groupe d’hommes approcha alors. Elle s’avança, et se mêla à eux. Ils la reluquèrent, mais ne dirent rien, parce qu’un regard le leur fit comprendre. Ainsi, elle entra dans l’auberge pleine et se glissa hors du groupe pour se glisser le long du mur, dans l’ombre. Là, postée dans un coin, elle observa.

Un groupe de musiciens jouait en sourdine sur une petite estrade à sa gauche, à droite le long du mur se trouvait le comptoir, tout au fond en face un escalier et derrière l’escalier, une porte. La cave ? Les tables étaient quasiment toutes pleines, les serveurs avaient du mal à suivre le rythme des commandes et le brouhaha des conversations, rires et verres s’entrechoquant était horrible.

Elle remarqua enfin le Mercenaire. Il discutait avec les hommes. Puis ils se dirigèrent vers la porte de la cave. Pourquoi ? Killian ressortit en vitesse, et fit signe à Luna de la rejoindre. La jeune fille mit du temps à comprendre mais enfin elle fut là, étonnée de la voir.

-Ils sont dedans, sans doute à la cave. On va tenter d’y pénétrer nous aussi, mais je ne sais pas ce qui nous attends. Si je te dis de fuir, tu pars et tu ne te préoccupes pas de moi compris ?

Elle attendit l’acquiescement de la jeune fille pour la guider dans l’auberge. Dans quoi s’étaient-elles fourrées ?

Elles purent descendre à la cave facilement, ce qui étonna Killian. Elle avait pensé que l’aubergiste les en empêcheraient ; ou alors il ne les avait tout simplement pas vues avec sa clientèle.
La cave était étroite et humide ; pas un lieu idéal pour un combat. Elles descendaient avec prudence, des bruits de voix se faisant de plus en plus entendre. Il y en avait au minimum trois différentes qu’elles pouvaient entendre, et Killian ne savait pas s’il y avait d’autres personnes présentes, qui elles restaient silencieuses.

Arrivées à l’embranchement des escaliers, Killian se stoppa pour tenter d’observer. Elle ne voyait pas beaucoup. Elle discernait des silhouettes que l’ombre dessinait sur le mur. Et quand l’un d’eux bougea, elle vit leur homme. Le Mercenaire. Son visage avait bleuit à cause des coups de Luna. Mais elle ne voyait pas grand chose et en plus, elle ne pouvait pas dire si Merkin était là ; elle ne savait pas à quoi il ressemblait. Elle aurait du penser à demander Luna. D’ailleurs elle lui demanda ce qu’elle voyait.

D’un signe, Killian lui montra le chiffre deux parce qu’elle avait vu deux hommes. Elle osa se pencher un peu plus et en vit un troisième, amoché, assis et attaché à une chaise. Lentement, elle céda la place à Luna, dans le plus grand des silences, pour qu’elle observe attentivement. Puis elles reprirent leurs places initiales : Killian préférait être en première ligne pour permettre à son apprentie de fuir si jamais.

-Merkin ? Demanda-t-elle dans un souffle. La réponse allait décider de la suite de la mission.

Le hochement de tête de Luna déclencha la mission. C’était donc bien le Marchombre qu’elles cherchaient. Killian se mit à réfléchir à toute vitesse, remontant quelques marches quand un homme décida d’allumer une torche. Comment faire ? Elles n’étaient que deux contre au minimum deux Mercenaires, et Luna n’était même pas encore vraiment entraînée.

Partir, alerte la garde ? La Légion Noire ? Non… le temps qu’elles reviennent, Merkin serait mort.

-Je vais chercher de la bière.

Une voix inconnue. Donc ils étaient trois. Killian s’aplatit contre le mur, et Luna l’imita. L’homme qui connaissait bien les lieux monta les escaliers, peu méfiant. Et dès qu’il arriva à leur hauteur, Killian l’attrapa, et lui tordit le cou. Elle retint son corps et l’allongea dans les escaliers doucement. Un de moins. Elle respira profondément. Cela avait été facile, mais il fallait s’attendre à tout.

Elles patientèrent donc jusqu’à ce que les autres s’impatientent. Elles purent donc entendre des « mais il fout quoi ?! » et des « y a du monde, il doit sans doute attendre. » Mais il y eut des bruits de pas. Quelqu’un venait. Et avant qu’elle n’y songe, il criait :

-Là ! Dans l’escalier !

Le pied du Mercenaire dépassait. Killian se jeta sur le Mercenaire et ils roulèrent au sol. L’homme se fracassa le crâne contre le coin de la dernière marche et ne bougea plus. L’éclaireur et son ami – ils avaient donc été quatre en plus de Merkin – se ruèrent sur elle sans réfléchir, armes au poing. Elle évita, para, feinta, tout ça vivement et efficacement. Elle sortit sa dague, entra dans la danse. Elle sentit Luna à ses côtés. Mais très vite les hommes prirent un peu le dessus, remarquant que la jeune fille ne se battait pas très bien.

-Détache-le et pars Luna ! Tout de suite ! Je les retiens et te rejoins !

Killian se rua sur les hommes et sauta, pied tendu. L’éclaireur eut la mâchoire fracturée et recula en hurlant. Pendant ce temps elle se chargea de l’autre qui n’avait pas parlé. Il se battait souplement, et anticipait ses coups. Elle le toucha quelques fois, légèrement. Et d’un coup sa lame devint une branche. Non. Pas ça. L’autre sourit en voyant qu’elle avait compris. Elle voulut fuir, il la rattrapa d’une liane sortie de nulle part qui lui ligota les membres.

Un Mentaï.

Elle se débattait pour enlever les lianes, mais plus elle bougeait, plus les plantes se resserraient autour d’elle. L’homme était rudement satisfait de ce qu’il faisait et semblait déjà prévoir la suite des tortures. Il voulait tuer cette Marchombre lentement, douloureusement.

Mais il n’avait pas prévu l’intervention de Luna, qui mit le feu aux plantes et à la chaise. Elle cria au feu tandis que Killian se relevait et éteignait les flammes qui léchaient ses membres. Flûte, elle s’était surement brûlée au bras. Tant pis, le Mercenaire aurait fait pire. Et avant qu’il ne puisse dessiner de l’eau pour éteindre le feu, une foule de personne hurla et certaines descendirent dans la petite pièce pour éteindre le feu. Killian fut donc trempée, ainsi que Luna qui s’était évanouie. La Marchombre la prit dans ses bras et fendit la foule pour fuir le Mercenaire qui venait de se jurer de retrouver Killian et de se venger.

Dans l’auberge, c’était le stress, la fumée sortait de la porte. Killian toussa et repéra Merkin, plus loin, affalé sur une chaise.

-Vous allez bien ?

-Grâce à toi. Et Luna. Et elle ?

-Évanouie. On doit partir et se reposer.

Elle l’aida tant bien que mal à se relever et ensemble ils quittèrent l’auberge. Elle le mena vers une grange dans une rue sombre et plus loin, allongeant Luna dans la paille. Puis elle se pencha pour voir si Merkin n’était pas grièvement blessé.

-Non ça va… des bleus et de la fatigue… le plus gros de mes plaies sont presque guéries.

-Vous êtes sûr ? Je peux tenter de vous soigner.

-Faut d’abord soigner ton bras et ta jambe. T’es brûlée. Et les épines des lianes ton déchiré tes vêtements en plus de te couper.

-Je ne sens rien.

Ils ricanèrent et elle s’assit à côté en grimaçant, relevant sa manche et le pantalon pour voir les brûlures, qui étaient plus urgentes à soigner.