Killian avançait à grands pas dans les rues d’Al’Jeit. Presque comme si elle était suivie. Pourtant elle ne l’était pas. Du moins pas vraiment. Elle sentait la présence de Cali quelque part autour d’elle. Il ne la lâcherait pas comme ça dans la nature. Pas tant qu’il ne serait pas sur de sa loyauté.

Parce qu’il était clair que dans l’esprit de Killian, elle était plus une Mercenaire qu’une Marchombre. Elle ignorait encore maintenant comment elle avait pu se transformer ainsi. Peut-être parce qu’elle avait enfin comprit la vérité. Elle avait œuvré pour l’Harmonie et la Paix, et on ne lui avait jamais permis de profiter de sa vie. La vie lui avait arraché les êtres qu’elle aimait. Pourquoi se battre pour quelque chose qui ne te remercie pas ? Ce qui la rongeait depuis longtemps avait été déployé par Cali. Il avait su s’y prendre pour la manœuvrer à sa guise…

Il fallait juste qu’elle fasse rudement attention auprès des autres Marchombres. La trahison ne se payait que par la mort. Elle devait être très discrète.

Tournant dans une ruelle, elle s’enfonça entre deux maisons, où un escalier se dessinait. Elle le descendit et ouvrit la porte qui se fondait parfaitement dans les murs et l’obscurité. Elle pénétra les souterrains, et à partir de là, Cali ne pouvait plus l’espionner. Il devait lui faire confiance. Sans avoir besoin de guide ou de lumière, Killian avança dans les couloirs humides, bifurquant quand il le fallait et prenant soin de rester silencieuse et calme. Le stress ne l’aiderait en rien.

Quand elle parvint à la salle, quelques Marchombres se trouvaient déjà là. Elle s’avança, les salua, ignora leurs regards sur elle et alla s’installer sur l’estrade, attendant les autres membres du Conseil et les Marchombres.

Si Sayanel était là, elle espérait qu’il ne lui demande pas si c’était vrai l’histoire des Mercenaires. Cali avait fait passer le mot de sa capture, pour qu’elle se sente délaissée de ses pairs, puisque personne ne s’était manifesté. Elle plissa les yeux. Si, il devait poser la question. Comme ça elle pourrait lui reprocher de n’avoir rien fait pour aider l’une des leurs. De toute façon, elle n’avait pas à mentir. Les Mercenaires l’avaient bel et bien capturée. Elle devait juste taire le reste.

Par automatisme, elle toucha la cicatrice sous sa pommette. La marque de la trahison à ses yeux, une marque de torture pour les autres. C’était amplement suffisant. Scrutant la salle, elle vit un Marchombre aux cheveux argenté qui patientait au fond de la salle. Elle sentait qu’il se contenait, impatient. A surveiller.

Peu après, les autres membres du Conseil arrivèrent, dont Sayanel. Elle le salua ainsi que les autres, et le silence se fit immédiatement dans la salle. Étant le plus ancien de la guilde, Sayanel était celui qui devait ouvrir le Conseil. C’était un Conseil normal ; ceux qui avaient des soucis les exposaient, puis venaient ceux avec des informations à traiter et enfin, les nouveaux apprentis à accueillir. Rien de bien méchant.

Les premiers mots de Sayanel furent pour dire que les Mercenaires étaient à nouveau actifs. Mais avaient-ils seulement cessé de l’être ? Killian avait toujours été persuadée que le Chaos continuait son œuvre, mais plus discrètement. Ses mésaventures et son revirement, en plus des propos de Sayanel, ne faisait que confirmer ses doutes.

Il poursuivit, expliquant que de nombreuses disparitions sans explications avaient eu lieu. A nouveau, elle se dit que ce n’était pas nouveau.

- Nous avons toujours pensé que la destruction de leur cité était une victoire, et à raison. Sauf que cette victoire n'était qu'éphémère et aujourd'hui, les survivants de ce massacre crient vengeance. Répondrez-vous présents, marchombres, à l'appel du Conseil pour combattre cette menace ?

Elle balaya la foule du regard ; beaucoup gardèrent un masque neutre, comme elle, mais d’autres, tout aussi nombreux, crièrent leur approbation. C’était une info pour Cali ça. Killian se sentit alors nerveuse. Pourquoi ? Parce qu’en pensant cela, elle se rendait compte qu’elle trahissait réellement tous les Marchombres. Que, peut-être, les visages qu’elle avait en face d’elle ne seraient plus que masques funèbres par sa faute. Elle crispa les mâchoires, et reporta son attention sur le présent.

Sayanel avait soulevé le point de son propre enlèvement, et elle le regarda quand il se tourna vers elle. Ce n’était plus vraiment le temps de montrer de la compassion. Elle avait attendu, espéré qu’ils viennent la secourir. Rien ni personne n’était venu. Cali ne lui avait pas menti, il avait bel et bien fait passer le mot. Ces propres frères d’armes l’avaient trahie. Cela suffit à ôter sa culpabilité.

Elle croisa alors le regard d’un Marchombre aux cheveux blancs. Il semblait tout aussi neutre qu’elle. Puis elle se rendit compte qu’on attendait sa réaction. Elle se leva donc, aussi digne qu’une Marchombre de son rang.

-En effet, j’ai été kidnappée par un Mentaï. J’ai passé presque deux semaines entre ses mains. Mais j’ai réussit à m’échapper par un quelconque miracle encore flou à mes yeux. Je sais que j’aurais du venir ici vous prévenir, mais j’ai préféré me retirer pour soigner mes plaies et me refaire. De toute manière, vous étiez au courant de ma situation, et vu votre… empressement à me venir en aide, je n’ai pas jugé bon de me précipiter vers vous.

Elle savait que c’était blessant de le dire devant tout le monde ; elle aurait préféré le dire uniquement à Sayanel, mais qu’importe. Cela l’avait blessée, profondément, leur manque de soutien. Certes elle n’était pas la seule Marchombre ou la seule à avoir des ennuis, mais cela n’excusait rien. C’était peut-être même ça qui l’avait fait basculer. C’était de leur faute.

Son discours fit naître des murmures, coupés par une voix de femme. Killian tourna la tête pour voir la jeune femme à la chevelure de neige, avec une cicatrice à l’œil, comme elle mais l’autre sens, prendre sa défense. Aeterna, selon ce que Sayanel annonça en apaisant les tensions. Avait-elle été chez les Mercenaires ? Selon ses dires, oui. Elle devait demander à Cali, pour en apprendre plus sur elle.

Mais son attention fut captée par le regard gris de Sayanel quand il s’approcha d’elle.

- Killian, depuis quand te retires-tu pour soigner tes plaies? Celle que je connais aurait accouru jusqu'ici, en rampant s'il l'eut fallu, pour nous avertir qu'un mercenaire capturait les marchombres.

Elle inspira, espérant ne rien laisser paraître. Par contre elle ne put répondre qu’il chuchotait, pour qu’elle seule entende :

- Que s'est-il passé là-bas? Quand as-tu cessé de me faire confiance?

Elle n’avait jamais cessé, et c’était bien là le pire. Sans ciller, elle réfléchit. Sa position était encore plus délicate qu’avant. Et le doute s’installait en elle. Non ! Ils auraient pu venir l’aider ! Malgré les mots de Sayanel et son envie d’y croire, ils avaient échoués, et ils l’avaient perdue.

- Pourquoi aurais-je du courir, ou ramper, pour vous prévenir ? Vous ne sembliez guère pressés, alors j’ai changé mon habitude. Ainsi, peut-être comprendrez-vous ce que ça fait, d’attendre, d’espérer, d’attendre… et d’être déçu.

Elle crispa les mâchoires, et pour répondre à sa seconde question, elle chuchota à son tour :

- Je n’ai jamais cessé de te faire confiance, Sayanel. Le problème, c’est que là-bas, cette confiance s’est fissurée.

Elle fronça les sourcils et reprit sur le même ton de confidence :

-Je suis et resterais une des vôtres. Je suis une Marchombre. Mais je dois solidifier ma confiance en toi. Je me sens trahie, Sayanel, et je sais que tu sais ce que c’est, d’être trahit.

Ses propres mots lui firent mal. Elle savait que lui jeter l’histoire de Nillem à la figure toucherait sa cible, mais elle se dégoûtait d’agir ainsi. Tout son être semblait se scinder en deux : une partie créée par Cali, qui voyait les Marchombres d’un mauvais œil, et une autre, la Killian d’avant, qui se battait pour reprendre le contrôle et rester celle qu’elle était, qui voulait juste pouvoir s’ouvrir à Sayanel et le laisser comprendre toute la situation.

Malheureusement, c’était impossible. Elle doutait, mais ne devait pas se trahir. Sinon, Sayanel la tuerait.

Les deux membres du Conseil étaient figés, chacun sondant l’âme de l’autre à travers leurs yeux. Puis Sayanel chuchota :

- Je t'ai cherchée Killian, j'aurais souhaité ne pas être responsable de ce goût amer que tu sembles avoir en bouche et j'espère que tu me pardonneras.

Suite à ces mots, il détourna le regard et s’adressa à l’assemblée qui attendait. Il déclara avoir des missions à donner à ceux qui voulaient, tandis que d’autres s’en allaient déjà. Killian réfléchissait, cherchait à démêler ses pensées. Le pardonner. Elle le croyait, qu’il l’avait cherchée. Ce n’était pas juste lui le responsable, c’était les Marchombres en général. Combien de fois l’avaient-ils abandonnée ? Il était clair qu’elle agissait seule depuis un long moment.
Mais Sayanel avait toujours été un ami plus qu’un confrère. Elle l’admirait. Il la faisait rêver, déjà en tant qu’apprentie, et cela n’avait jamais cessé. Il était, à ses yeux, invincible. Comme Ellana. Comme Edwin. Des êtres de légende que rien ne peut briser.

Et elle, elle était une traîtresse. Cette vérité se planta comme un couteau dans son cœur. Jamais elle ne serait comme Sayanel. En fait, c’était à lui de la pardonner.
Ses pensées furent brutalement interrompues par l’arrivée d’un jeune Marchombre aux cheveux blancs comme neige. Il se frayait un chemin dans la foule qui se dispersait, comme s’il craignait qu’on ne l’écouterait pas. Fier, il se planta droit devant l’estrade, attirant ainsi l’attention de Sayanel et de Killian, et annonça :

-J'ai des informations sur les mercenaires du Chaos et je crois qu'il serait bon de les faire connaître maintenant...

Elle pencha la tête. Des informations ? Quoi comme ? Il fallait qu’elle retienne, pour le dire à Cali. S’il savait ce que les Marchombres savaient, ce serait un avantage de prit. Mon dieu, qu’elle arrête de douter !

-Nous t’écoutons, jeune Marchombre. Dit-elle, même si elle ne présidait pas le Conseil.