Aeterna ne répond pas, elle se contente de regarder l’homme qui approche des deux jeunes femmes comme un animal en fixerait un autre avant d’en découdre. La comparaison avec un animal n’est pas anodine, puisque les deux ont à peu près le même comportement, la même démarche, quelque chose de très léger et en même temps très puissants, comme deux lions prêts à s’affronter pour devenir le dominant de la meute… Celui tout en noir, portant même un masque sur le visage, se met soudainement à rire, dégageant quelque chose d’absolument malsain, à tel point qu’Elayne peut le ressentir au plus profond de ses tripes.

« Alors c’est à cela que s’abaissent les marchombres, désormais ? A la boisson ? Tu déshonores un peu plus ton sang chaque jour. »

Les marchombres ? De quoi est-ce qu’il parle ? Est-il en train d’insinuer que… Aeterna… En serait une ? Sur le coup, la brunette jette un regard à sa compagnonne, essayant de l’évaluer, se demandant si ce serait possible. Rien ne va à l’encontre de cette affirmation, en tous cas. Elayne avale sa salive et souffle un peu avant de détourner les yeux pour se recentrer sur leur nouvel ennemi.

En plus de cela, il semblerait que ces deux-là se connaissent, mais qui pourrait-il être ? De la famille, puisqu’il a parlé de sang ? Ou simplement une vieille connaissance… Peut-être que c’est lui, la personne qu’elle devait retrouver ? Non, elle a dit que c’était un ami, et lui n’a pas l’air d’en être un… D’un seul coup, l’homme sort son épée et les deux épéistes s’engagent alors dans un duel pour le moins effréné. Elayne recule de quelques pas, surprise, parvenant difficilement à garder les yeux sur son allié dans ces conditions.

En plus de l’obscurité, leurs coups sont vifs, leurs mouvements agiles et rapides, presque inhumains… Si elle ne devait croire que ce qu’elle voit, Elayne pourrait bien croire que la fille avec qui elle a partagé un verre soit effectivement une de ces marchombres dont on raconte les exploits et… Parfois, les méfaits, ou tout simplement le côté contre-nature de leur existence. C’est alors que l’autre créature impie ce met à dessiner… La magicienne ouvre alors grand les yeux, car il y avait enfin quelque chose qu’elle pouvait comprendre à tout ce bazar. Décidément, cet adversaire est plein de ressources, mais heureusement, elle n’est pas en restes.

Elle analyse les différents choix qu’il fait, les poignards qu’il fait voler vers Aeterna pour la surprendre, les morceaux de terre qu’il manipule à sa guise pour tenter de l’écraser ou de la gêner… Ce n’est pas un Don anodin, il s’agit d’un bon dessinateur… Mais sans doute pas du meilleur qui soit. Alors Elayne tendit ses mains vers l’homme masqué, fermant les yeux un instant pour se concentrer. Ses petites magouilles commencent à fonctionner, il prend un peu le dessus face à l’autre femme, mais l’artiste en est sûre, si elle intervient, elles pourront le vaincre.

Tandis qu’il soulève son épée pour l’abattre sur Aeterna, en même temps qu’un poignard arrive dans un de ses angles morts, pour qu’elle n’est aucune chance d’éviter les deux, des sortes de ronces naissent de la terre, s’élançant à toute vitesse vers le poignet du guerrier pour l’enlacer avant de durcir. Bien sûr, ça ne le retient pas très longtemps, il lui suffit de forcer un peu pour briser ses attaches de bois, mais ça a au moins le mérite de le ralentir un peu, et étant donné la vitesse à laquelle les deux se battent, la moindre seconde peut être un avantage conséquent !

Malheureusement pour Elayne, l’homme tourne la tête vers elle. Puisqu’elle a décidé d’entrer dans le combat, soit, il s’en prendrait à elle aussi… Mais la jeune femme est prête à l’affronter, même si elle n’a peut-être jamais connu d’adversaire aussi impressionnant. Tandis qu’Aeterna se remet dans le combat, l’autre fille commence déjà à préparer son prochain dessin. Elle se met à imaginer une chaîne de plusieurs mètres, au bout duquel il pourrait y avoir un collier cadenassé… Et ce collier, il pourrait apparaître autour du cou de cet homme… Oh, ça ne le retiendrait peut-être pas beaucoup, mais cela donnerait une attache conséquente à Aeterna pour le saisir, l’attirer quand elle le souhaite, et pourquoi pas s’en servir pour restreindre certains de ses mouvements… Pour être certaine que son dessin reste assez longtemps pour être utile, Elayne puise profondément dans ses énergies, jusqu’à ce qu’au moment qu’elle considère opportun, elle fasse apparaître cette fameuse entrave, avant de reculer à cause d’un vertige, qui la fait même trébucher en arrière, la faisant tomber sur les fesses, totalement exposée à une attaque…

Il n’y avait parfois pas besoin de regarder un adversaire pour l’éviter ou le frapper, il fallait le sentir. Aeterna n’était pas vraiment gênée par l’obscurité : quand on était en harmonie avec le monde on percevait aisément les courants d’airs, les gestes d’un assaillant… Ce n’était pas aussi évident avec le Dessin. Il brisait un instant la réalité pour apparaître là où il n’aurait pas dû se trouver, avec le lot de surprises que cela pouvait provoquer. La marchombre avait le choix : éviter un poignard ou éviter une épée. Elle n’aurait pas le temps d’échapper aux deux, la trajectoire à suivre semblait bien difficile à établir. Se baissant brusquement, l’arme de jet frôla son crâne. L’arme aurait pu s’abattre aisément sur son bras qu’elle tenta pourtant de dégager de son itinéraire, si… Si des ronces ne l’avaient pas retenu. Aeterna n’eut pas le temps de se pencher sur la question du pourquoi ou du comment, elle attribua ce petit miracle à la dessinatrice qui avait proposé son aide et décida de ne pas s’en soucier plus que ça. Les quelques secondes qu’Elayne venait de lui offrir – si c’était bien elle – lui avaient permis d’éviter un coup qui n’aurait pas pardonné.

Inspirer. Huring lui avait dit un jour que le combat n’était qu’un souffle, qu’il suffisait de trouver le rythme. Expirer. Aeterna se relança dans la bataille sans la moindre hésitation. Elle n’avait pas le choix, il fallait que l’un des deux disparaisse ce soir, et elle avait décidé que ce ne serait pas elle. Elle devait empêcher qu’il ne s’attaque un peu trop à Elayne, de toute façon. Et en parlant d’elle, d’ailleurs, la marchombre lui lança un regard en coin mais fut bien en peine de déterminer ce qu’elle pouvait prévoir. Profitant de son immobilité le mentaï voulut sans doute s’en débarrasser. Elle était une nuisance pour lui et il remarquait probablement qu’elle avait le pouvoir de changer l’issu de cet affrontement. Seul contre la marchombre, il l’aurait à l’usure. Mais si une dessinatrice imprévisible venait interférer…

Aeterna se plaça entre eux, sans la moindre hésitation. Serrant un peu mieux ses lames elle se remit en garde, chassant d’un geste de tête les mèches qui lui cachaient un peu la vue. Ce n’était vraiment pas le moment de se recoiffer mais elle devait avouer qu’elle aurait aimé pouvoir se débarrasser de ce léger inconvénient pour maximiser ses chances. Et pour éviter que le moment venu, le mentaï ne tire ses cheveux dans la bataille. Il abattit son épée une fois, Aeterna l’évita. Une deuxième fois, elle para avec sa dague avant de reculer. Il se remit à dessiner, ne laissant plus de répit à son adversaire qui n’avait d’autre choix que d’esquiver sans pouvoir lui rendre les coups. Au moins elle détournait son attention, laissant probablement à Elayne le temps de prévoir quelque chose. Ou pas.

La marchombre la vit trébucher du coin de l’oeil et elle n’eut pas le temps de se demander pourquoi. Le mentaï s’apprêtait déjà à en profiter, se ruant soudainement sur elle plutôt que sur la femme aux cheveux blancs. Mais autre chose avait changé. Aeterna lança son poignard dans le dos de l’homme qui, comme s’il s’en était douté, l’envoya voler plus loin d’un courant d’air imaginé. Ce n’était pas le plus important. La marchombre avait désormais une main libre, qu’elle utilisa tout de suite pour saisir une drôle de chaîne qui venait d’apparaître, reliée à une espèce de collier que portait le mercenaire. La dessinatrice devait être sacrément douée pour réussir à créer un tel objet sur une cible qui bougeait autant, Aeterna en serait impressionnée si elle avait le temps d’y réfléchir. Au lieu de ça, elle tira de toutes ses forces et le mentaï se trouva brutalement stoppé dans sa course. Son élan le fit presque étrangler par la corde, il lança un coup de pieds en direction d’Elayne sans que la marchombre puisse savoir s’il avait atteint sa cible, avant de se retourner vers Aeterna.

Elle ne savait pas combien de temps cet objet existerait, ce qui l’empêchait un peu de prévoir toute une stratégie qui en dépendrait, mais elle comptait bien se servir de cet avantage. Peu importe les mouvements qu’elle devait faire, même les sauts ou les acrobaties particulières qu’elles réalisait pour qu’il ne la touche pas, elle ne lâchait jamais la chaîne. Elle ne tirait pas toujours dessus. Mais parfois un coup sec suffisait à changer l’orientation du bras de l’homme, le faisant manquer sa cible. Le faisant s’exposer. Venait alors le coup de dague d’Aeterna, qui parvint enfin à toucher le mercenaire. Il cria autant de rage que de douleur quand elle planta son arme dans ses côtes et la retira aussitôt, ne pouvant se permettre de lui laisser une de ses armes… Surtout tant qu’elle n’avait pas retrouvé l’autre.

Mais les dessins n’avaient jamais eu pour vocation d’être éternels. Au moment où Aeterna comptait bien reproduire sa petite stratégie, les maillons de la chaîne et du collier disparurent bien vite. Ce fut à son tour de se retrouver exposée. Le mentaï donna un coup avisé dans son poignet, la forçant à lâcher son arme, qu’il attira à lui grâce à un dessin que la marchombre ne regarda pas vraiment. Merde. Que devait-elle faire désormais ? On apprenait aux marchombres que leur corps était une arme, qu’ils n’avaient besoin de rien de plus, mais elle ne connaissait aucun membre de sa guilde qui puisse être serein à l’idée d’affronter un mentaï armé à mains nues.

Mais elle se remit en garde parce qu’elle n’avait pas le choix, alors que le mercenaire abandonnait son épée. Il tenait entre ses mains les deux armes de la marchombre et il semblait en être tout à fait ravi. Aeterna lança bien sûr un regard à la lame qu’il avait laissé tomber mais un appât aussi grossier ne réussirait pas à avoir raison d’elle. Il voulait qu’elle la prenne, qu’elle se rue sur cette échappatoire… Pour mieux l’égorger, sans doute. La marchombre lança un regard direction d’Elayne, tendit que le mentaï préparait visiblement un dessin puissant.

Pendant quelques secondes il disparut. Et refit surface juste dans le dos de la femme aux cheveux blancs, l’attaquant si vite qu’elle n’aurait peut-être pas le temps d’y échapper, cette fois.

Malgré le peu de lumière qui les éclaire, Elayne peut apercevoir l’homme masqué se ruer vers elle pour profiter de son moment de faiblesse. Elle n’arrive même pas à savoir si elle a bien réussi son dessin ou non, mais ça ne changerait pas grand-chose de toute façon, elle ne pourrait pas en profiter vu l’ouverture qu’elle vient de laisser à leur adversaire. Par réflexe, elle lève ses mains et croise les bras devant sa tête, comme si cela suffirait à la protéger d’un coup d’épée.

Les yeux clos, définitivement pas prête à affronter le sort qui lui semble réservé, elle est surprise de sentir un coup qui ne lui fait pas aussi mal qu’elle l’aurait cru… Certes, il la fait tomber totalement en arrière, il lui coupe le souffle pendant une seconde, même, mais… Ce n’est rien comparé au tranchant d’une lame ou à un coup sévère, un coup pour tuer.

Elayne se redresse doucement, toussant fortement jusqu’à ce qu’elle crache un peu par terre. Elle relève la tête ensuite, cherchant du regard Aeterna et son adversaire… Elle a beaucoup de mal à dissimuler sa fierté en voyant que sa camarade se sert comme il se faut du dessin qu’elle lui a créé avant de se prendre un coup. C’est sûrement grâce à cela qu’elle ne s’est pas prit un coup fatal, d’ailleurs…

La marchombre parvient à planter sa lame dans les côtes de l’autre homme, le faisant hurler. C’est étrangement satisfaisant, de la part d’un adversaire, d’entendre cela, mais Elayne ne doit pas baisser sa garde. Le combat n’est pas encore gagné et il faudra sans doute qu’elle intervienne encore une fois. Elle passe alors sa manche en-dessous de son nez pour essuyer le sang qui coulait de sa narine à cause du coup qu’elle a pris, puis elle continue de les observer pendant qu’elle réfléchit à sa prochaine action.

La chaîne disparaît tout à coup, tandis que la sorcière commence déjà à faire se mouvoir un nouvel objet dans ses mains. Elle détourne son regard du combat un instant, afin de se concentrer au mieux, mais lorsqu’elle relève la tête, elle voit que son acolyte est en grande difficulté, qu’elle est désarmée et que son adversaire prépare quelque chose. Elayne bande alors l’arc qu’elle vient de créer avec son esprit, tirant une première flèche vers l’homme, qui disparaît avant qu’elle ne l’atteigne. Aussitôt, la magicienne arme une autre flèche et, sans même réfléchir, elle la lâche en direction de l’homme, mais aussi d’Aeterna…

« BAISSES-TOI ! » Hurle-t-elle à plein poumon, espérant qu’Aeterna lui fasse suffisamment confiance pour lui obéir, tout en lâchant l’arme qu’elle venait de créer pour se ruer plutôt vers l’épée qui avait été abandonnée, par terre.

Elayne ne s’attend pas à ce que son adversaire se laisse avoir par un coup aussi prévisible, il sait très bien qu’il n’a qu’à éviter la flèche pour ne pas se la prendre. Cependant, cela permettrait à Aeterna de se dégager d’un coup possiblement mortel, sans compter ses deux autres actions. En effet, grâce à son Don, Elayne avait grandement influencé la trajectoire de sa première flèche, celle qui était perdue dans l’obscurité, pour qu’une fois que l’homme ait esquivé le premier projectile, il soit surpris de voir le deuxième lui foncer dans le dos. De plus, la femme se jette sur l’épée, mais pas pour la récupérer… Simplement pour réarmer la guerrière, qui sera sans doute la plus à même de se battre entre elles-deux. Saisissant finalement le manche de l’arme, elle l’envoie de ses maigres forces en direction de la fille aux cheveux blancs, la faisant tournoyer quelque peu dans les airs en espérant qu’elle parvienne au moins jusqu’à elle… Etant donné ses réflexes hors du commun, il n’y avait sans doute pas besoin de la prévenir cette fois, n’est-ce pas ?

Le mentaï dans le dos d’Aeterna passa sa lame sous la gorge de la marchombre mais il n’eut pas le temps d’accomplir ce pourquoi il était là. Elle passa ses mains sur le poignet de l’homme pour repousser la dague qui s’approchait trop près à son goût.

« BAISSE-TOI » cria Elayne, attirant subitement l’attention de sa comparse comme de leur ennemi commun.

Le mercenaire ne semblait pas décidé à abandonner celle qui lui servait de bouclier humain, cela dit… Il resserra son étreinte, et pendant une fraction de secondes la marchombre lui fit croire qu’elle se laisserait faire. Se rapetissant un peu, approchant encore un peu plus sa gorge de la lame. Avant de bondir. Le haut de son crâne heurta le menton de son assaillant qui n’eut d’autre choix que de la relâcher. Bondissant sur le côté à toute vitesse, Aeterna disparut de la trajectoire du projectile. Elle ne fut pas la seule.

La marchombre ne fit pas attention à son ennemi pendant un instant : Elayne lui lançait une épée. La lame tournoya dans les airs, prouvant sans doute que la dessinatrice n’était pas une amatrice de ce genre d’actions guerrières. Aeterna bondit une nouvelle fois. Utilisant sa greffe, elle atteignit une hauteur que même un marchombre de renom n’aurait pu rêver atteindre, refermant avec force ses doigts sur la lame avant d’effectuer une pirouette qui, d’une torsion de bassin, la fin basculer. Ses deux pieds touchèrent le sol, elle se remit en garde, entre Elayne et le mentaï.

La blessure de l’assaillant le ralentissait, c’était normal. Chacun combattant avec les armes de l’autre, l’issu du combat aurait pu se brouiller un peu plus mais ce trou dans sa chair faisait la différence. Il leur donnait l’avantage. Une chance qu’il fallait saisir. Mais tous les deux fatiguaient, c’était normal également, et ils risquaient aussi de commettre plus d’erreurs. Il ne fallait pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Ce n’était de toute façon pas le genre d’Aeterna.

Leurs lames s’entrechoquèrent à nouveau, elle envoya un coup de pied vers le visage de l’homme quand elles se séparèrent mais elle ne parvint qu’à faire tomber son masque. C’était bien inutile au fond, elle savait de qui il s’agissait. Elle l’avait reconnu. Ça faisait mal parfois, de se rendre compte que des gens qui vous avaient connu quand vous aviez moins de dix ans se permettaient de vous chasser au point de vouloir votre mort. Mais c’était ainsi, et il avait fait bien trop de mal pour repartir sans problèmes. Elle verrait peut-être son regard s’éteindre, si elle remportait ce combat.

L’homme voyait bien que les choses ne tournaient pas en sa faveur. Il ne se baissa pas pour ramasser ce qui cachait jusque là son visage, il attaqua avec plus de rage, enflammant par le Dessin les deux poignards qu’il avait récupérés. Aeterna n’eut d’autre choix que de reculer. Il lui faudrait de l’eau. De l’eau sur sa lame, voilà qui lui permettrait d’éteindre celle du mercenaire… Ou au moins de créer une fumée qui lui serait sans aucun doute profitable. Aeterna tourna la tête vers Elayne, n’osant pas proposer quoi que ce soit à voix haute de peur de donner une indication sur sa pensée au mentaï. Tant pis.

On aurait pu croire qu’ils dansaient, si les invocations sorties de l’Imagination par l’homme ne venaient pas troubler le rythme. Enfin, la demoiselle devait s’éloigner de tout ce feu pour éviter d’être défigurée par une étrange brûlure. Mais il ne l’aurait, pas vrai ? Pas si facilement ? Aeterna ne s’annoncerait jamais vaincue, à moins de mourir. Les flammes attaquèrent la peau de son épaule, la chaleur la surprit au point qu’elle trébucha. Sa chute fut ralentie par sa greffe, ce qui ne manqua pas de surprendre son assaillant à son tour. Profitant de ce laps de temps supplémentaire, la demoiselle posa les mains au sol pour se soutenir et donna un coup de pieds dans les jambes du mentaï.

Il ne tint pas debout. Il chuta, ses lames enflammées ne pouvant l’aider à se rattraper. Levant alors l’épée qu’elle possédait toujours, Aeterna l’abattit droit sur la gorge de l’homme.

Elayne chute après son grand lancer, presque à bout de souffle. Elle n’a jamais été la plus douée en cardio et ce combat commence à la faire puiser dans ses ressources, surtout en tenant compte de la résistance de leur adversaire. Il n’y a plus vraiment de doutes à présent, c’est lui qui devait causer autant de soucis dans la région, et vu sa puissance, ce n’est pas très étonnant que personne ne lui ait tenu tête jusque-là… Sans Aeterna, la dessinatrice y serait sans doute passé elle aussi, même avec toute la prudence du monde.

Le bruit des lames qui s’entrechoquent résonnent dans le crâne de la fille à terre, tandis qu’elle essaie de reprendre son souffle, sursautant à chaque coup qu’elle entend, comme s’il avait pu lui être destiné. Pour le moment, elle fait pleinement confiance à la marchombre qui se bat, mais elle ne peut pas s’empêcher d’avoir une certaine appréhension… Si elle n’arrive pas à le vaincre, alors ce sera la fin pour toutes les deux…

Soudain, une lumière perçant à travers l’obscurité de la nuit attire l’attention de la brunette. Elle relève la tête et aperçoit que les deux lames qu’a récupéré leur ennemi se sont enflammées, comme par magie… Lui n’avait pas encore puisé dans ses ressources, malgré tous les dessins qu’il avait fait depuis le début de leur affrontement. Ou peut-être qu’il s’agissait là de la manifestation de ses dernières forces, les flammes étant la chose la plus basique à faire, il ne lui fallait pas beaucoup d’énergie pour les matérialiser.

La guerrière aux cheveux blancs était de nouveau désavantagée, elle fuyait les lames de son ennemi plutôt que de les contrer, sans doute par peur d’être brûlée et que ça ne signe la fin de leur affrontement. Pendant une seconde, peut-être moins, Elayne la voit tourner la tête en sa direction, sans vraiment comprendre le sens que devait avoir son regard. Il fait trop sombre pour qu’elle ait pu bien apercevoir ses yeux… Est-ce qu’elle s’inquiète simplement de son état ? Ou alors espère-t-elle un dernier coup de main ?

La magicienne ne peut pas « mouiller » une lame suffisamment pour que cela n’éteigne complètement les dagues de feu, mais elle peut peut-être essayer autre chose. Elle se contente de lever les yeux vers le ciel, avant de les clore et de parcourir les Spires mentalement, à la recherche de la meilleure solution pour ce problème. Quelques secondes s’écoulent que rien ne se passe, jusqu’à ce qu’une goutte d’eau tombe sur le visage d’Elayne, coulant ensuite le long de sa joue, en même temps qu’un petit filet de sang qui recommençait à s’échapper de sa narine, entre la fatigue et le coup qu’elle s’est prit un peu plus tôt.

Elle rouvre les yeux et admire alors son art. Un nuage qui s’est formé en quelques instants au-dessus d’eux, au-dessus du village. Elayne en est toute retournée, elle n’avait jamais fait quelque chose d’aussi conséquent auparavant, elle a la tête qui tourne et une soudaine envie de vomir dans toute la poitrine. C’est fortement désagréable, mais au moins, la pluie commence à tomber, sur les maisons, mais aussi sur les lames de l’homme, dont le masque est tombé un peu plus tôt. Les flammèches qu’il avait créées commencent à s’amoindrir, mais avant qu’elles n’aient eut le temps de disparaître totalement, il semble porter un coup à l’épaule d’Aeterna, qui chute en arrière. La fille qui était encore à genoux par terre se redresse d’un seul coup, mais elle voit alors que son alliée ne tombe pas vraiment, comme si elle lévitait… C’est assez spécial, tout le monde est un peu surpris, ce qui lui permet de prendre un avantage conséquent sur leur adversaire, qu’elle fait trébucher avec un coup de pied bien placé. La seconde d’après, elle soulève son épée en l’air et elle l’abat sur sa gorge, comme un bourreau avec un condamné…

Elayne ressent un étrange soulagement, une fois que la lame a tranché la tête de l’homme… Elle respire rapidement, avançant de quelques pas en direction du combat terminé. Enfin, l’était-il vraiment ? Il devait encore rester des pirates au cœur de la ville. En plus de ça, les nuages qu’elle avait fait apparaître commencent à se dissiper, après les avoir bien trempés. Elayne, en tous cas, dégouline tant elle a reçu de pluie sur le visage, ses cheveux et ses fringues sont aussi mouillés qu’après un plongeon dans l’eau…

« Bien joué, Ae… » Commence-t-elle à dire, son dernier mot, le nom de la fille, étant coupé par un malaise dû à la fatigue, qui la fait s’évanouir soudainement. Elle tombe lourdement au sol, dans la terre un peu ramollie par la pluie, ce qui lui permet de ne pas se faire plus mal, heureusement… Le pire qu’il pourrait sans doute lui arriver, ce serait d’attraper froid.

Il pleuvait. Les cheveux d’Aeterna collaient à sa tenue sous l’effet de l’eau, elle passa rapidement une main sur son front, incapable de différencier la sueur de l’eau qui dégoulinait déjà. Et puis elle leva les yeux. La marchombre savait accepter les éléments, elle savait se glisser dans une rivière et jouer avec le courant sans se laisser emporter, elle savait se fondre dans la nature parce qu’elle était en Harmonie avec elle. Elle sourit, en regardant les nuages si particuliers qui semblaient orner le ciel, cachant partiellement la Lune. Le mentaï était mort, c’était donc la fin d’une triste série de meurtre mais les habitants ne le sauraient sans doute jamais. Comment pourraient-il faire le lien entre cet homme et celui qu’ils cherchaient ? Aeterna n’avait pas vraiment envie de les inquiéter, ni même de se faire chasser au prétexte qu’elle aurait conduit un tel homme à de tels agissements, en plus de le conduire droit vers leur village tout en sachant très bien de quoi il était capable. Mais il était mort. Une nouvelle part de sa vie d’avant venait de s’éteindre et comme la plupart d’entre elle, Aeterna l’avait tuée de sa main. Ça n’avait pas été simple. Et l’eau qui coulait sur son épaule bien brûlée la faisait souffrir.

« Bien joué, Ae… »

La marchombre tourna la tête, reconnaissant là la voix d’Elayne. Elle fut assez surprise d’entendre son prénom coupé, cela dit, et ce fut sans doute ce qui la poussa à la regarder alors qu’elle n’en avait pas éprouvé le besoin. Mais apparemment, la dessinatrice n’avait pas tenté de lui donner un surnom : elle s’était évanouie. Jetant un regard autour d’elle, la marchombre se demanda bien sûr si elle ferait mieux de confier sa camarade aux bons soins de quelqu’un qui veillerait sur elle et de retourner combattre… Son épaule lui faisait mal mais ce n’était rien d’insurmontable, rien qui l’empêcherait de venir en aide aux paysans, seulement ça ne se faisait pas. Elayne avait sauvé sa vie, et Aeterna ne l’oublierait pas. Il lui faudrait racheter cette dette là, qui était sans aucune doute bien plus importante que celle de la pauvre bière qu’elle avait offert à la demoiselle un peu plus tôt. Mais il y avait plus urgent.

La marchombre approcha donc de la fille, se dépêchant de la redresser pour éviter qu’elle ne s’étouffe dans la boue puisqu’elle n’avait pas pu empêcher sa chute. Elle essuya rapidement son visage avec sa manche pour éliminer le plus gros des traces de terre mêlée à l’eau, apercevant des tâches de sang qu’elle n’avait pas pu voir auparavant en raison de l’obscurité de cette nuit. Est-ce que c’était le Dessin qui l’avait mise dans cet état ? La marchombre crut comprendre, face à tout cela, que si les nuages semblaient sortis de nulle part c’était probablement parce qu’ils l’étaient réellement. Elle ne put s’empêcher de sourire. Elayne était définitivement pleine de ressources. A moins que ce sang ne vienne du coup de pied que lui avait lancé le mentaï ? Aeterna n’avait pas vu s’il l’avait touchée ou non, le bruit de la chute de la demoiselle ayant été plutôt bien couvert par les autres duels des alentours.

Aeterna se décida à hisser la fille sur son épaule encore indemne. A bien y regarder, les pirates étaient désormais sérieusement en infériorité numérique et il n’y avait rien de plus à faire que de les laisser fuir : il serait impossible de tous les tuer avant qu’ils n’atteignent leurs navires – même pour elle, même si elle n’avait pas été blessée. Mais que faire ? Eh bien déjà emmener Elayne à un endroit où elle pourrait un peu mieux vérifier son état. Ensuite, comprendre ce dont elle avait besoin. Enfin, décider de la nécessité ou non de trouver un guérisseur – voire un rêveur – pour la tirer d’affaire. Ne connaissant pas réellement d’autres endroits que l’auberge qui ne se trouvait non loin, la marchombre choisit bien évidemment cette destination. C’était probablement le lieu le plus sûr de tout le village, puisqu’il avait été le point de ralliement des aventuriers qui se trouvaient là. Rien n’avait brûlé, et on entendait la propriétaire remercier la Dame d’avoir envoyé toutes ces bonnes âmes pour protéger son établissement. Elle ne devait pas se rendre tout à fait compte qu’ils avaient avant tout protégé leur vie…

La dame reconnut bien sûr les deux femmes qui avaient fréquenté son auberge plus tôt : il fallait avouer qu’Aeterna avait un physique assez particulier. Ayant pitié de leur état, remarquant la fille inconsciente et la brûlure de la marchombre, elle les autorisa à entrer et, à défaut de leur trouver une chambre, aida Aeterna à installer Elayne dans un coin de l’écurie, sur un botte de foin, avec des draps.

Elle respirait encore, et à la lumière de la torche elle ne semblait pas dangereusement blessée. Ses vêtements ne paraissaient pas déchirés, à vrai dire, et Aeterna se refusa à regarder en dessous. Bon. La pauvre avait probablement préjugé de ses capacités. Autant la laisser se reposer, décida la marchombre avant de partir en quête de quelque chose d’apaisant à utiliser sur sa blessure dans les fontes que portait son cheval la journée. S’asseyant alors auprès d’Elayne, sans dire un mot, elle étala doucement l’onguent sur sa peau meurtrie, avant de s’adosser au mur et de fermer les yeux.

Pendant qu’elle est inconsciente, Elayne ne rêve pas. Elle n’est absolument pas consciente, et l’instant où elle se réveille semble succéder immédiatement à celui où elle s’approchait d’Aeterna, avant que son corps ne la lâche et ne la fasse chuter dans la boue… La jeune femme cligne alors lentement des paupières, avant de tousser sèchement au moment de se relever, non sans difficulté. Elle a quelques courbatures, mais ce n’est rien d’un surmontable. Le plus désagréable, c’est plutôt de sentir ses vêtements tout trempés qui lui collent à la peau, ainsi que le foin accroché un peu partout sur elle…

Encore dans les vapes, elle regarde tout autour d’elle pour essayer de savoir où elle se trouve. Elle remarque que la fille qui s’est battue avec elle est juste là, en train de se reposer aussi, visiblement. Elle s’imagine alors que l’assaut doit être terminé, que les pirates ont dû être repoussés… C’est une bonne chose. Soudain, la brunette sent toute la fraîcheur de ses habits contre sa peau, elle attrape fermement les draps qu’on lui a mit dessus pour les serrer contre elle. Qu’est-ce qu’elle aurait donné pour une des couvertures épaisses de chez elle, ou pour un feu de cheminée… Ça au moins, ça avait le mérite de réchauffer les corps.

Elle se réinstalle alors dans le foin, même si c’est un peu envahissant, elle relativise en se disant que c’est moins pire que du sable… Elle essaye de se donner chaud, mais avec ces pauvres draps et une toute petite torche pour les éclairer, elle et Aeterna, autant dire que c’est peine perdu. Elle tend pourtant sa main vers la petite flammèche au-dessus d’elle, pour au moins sentir sa chaleur au bout de ses doigts, ne serait-ce que cela…

Après quelques minutes, Elayne pose ses yeux sur l’autre jeune fille, examinant un peu ses blessures. Elle semble s’être occupée de son épaule, même si ça a l’air un peu rudimentaire, ces quelques plantes. Quant au reste, rien d’alarmant à première vue, elle a l’air de bien se porter… La dessinatrice se doutait qu’elle était une guerrière, mais elle ne s’attendait pas à ce que ce soit la meilleure combattante qu’elle n’ait jamais rencontrée de sa vie. Elle se repasse rapidement ses gestes dans son esprit et elle est de nouveau impressionnée quand elle se rend compte que les images qui défilent dans sa tête ne sont pas le fruit de son imagination, que tout cela est arrivé, pour de vrai.

« Merci Aeterna… » Chuchote-t-elle en refermant les yeux, ne souhaitant pas réveiller celle qui s’est sans nul doute occupée d’elle et qui l’a emmenée jusqu’ici après cette nuit agitée… D’ailleurs, si elle se fie au peu de luminosité à l’intérieur de ce qui ressemble à une écurie, la nuit ne doit pas être terminée. Peut-être qu’elle ferait bien de dormir jusqu’au lendemain, où elle devra avant toute chose s’assurer qu’Esquisse n’a pas bougé, auquel cas elle devra se mettre à sa recherche…