Il peut utiliser les Spires, mais d'une manière unique. Il ne crée pas d'objets, qui apparaissent entre ses mains, sortis tout droit de son imagination. Dory est en réalité un piètre dessinateur, mais ce qu'il peut faire est bien différent. Pour dessiner, il a seulement besoin d'un cours d'eau, d'une flamme, de terre ou même d'air. Tout ce qu'il peut faire, c'est modeler les éléments primordiaux. Il est comme aveugle dans l'Imagination, il a donc besoin de sentir la matière pour pouvoir la "sculpter". Il arrive même à créer des créatures de feu, d'eau, d'air ou de terre, certaines étant dotées d'une conscience. Cette conscience n'est en fait que le reflet de la personnalité multiple de Dory. Mais elles ne sont jamais parfaites, et elles finissent par disparaître. Toutes. Sinon, il n'est pas en grande forme physique. Il ne sait pas se défendre, courir vite ou autre. Il peut possiblement se montrer agile à l'occasion et grimper sur les parois des maisons. Il sait rester longtemps sans manger.

Un garçon froid. Brusque, méprisant et distant. Sans une once de bonté en lui. Il n'a aucun ami. Il n'aime pas. Il peut témoigner des marques de respect envers certaines rares personnes, mais pas plus. Il ne pleure pas. De lui émane une froideur, qui agit telle une barrière de sécurité et empêche les autres de l'approcher. Quand il marche dans la rue, les passants s'éloignent. Il ne témoigne aucune marque d'amour, juste du dégoût auprès de ceux qui s'aiment.  Et ceux qui l'aiment. Mais eux sont rares. Même ses parents ne l'aimaient pas. Ou du moins ne le montraient pas. C'est peut-être cette distance qui l'a rendu si froid. Mais au plus profond de lui, qui est-il ? Un jeune homme, désemparé et désespérément seul. Un garçon, en deuil depuis son enfance. Une simple personne, à qui les larmes ont trop souillées sa joue pour couler de nouveau. Il a un coeur. Il ne sait seulement plus l'utiliser correctement. Et ça, on peut le voir dans son regard, ou encore dans ses rares sourires, qu'il fait quand il croit que personne ne le regarde, quand il contemple l'horizon, en quête de souvenir. Mais la glace est solide et, jusqu'au jour présent, personne n'a réussit à la briser.

Un garçon. Grand et maigre, à l'allure un peu dégingandée, aux membres longs. Son visage est anguleux, avec de gracieux traits et des yeux en amande, légèrement tirés en arrière. Des cheveux de neige, un regard à la fois vert clair et bleu d'eau,  une peau légèrement matte. Une beauté exotique, une beauté juvénile.  Ses vêtements sont simples. Un pantalon large, occasionnellement une chemise, accessoirement des chaussures. Une chaîne pendant à son cou depuis des années, représentant un oeil, présent de la seule femme qu'il n'ai jamais put aimer. Son maître, son guide. Ava

Comment décrire les dix premières années de la vie du jeune homme?
On ne les décrit pas. Personne ne les connait. Ni même lui. Tout ce dont il se rappelle, c'est une pression sur ses omoplates, et un rire maléfique, bien qu'enfantin. Puis une atroce douleur au crâne.

C'est au beau milieu d'un jour qu'il se réveilla. L'endroit où il se trouvait lui était inconnu. Il avait mal à la tête, et du sang avait séché sur son visage. Il voyait flou. Il se leva, et marcha, au hasard. Il marcha longtemps, et beaucoup. Jusqu'à ce qu'il ne sente plus ses jambes, que la plante de ses pieds soit écorchée vif. Et il avait soif. Mais il continua de marcher.

Il ne se posa pas de question du genre "où suis-je", ni même "qui suis-je". Il ne savait ni son nom, ni son âge, ni ses parents. Il savait, ou du moins sentait, qu'il devait avancer. Et il avança. Puis, sur son chemin, il trouva une maison. Une petite maison, qui ne devait pas contenir plus de deux pièces. Il eut, à cette pensée, un ricanement de mépris. Puis une image. Une maison, grande et belle. Sa maison. Il avait des parents riches. Mais, pour l'instant, peu lui importait.

Il toqua à la porte. Ou plutôt, sentit qu'une volonté autre que la sienne se servait de ses membres pour frapper sur cette porte de bois. Une femme apparut.

Vieille, elle semblait au bord de la mort. Ses yeux, aveugles et doux, semblaient sur le point de se fermer. D'une voix douce, elle dit:

"Entre, petit garçon."

Il ne se posa aucune question. Sans se gêner, il s’installa sur le canapé. La vielle femme revint vers lui, s'assit et prit ses mains entre les siennes. Sa peau était douce.

"Je me nomme Ava.

Ava... C'était un joli nom, pour sûr. Il donna à la vieille femme un côté sage, qu'elle possédait, en plus de sa bonté sans limite.

" Tu ne connais pas ton nom. Tu ne sais pas qui tu es, comment tu as perdu ta mémoire. Je sais. Tu as été poussé. Tu as été poussé parce qu'on a peur de toi, et de tes pouvoirs étranges. Mais je peux t'aider.

Elle avait raison. Il le savait, et tout ce qu'elle dira sera vrai. Elle le convainquit. Il accepta son aide. Elle le nomma, Dory Hill, comme son défunt enfant. Il accepta le nom.

Entre eux se créa rapidement une grande connivence, sans doute du fait que pour chacun, l'autre comblait un vide ; Ava n'avait plus du fils, Dory n'avait jamais vraiment eu de parents. Ava s'occupait du garçon comme s'il avait toujours été là. Elle se comportait en mère, alors qu'elle était plutôt en âge d'être sa grand-mère, sans doute n'avait elle pas encore fait totalement le deuil du vrai Dory. Le garçon fut surpris de l'habileté et la précision de la vieille femme, alors que ses yeux semblaient ne plus rien voir. Lorsqu'il lui fit part de son étonnement, Ava répondit mystérieusement :

"J'ai appris à voir autrement le monde, sans avoir besoin de mes yeux. Le corps humain est plein de ressources, et la plupart des gens ne le savent pas..."

Dory passa en compagnie d'Ava plusieurs années heureuses, insouciantes, comme s'il renaissait, d'une vie de bonheur absolu. Son passé était oublié, et il n'avait aucune envie de se le rappeler.

Pourtant, lorsque Dory arriva vers l'âge de 15 ans, le questionnement sur son passé vint le hanter. Il voulait savoir son histoire, maintenant qu'il n'était plus un enfant. Mais c'est cette histoire même qui brisera son insouciance. Un jour, Dory demanda à Ava comment elle connaissait qui il était, et pourquoi il était ici. Ava lui répondit :

"Tout le monde connait ta famille, dans cette région. Tes parents sont des riches commerçants qui ont réussi à s'élever dans la société grâce à des méthodes peu recommandables... Ils sont cruels et avides de pouvoir. Tu as aussi une sœur ainée, il me semble."

Alors un souvenir frappa Dory de plein fouet. Un souvenir marqué par la terreur, la souffrance. Sa sœur. Un rire, dément, et puis un claquement sourd, déchirant. Un douleur violente qui devient haine dans son cœur, dans tous ses membres. La vison horrifiante d'un sourire carnassier. Puis plus rien. Ce souvenir le marqua profondément, et ainsi débuta sa haine envers le monde entier et tous ceux qui y vivent paisiblement. Plus aucune joie n'était possible, avec un tel passé. Le monde qui avant lui paraissait si lumineux s'assombrit dans son âme. L'être froid et impassible que nous connaissons aujourd'hui était né. Seule la présence d'Ava l'empêcha de sombrer totalement. Celle-ci remarqua le trouble de Dory, mais continua quand même :

"J'ai entendu des rumeurs comme quoi cette famille avait un fils, qui était différent. Un fils aux cheveux blancs, et qui provoquait toujours des choses étranges autour de lui. Ce fils, c'est toi. Tu ne plaisais pas à tes parents, car tu n'es pas comme eux. Tu as donc été rejeté, abandonné, et te voici."

Dory demanda alors pourquoi il ne se souvenait de rien, même pas de son nom.

''Il y a de nombreux moyens de faire perdre la mémoire à quelqu'un... Tes parents avaient sans doute peur de toi et ont voulu t'éloigner. J'ai tout de suite senti à ton arrivée que tu étais unique. Seulement, je ne sais pas à quel point..."

Alors Ava, avec une agilité presque irréelle pour son âge, lança une petite pierre en direction de la tête de Dory. Subitement, du sol surgit un serpent de terre, qui s'élança au devant de Dory et percuta le caillou, qui retomba quelques mètres plus loin. L'instant d'après, le serpent se disloqua en poussière. L'action avait duré quelques fractions de secondes seulement. Après un moment de surprise, Ava murmura :

"Je vois... Tu n'as pas dessiné, et pourtant j'ai senti ta présence dans l'Imagination, et ce serpent est sorti de terre. Tu peux manipuler les éléments n'est-ce pas ?"

Dory ne répondit pas. Il ne savait pas. Il avait seulement le sentiment que la nature avait toujours été bienveillante envers lui, alors que tout le monde le détestait. L'air, la terre, l'eau, le feu, tous les éléments l'ont protégé, défendu et soutenu afin qu'il puisse vivre dans ce monde de haine.

"Si tu veux survivre, il va falloir que tu sois maitre de tes créations, que ta volonté dirige ton pouvoir..."

Alors, pendant les jours qui suivirent, Dory s'entraîna avec Ava. Il dut créer des formes de plus en plus complexes, d'abord avec la terre, puis l'eau, puis l'air.

Lorsque ce fut au tour du feu, Dory se trouva bloqué. Il se concentra au maximum sur la torche qu'il avait devant lui, suivant les conseils d'Ava, mais il ne se passa rien. Rien à faire, aucune flamme ne voulait obéir, c'était un refus catégorique. Comme Dory allait abandonner, la flamme se mit à danser joyeusement, et deux petits yeux rieurs apparurent. D'une voix fine et enjouée, la flamme prononça ces mots :

"N'essaie pas de m'utiliser comme une arme, car je refuserai toujours. Je me suis promis de t'en empêcher, car tu vois, tu pourrais avoir des envies de destruction massive, et ce n'est pas terrible de détruire le monde, n'est-ce pas ? Mais tu pourras toujours compter sur moi pour te soutenir, et pour peu que tu me donnes à manger, je peux t'aider à te sentir moins seul !"

On pouvait deviner comme un sourire dans la flamme. Un coup de vent éteignit la torche, et elle disparut. Pourtant, un peu de sa chaleur demeura dans le cœur de Dory. Il était à la fois heureux, et surpris par ce qui venait de se passer. Cependant, il n'en parla pas à Ava.

Il resta auprès d'elle de longues années, à apprendre à maîtriser son pouvoir. Il s’entraînait, le renforçant, et écoutait les histoires de la vielle Ava. Elle lui racontait le monde, lui parlant de chaque maison de chaque rue de chaque ville. En particulier d'un endroit nommé Al-Jeit. Elle semblait connaitre cette ville.

Cette vie continua longtemps ainsi. Jusqu'à la mort d'Ava. Douze ans après son arrivée, il dut repartir. Seul et triste. Il se rendit à ladite ville, celle dont son maître lui parlait si souvent. Il y alla. Vers Al-Jeit. Vers sa nouvelle vie.