L'aube s'étire sur Al-Jeit et la Caserne s'éveille doucement. Le silence est d'ordre ici et pourtant, dans la salle d'entraînement, seuls les halètements de la fin d'un entraînement solide résonnent. Une jeune fille, les mains posées sur ses genoux, essaye tant bien que mal de reprendre son souffle. Elle est dans la salle depuis une heure, et a disposé les matelas de telle sorte qu'une véritable course d'obstacle s'étend dans toute la longueur de la salle. Sauts, tirs à l'arc, saisies de rebords sur lesquels se hisser, se faufiler entre les murs, revenir et sauter, encore et encore. Puis finir par planter un couteau dans la cible située dans son dos, à la toute fin du parcours. Et c'est là qu'elle bloque. Elle connaît par coeur le parcours, pourrait l'exécuter les yeux fermés tant elle l'a usé, épuisé, s'écorchant par là-même les genoux en tombant, se foulant parfois la cheville. Elle parvient à franchir tous les obstacles devant elle mais après des mois sur cette épreuve, la lame ne parvient pas à se planter dans la cible.
Alors, elle se redresse, repousse une mèche sauvage de son visage et se met sur la ligne de départ. Elle n'est pas consciente que d'autres légionnaires sont entrés dans la salle, prenant place aux divers ateliers d'entrainement, ne tournant qu'un rapide regard vers elle. Habitués.
Elle ferme les yeux, bloque sa respiration. Puis les rouvre avant de s'élancer. Elle saute, virevolte, esquive, se raccroche à l'échelle, brandit l'arc posé au sol, plantant une flèche silencieuse dans un mannequin, puis plonge, roule, saute, encore et encore. En nage, elle parvient à se hisser en haut de la plateforme, surplombant la salle. Les yeux fermés, sans appréhension, elle se laisse tomber dans le vide, dans l'immense matelas qui allège sa chute. Elle continue, épuisée, le cœur au bord des lèvres.
Elle finit par arriver à la dernière épreuve. Le présentoir à couteau est devant elle, elle en saisit un et ferme les yeux.
Elle sait que son coeur bat la chamade, elle sait que ses collègues se sont arrêtés pour la regarder, avides de la voir réussir. Elle sait tout ça, et pourtant, elle s'échappe. Loin de sa tête et de ses pensées. Elle s'échappe, s'enfuit, s'envole, visualise la cible derrière elle, tente de calmer sa respiration. D'un geste fulgurant de précision, elle tend le bras et jette sa main vers l'arrière.
Alors, doucement, elle se remet à respirer. Elle descend de l'estrade, récupère ses affaires et une serviette dans laquelle elle s'essuie doucement le visage.
En silence, elle esquive les regards, et se dirige vers la porte d'entrée. Le sourire aux lèvres, elle sait que son père sera fier d'elle.
Elcane a quinze ans, elle n'a pas eu besoin de regarder derrière elle, la lame du couteau est profondément plantée dans la cible, jusqu'alors inaccessible.
     

- REVIENS ICI JEUNE FILLE !!
- NON !

Porte claquée, l'homme grommelle des promesses qu'elle préfère ne pas entendre ; elle est déjà loin. Elle sait de toutes façons qu'il finira par se ranger à son avis. Parce qu'il est juste, parce qu'il sait déjà tout cela. Parce qu'il est son père.
Elcane a 16 ans. Elle vient de demander à intégrer la formation des Légionnaires, et si cela n'étonne personne, Klavin, son père ne peut s'empêcher de lui faire des recommandations sur ce choix. Lui-même ancien capitaine de la légion malheureusement blessé lors de l'assaut de la Forteresse des Mercenaires quelques années plus tôt, il sait la vie de danger que cela représente et ne souhaite pas cela pour sa fille unique.
Cependant, beaucoup trop au fait du caractère de sa fille, il s'assoit dans un fauteuil, prend un livre et attend son retour.

Elcane, elle, a filé vers la caserne. C'est aujourd'hui que les jeunes prétendants de la Légion sauront s'ils sont pris pour l'impitoyable formation. Décès, blessures, amputations, les responsables l'ont bien prévenue de ce qui l'attendait.

- Es-tu sûre?
- D'après vous? avait-elle répondu, un sourire franc sur les lèvres.

L'assurance ne lui manquait pas, mais elle partait avec de bons avantages sur les autres prétendants. En effet, après le décès de  sa mère, elle avait grandi dans la Caserne, avec les autres soldats, s'entrainant au combat durant ses jours de repos, suivant parfois même les cours avec les jeunes recrues. Son père l'avait intégrée dans ce monde et elle en connaissait les maîtres d'armes. Bien sûr, elle était consciente de son avantage, mais était depuis lors déterminée à faire ses preuves et à montré qu'elle n'était là que grâce à ses capacités.

En se dirigeant vers la caserne, elle avance d'un pas sûr et rapide. Qui pourrait se douter de la fébrilité qui l'a saisie depuis le réveil? De l'insomnie qui l'a tenue éveillée jusqu'à ce que les premiers rayons ne s'immiscent entre ses rideaux? De la bile qui remonte dans sa gorge, menaçant à chaque instant de se déverser sur ses chaussures?

Elle arrive devant la porte, et croise le regard de Jaydin, un ami d'enfance qui attend également de savoir s'il sera intégré. Il est pile l'heure et une centaine de jeunes adolescents se presse devant l'estrade. Un homme s'avance alors. Armure et sabre. Simplicité, humilité, Légionnaire.

- Je vais annoncer les noms des nouvelles recrues.

45/50 places sont attribuées chaque année. Elle doit y être, elle doit y être.
- Elcane Hil'Milhoir

Bonheur, résolution, sentiment de vide.
Nouvelle vie.

     

Le soir, après avoir annoncé la nouvelle à son père elle est partie se coucher tôt, consciente qu'elle ne parviendra pas à dormir rapidement mais incapable d'attendre. La nuit est longue et pleine d'impatience, si bien que deux heures avant le début de sa formation, elle est debout, devant le miroir. Elle est consciente que son apparence physique ne sera pas facilitant pour être intégrée dans une formation quasiment uniquement masculine.
Elle attrape un lien en cuir et tente d'apprivoiser sa longue chevelure auburn. Les mèches légèrement bouclées se rebellent mais après un dixième essai, elle parvient à les nouer en un chignon très serré.
Sobriété et efficacité.
Pour ses yeux clairs veinés de jaune, impossible de les cacher, mais elle fait partie de ses jeunes filles qui ne les mettent pas en valeurs  avec un trait de charbon, il n'y aura donc pas de mauvaise habitude à perdre.
Quand elle retire son t-shirt, elle rit. Pas de forme scandaleuse qui pourrait lui attirer des regards ou des moqueries, elle n'a pas vraiment eu le temps de laisse la nature la doter d'attributs féminins. Cependant, si cela venait à changer, elle pourra toujours les cacher avec des vêtements très serrés.
Ses bras sont musclés, et n'ont plus la fragilité de l'enfance. Ses jambes sont aussi galbées et sa peau est blanche, n'ayant pas l'occasion de s'exposer au soleil.

Elle remet sa veste en peau, attrape son sac, se regarde une dernière fois dans le miroir, les mouvements de sa tête légèrement entravés par son chignon.

- Tu ne me dis pas au revoir?

Elle sourit.
     

Elle avait alors foncé vers la Caserne, embrassant rapidement son père. Elle avait eu l'impression de voler tant la distance depuis la maison avait été rapidement parcourue.
Le jour-même on lui avait indiqué une chambre (dortoir conviendrait mieux...) où poser ses affaires. Débarrassée, elle avait rejoint le cortège de jeunes qui visitaient les lieux et elle avait pu découvrir les salles d'entraînement, les vestiaires, des salles de cours, un vaste réfectoire et enfin, ils avaient rencontré les équipes d'enseignants.
Ils se ressemblaient tous, grands, musclés, sérieux et froids. Ils leur avaient promis une formation rude, impitoyable et Elcane s'était sentie reconnaissante qu'aucun des formateurs qu'elle connaissait depuis son enfance ne lui adresse de gestes. Elle aurait pu perdre définitivement le respect de ses compagnons et ne doutait pas de son importance pour affronter cette formation.

Les mois passèrent et de 50 disciples, ils passèrent rapidement à 26. Blessés, découragés ou  tout simplement pas faits pour ça, de nombreux compagnons étaient partis suivre d'autres voies. Le groupe solide qu'ils composaient maintenant tous leur permettait de se soutenir tous lors des missions d'évaluations, des stages de survie et autres épreuves permettant de les tester, les poussant dans leurs retranchements.
Si elle vacilla quelques fois, la détermination d'Elcane ne faiblit jamais. Mieux, elle éprouvait lors des épreuves, une adrénaline nouvelle qui ne cessait de la ravir.

Quelques semaines avant la fin de la formation et le début de leur vie en tant que Légionnaire, il leur fut remis une armure. L'armure de Vargélite. Elle parvint à ne pas pleurer d'émotion, et étreignit discrètement l'épaule de Jaydin qui lui, n'avait pu se retenir. Elle retira rapidement sa main. S'étonna encore une fois de voir que si la Légion avait si bien entraîné leur corps, elle avait quelque peu asséché leurs émotions.

La cérémonie de fin de formation finit par arriver, deux ans après le début de cette aventure. Sobre, calme, réunissant les familles des diplômés, ils n'en furent pas moins rayonnants de prestance.
Une voix, fébrile d'émotion.

- Je suis fier de toi.

Depuis lors, s'étaient enchaînées les missions. Si elles la tenaient éloignée de chez elle pendant de longues semaines, le bonheur de partager un repas avec son père au retour en lui racontant les merveilles qu'elle avait pu voir était sans commune mesure. Elle avait parfois cette impression vive que dans sa vie se mêlaient une dizaine d'autres tant ses missions étaient différentes. Elle escorta des personnages importants de l'empire, participa à l'avancée de convois dans des régions difficiles de l'empire, frappa des survivants Raïs dans des guerres aussi secrètes que rapides et encore d'autres missions périlleuses.

Elle participa une fois à la formation de jeunes, mais laissa cela à d'autres. Il lui fallait de l'action.
Son cœur s'attacha à celui de Jaydin pour quelques mois mais leur désir commun d'aventure les empêchait de se poser réellement et ils préférèrent rester bons amis.