La barque avait glissé avec lenteur sur le cours d’eau. L’Aganraï était un fleuve sombre et calme où presque aucun remous ne venaient en troubler la surface. A l’exception des créatures qui en peuplaient le fond et remontaient de temps à autre pour venir gober les insectes inconscients. L’eau grise et opaque donnait l’impression de voyager sur un miroir reflétant le paysage décharné alentours. Les arbres morts peuplaient les berges dans des visions fantomatiques et aux ombres meurtrières tandis que l’odeur d’eau croupie du marais étouffait la saveur de l’air pur.
Volé dans un village Raï, le transport avait considérablement facilité l’aventure. Cela faisaient une semaine qu’Ambre et Alex ramaient sur ce long fleuve tranquille. Et même s’ils devaient toujours trouver de quoi manger une fois à terre, ils s’étaient interdit de prendre quoi que ce soit provenant de l’eau, voyager à moindre efforts avaient été plus que bénéfique. Ils en avaient profité pour réorganiser leur équipement, trouver de quoi rembourrer leurs manteaux et accroitre le « vocabulaire » imagé d’Ambre.
Bientôt, le paysage s’était transformé pour laisser apparaitre une forêt chatoyante aux arbres beaucoup plus grands que ce qu’avait déjà pu voir Alex. La noirceur du pays Raï semblait totalement éteinte. Les montagnes du Poll se dessinaient toujours plus proches et imposantes, mais dans une blancheur qui les faisaient regarder vers le ciel avec une sorte de vénération de la vie et de la lumière. Le courant s’accentuait de plus en plus et Alex prévoyait d’abandonner l’embarcation tôt ou tard.
Ils s’arrêtèrent de l’autre côté de la rive, du côté des bois enchanteurs, et en profitèrent pour préparer l’épreuve à venir. Alex construisit une sorte de léger traineau avec des branchages sur lequel il plaça leur équipement et qui permettrait de supporter Ambre si elle faiblissait. Le voyage au travers de la chaine du Poll s’annonçait difficile. Ils étaient dans le flou le plus total et le pirate doutait vraiment de trouver quoi que ce soit perdu au milieu de ce désert blanc. La présence de l’enfant le ralentirait considérablement, malgré l’aide qu’elle lui avait apporté quelques jours plus tôt. En outre, il était loin d’être expert en exploration montagneuse. Les possibilités pour eux de finir dans une crevasse ou en face d’une meute de loup du Nord étaient assez élevées.
Le froid s’infiltra dans l’air, côtoyant les torrents furieux du printemps et la nature renaissante. Les renards blancs chassaient les petits rongeurs sans faire attention aux deux humains alors que les plus gros prédateurs leur portaient un œil méfiant. Mise à part leur rares rencontres, les journées se succédaient avec pour seul indice de changement, la neige s’accumulant sur leur chemin. Le couvert des arbres les empêchaient le plus souvent d’observer la vallée et le pays d’où ils venaient.
Au bout de quelques jours, après avoir bravé une tempête de neige qui les avait fait avancer à l’aveugle, le petit groupe était complètement perdu. Les arrêtes effilées se dressaient autour d’eux comme une gueule géante dans laquelle ils s’étaient retrouvé coincés. Alex ne savait pas comment ils pourraient sortir d’ici et l’idée de retrouver la prochaine énigme avait été abandonnée. Tout ce qu’il désirait, c’était de sortir de ce piège et de regagner les plaines avant d’y passer. C’est Ambre qui avait découvert la cavité à l’abri du vent dans laquelle ils se réfugièrent.
Le campement fut posé, un feu allumé et alors qu'Alex s'endormait près de l'entrée Ambre prit une branche enflammé pour tuer son ennui. En explorant la grotte, elle y découvrit une tombe à la épitaphe étrange. Elle revint chercher Alex peu de temps après. Alors qu'il faisait face à la tombe, perdue au milieu des monts, ce n'était pas le bonheur ou le soulagement qui prenait place en lui.
L’innocence est vertu, frontières brisées
Et framboises partagées
Va chez les maîtres de l’innocence
Donne-leur mon nom et tu sauras leur brillance
Mais la perplexité. Il en avait jusqu'à à moitié abandonné leur quête devant les difficultés et voilà que par un hasard pur, il retrouvait la suite de l'énigme. Il n'aimait pas ça. Merwyn pouvait bien avoir les pouvoirs qu'il voulait, l'idée qu'une volonté invisible le poussait contre sa volonté comme un nuage impuissant le rebutait. Quelle mérite à cette quête s'il tombait sans le vouloir sur la suite ? Ou alors c'était un pur et total hasard. Non, les énigmes étaient bien trop vague pour que quiconque puisse en trouver le chemin. Il y avait donc un pouvoir supérieur à l'œuvre. Il n'aurait jamais pu trouver cette grotte dans l'immensité de Gwendalavir.
Ils se mirent donc en route pour une contrée qu'il ne pensait trouver que dans les livres.
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