Neleam rit de cette mésaventure, imaginant aisément le thül se débarrasser de volatiles agressifs comme les oies. Le cœur léger, elle était soulagée d’avoir réussi à combattre le trou abyssal d’une soirée dont elle avait tout oublié, la jeune femme continua à discuter d’un ton badin avec Idir. Ils se rencontraient toujours dans d’étranges situations… Mais ça leur faisait de beaux souvenirs.
Les deux jeunes gens s’assirent dans la cour, profitant des rayons du soleil qui y filtraient. Ça allait être une bonne journée. Même si elle avait déjà généreusement commencé en fait. La chevalière n’avait pas d’impératif. Soudain, elle se souvint que son ami thül avait quant à lui un « vrai métier » qui demandait d’être ponctuel et rigoureux. Sautant sur ses pieds, la jeune femme se confondit en excuses, il ne devait pas prendre de retard dans ses commandes par sa faute ! Elle était d’ailleurs disposée à l’aider.
Ce fut donc le sourire aux lèvres que la jeune femme se joignit à Idir afin de le seconder dans son travail. Il avait l’habitude de travailler seul, alors il n’avait probablement pas besoin d’elle, mais il avait accepté et c’était tout ce qui lui importait. La guerrière était aux anges, elle rêvait depuis longtemps de travailler dans une forge, de découvrir l’antre fumant de la création d’armes. Les yeux pétillants elle obéit à toutes les directives d’Idir, sans chercher à discuter. Parfois il lui arrivait de poser des questions, mais uniquement lorsqu’elle sentait qu’il s’agissait de quelque chose d’important, n’ayant pas envie d’agacer son ami avec quelques questions idiotes, même si elle en avait plein qui lui passaient en tête.

Après de longues heures à suer par tous les pores, Neleam put prendre une pose à l’air frais. Ses bras la lançaient, mais elle était heureuse. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas ressenti cette joie simple, ce sentiment de bien-être libérateur. Immobile, elle savoura cette sensation qui lui donnait l’impression de revivre, de se retrouver. Elle était de nouveau elle-même.
Quelques instants plus tard, Idir la rejoignit et la guerrière lui annonça qu’elle n’était peut-être pas d’une grande aide, mais elle adorait ça, avouant au passage ses problèmes identitaires. Être chevalier ne lui suffisait plus désormais, elle se sentait trop… libre. Ennuyée. Comme s’il était temps pour elle de mûrir. Sauf qu’elle ne savait pas comment faire ça, et surtout, elle ne savait pas vraiment si elle désirait s’assagir.
Pour la première fois depuis des lustres, la demoiselle parla à cœur ouvert, cherchant à mettre des mots sur ses sentiments, sur tout ce qui bouillonnait en elle, sur le nœud qu’était devenu sa vie et ses envies.

-Je me sens vide. Même lorsque je me bats, je ne ressens plus cette palpitation qui rendait tout ça magique. Je.. me sens différente, mais ma vie demeure la même.

De nouveau, les affres de la nostalgie se firent sentir, comme ça lui arrivait régulièrement ces temps-ci. Refusant d’y sombrer en présence d’Idir, elle continua sur sa lancée, lui avouant tout ce qu’elle avait sur le cœur, quitte à le regretter plus tard.

-La vie que je mène… je l’aime. J’aime ne pas savoir de quoi sera fait le lendemain. J’aime cette liberté qui me permet de faire ce que je veux, quand je veux. Mais… je ne me sens pas complète pour autant, cette liberté m’isole, je me sens seule parfois. La vie manque d’un attrait, d’une motivation pour que je me précipite vers mon Destin.

Neleam fit une brève pause, avant de reprendre.

-Être ici, avec toi.. Ça m’apaise. Comme si j’avais trouvé un début de solution. Forger, créer, ça permet de se vider la tête, de laisser parler son corps. C’est peut-être ça qui me manque. J’ai remarqué qu’avec le temps j’avais délaissé certaines de mes capacités. Avant j’étais douée au tire à l’arc, maintenant… je ne sais même pas où se trouve celui que j’avais alors ! Je manie l’épée moins bien qu’un homme et le sabre moins bien qu’un frontalier. Je… je suis un personnage et pourtant je suis si « normale ».

La chevalière se laissa emporter par ses pensées qui tourbillonnaient, cherchant à leur donner un sens.

-Lorsque les gens parlent de moi, ils ne savent pas toujours que je suis chevalier, sinon ils disent que je suis charmante, une grande fêtarde, que je me bats bien… Ce qui ressort c’est ma petite taille, et non la guerrière que je suis. Je suis une femme avant d’être une légende.

Ayant suffisamment parlé, la guerrière se tut et sourit à Idir, chassant ces étranges sensations qui cherchaient à envahir son cœur. Elle aimait la compagnie d’Idir alors il était hors de question qu’elle plante tout en lui racontant ses malheurs, et pire encore, qu'elle pleure sur son épaule. Alors elle sourit en haussant les épaules, prête à retourner travailler à la forge, devant le brasier.

Neleam avait trouvé du réconfort auprès d’Idir. C’était étrange, car les thüls n’étaient pas connus pour leur grand esprit, ni leurs conseils avisés. Ils étaient plutôt du genre à cogner sans même songer à poser la moindre question. Mais pas Idir. Il était différent. Plus sensible, à l’écoute des autres et doté d’un esprit fin qui plaisait à la guerrière.
De retour au chevalier qui gondole, elle se sentait de meilleure humeur, sans vraiment savoir pourquoi, mais deux jours plus tard elle retournait voir Idir, qu’elle considérait désormais comme un ami.

Elle était allée avec deux autres chevaliers dans une salle d’arme généreusement remplie et la guerrière avait songé à s’acheter une épée à double tranchant. De celles qui se manient à deux mains et qui crient avec force votre caractère. Elle profita donc des armes à disposition pour trouver la perle rare, sauf que la guerrière avait peiné à la manier, et après quelques combats dont elle était sortie perdante ses bras hurlaient au supplice. Elle avait ensuite essayé la masse d’arme et puis d’autres sans être convaincue. Aucune des armes ne s’adaptait à son style, rapide, vif et puissant dans les coups. Restaient ses habituels sabres et autres katanas à la lame plutôt courte qui lui permettait d’œuvrer comme elle l’entendait, mais elle savait la manier à un niveau amplement suffisant et l’impression de ne plus pouvoir progresser la frustrait un peu.
Mais cette recherche d’une nouvelle arme la fit réfléchir, notamment lorsqu’elle utilisa le bâton de combat. Le résultat fut désastreux mais il lui tira un sourire. L’esprit encombré de ces pensées bruyantes, la demoiselle rejoignit la tanière d’Idir et lui proposa une nouvelle fois ses services auprès de la forge. Elle ne doutait plus de l’effet thérapeutique du feu sur son humeur ni de taper le fer.

Finalement, lorsqu’Idir jugea que c’était suffisant pour la journée, Neleam se permit de lui annoncer : faire d’un arc une arme de combat rapproché.
Car c’était un problème majeur des arcs, c’est qu’il fallait des armes supplémentaires pour lorsque l’ennemi se jetait sur vous. Alors il lui fallait une arme qui fasse deux en un, et l’idée du bâton de combat ne lui semblait pas incompatible avec l’arc.
Neleam développa donc son idée, afin de savoir si Idir pourrait lui confectionner une arme de la sorte, qu’elle payerait bien évidement, rubis sur l’ongle. Elle était même prête à lui donner une avance. Ses aventures lui avaient laissé une modique somme et cette nouvelle arme mystérieuse et imaginaire lui semblait être une belle manière d’utiliser cet argent durement gagné.