Roxane chantonnait à travers les couloirs du grand bâtiment d’Ondiane. Les rêveurs qui la croisaient sur son chemin lui souriaient, heureux de la voir de retour, même si ce n’était que temporaire.
Sa bonne humeur avait la notion extraordinaire de se propager parmi les personnes, et c’est ainsi que la plupart du temps, c’était un vrai enchantement que de voyager avec la demoiselle.
Vêtue d’une simple robe blanche légère, retenue par une corde qu’elle avait coloré en rose, la jeune rêveuse sautillait à présent, pieds nus.
C’est là qu’elle vit un de ses compagnons avancer à travers le couloir, blessé. Son cœur rata un battement. Mais qui donc avait fait ça ? En toutes logiques, les armes étaient déposées dans un petit coffre, près de la sortie. Peut-être son agresseur avait-il piégé le rêveur… ?
Faisant outre les réflexions, le temps d’agir était venu. Elle couru près de l’homme, et le força à s’asseoir à même le sol.

-Qui vous a fait ça ?

Il ne répondit rien. Roxane soupira, excédée. S’il décidait de ne rien dire, ça ne faciliterait pas les choses. D’autant plus que l’agresseur avait peut-être fuit. Elle vérifierait après l’avoir soigner.
Otant délicatement le t-shirt du rêveur, la jeune fille déposa ses mains sur son dos, et visualisa dans sa tête son corps, afin de le soigner. Une pâle lueur se mit à luire, et plus aucune trace des blessures n’étaient présentes. C’était du bon travail.

-Bon, si vous voulez reprendre votre t-shirt, il va falloir me répondre…

Elle le fusilla du regard. Prendre en otage son t-shirt lui avait sembler la meilleure façon pour qu’il se décide à parler. Puis, elle baissa la tête sur le bout de tissus, qui était déchiré. Il était bon à jeter. Sa tentative avait lamentablement échouée…
Le rêveur se mit à rire, devant la bêtise de la demoiselle. Il lui prit le t-shirt des mains, et se leva.

-Je ne sais pas qui il est. Mais il demande à se reposer entre nos murs.

-Comment peut-on accepter un tueur ici ?

-J’ai cru comprendre que vous aviez dormi aux côtés de tueurs, vous aussi. Cela ne devrait pas vous déranger.

Il s’éloigna, laissant les joues de Roxane s’empourprer. Il n’avait pas le droit de dire ça ! Et puis, si elle avait dormi aux côtés de personnes malsaines, ce n’était absolument pas volontaire ! Au contraire, elle y avait été forcée !
Décidant de rassembler son courage à deux mains, elle alla voir la personne qui avait fait ainsi du mal à un rêveur. Sa silhouette était svelte, et elle devait se reconnaître qu’il était assez mignon, quoiqu’ un peu effrayant…Dotés de cheveux bruns coupés assez courts, il possédait également des yeux dont l’impression première était la méfiance.
La rêveuse s’avança vers lui, tremblante.

-Qui…qui es-tu…Que fais-tu ici ?

Sa voix, bien qu’elle se voulait courageuse, chevrotait. Ce n’est pas ainsi qu’elle ferait peur à l’ennemi…

-Je m'en suis pris à ce rêveur parce qu'il ne voulait pas m'accorder votre hospitalité. J'ai tenté de le convaincre en douceur. Il refusait toujours, je n'ai eu d'autre choix que d'utiliser la manière forte.

Roxane se renfrogna. Ce n’était pas une bonne raison. Mais elle devait admettre que l’attitude du rêveur n’était pas fort agréable à recevoir, et elle comprenait la colère de Rasinar. Mais elle soutenait que ce n’était pas une assez bonne raison pour ainsi blessé un rêveur, même sans le faire frôler la mort.
Le jeune homme récupéra alors son poignard, et recommença à le faire passer d’une main à l’autre, en disant :

-Ce que je veux, moi, je veux retrouver ma voie. Je ne sais pas comment mais je le veux.

Retrouver sa voie. Être marchombre ou mercenaire, en gros. Et bien, Roxane choisirait pour lui : marchombre. Ils étaient dix fois plus sympathiques que les serviteurs du chaos.
Prenant un air buté pour le regarder, elle l’écouta néanmoins avec la plus grande attention qu’elle le pouvait :

-Ce que je fais vraiment ici... J'ai déjà répondu à cette question, mais puisque ma réponse ne vous convient pas je vais en changer. Je retourne sur les traces de mon passé en cherchant un indice sur mon avenir. Je cherche ma voie, et si celle-ci me dirige vers la mort je l'accepterai.

« Carrément ». Il ne paraissait pas réellement dangereux. Mais il fallait qu’elle soit sur ses gardes, après tout. Tout pouvait arriver.
La jeune rêveuse sursauta alors, car le marchombre-mercenaire venait de lui tendre sa dague. Elle pencha la tête, avec une curiosité sans faille. Il lui formula cette phrase, pour accompagner son geste :

-Il me représente très bien, Une machine à tuer avec un cœur pure, il est éphémère comme je le suis. Je vous l'offre en gage de respect envers les tiens car c’est ce que j'ai de plus précieux...moi.

Roxane cligna des yeux. Plusieurs fois. Que devait-elle faire ? Accepter ce présent ? Et puis, à quoi cela pouvait-il lui servir ? Et surtout…était-il vraiment destiné à elle ?
La jeune femme secoua la tête, et partit de l’endroit en courant. Cet homme était étrange. Elle sentit son regard se poser sur elle, en colère mais en même temps, étonné. Alors, elle se retourna, et d’un geste d’excuse, cria :

-Je reviens !

Et la rêveuse partit dans le labyrinthe que formait les couloirs. Mais réapparut rapidement, la mine enjouée, près de Rasinar. Elle prit la dague qu’il lui avait tendue quelques minutes plus tôt, le fixa sur la fine corde qui lui servait de ceinture, et prit les mains du jeune homme, le tirant de toutes ses forces. Il ne bougea pas. Pas d’un poil.

-Roh. Faudrait que je pense à me faire gonfler les muscles, moi.

Roxane lui lâcha les mains, et lui dit, souriante :

-Je viens de demander au chef. Je lui ai expliqué brièvement votre situation. Il accepte de vous héberger le temps qu’il faudra ici, et tous nos soins vous serons accessible. Suivez-moi, je vais vous montrer votre chambre.

La rêveuse l’invita d’un geste de la main, et lui demanda, peu assurée :

-Au fait, la dague. C’est pour moi ou pour tous les rêveurs présents ici ?

Roxane attendit ce qui lui semblait des heures. Sautillant d’un pied à l’autre, impatiente, elle attendait qu’une quelconque réaction vint de Rasinar. Réaction qui, à son goût, tardait à venir.
Mais alors qu’elle allait lui rappeler son existence, il se leva, et lui répondit enfin :

-Le poignard est pour toi, mais le message qu'il renferme est pour tous les rêveurs.

La jeune fille haussa un sourcil. Elle ne savait pas du tout de quel message il parlait. Que pouvait bien être le message d’un poignard ? Peut-être fallait-il le démonter ? Ou alors faire une incantation dessus. Elle abaissa les épaules, ne comprenant vraiment pas ce qu’il avait voulu dire. C’était peut-être- sans doute- une métaphore mais elle ne la saisissait pas. « Tue-ton prochain et t’auras de belles mains ? » Bof bof…Parce-que bon, tuer c’était mal. Très mal ! Ou alors heum… « Défends-toi, et l’amour tu auras ». Oh, ça c’était joli. Souriante, elle se retourna vers le marchombre-mercenaire et vit qu’il s’était arrêté. Alors que la demoiselle allait le questionner, il lui demanda :

-Comment puis-je vous remercier pour votre hospitalité ?

La rêveuse le jaugea du regard. Mais…voyons ? Qu’est-ce qu’elle en savait ! Elle le regarda avec des yeux incrédules. Personne, aucun voyageur ne les remerciait vraiment. Hormis d’un simple merci. Enfin, à chaque foi qu’elle passait en ses lieux, il n’y avait personne qui offrait quelque-chose. Maintenant, des passants tapis dans l’ombre sortait peut-être de leur cachette obscure et, lorsqu’elle s’en allait, vénérait les rêveurs. Elle se promit intérieurement de se renseigner là-dessus.
Elle lui répondit alors :

-Hé bien, je ne sais pas. Vous pourriez peut-être vous munir d’un simple tissu de toile pour cacher votre virilité et ensuite danser autour d’un feu avec les rêveurs.

Devant l’air plus qu’étonné de Rasinar, elle pouffa de rire. Roxane se reprit assez rapidement, et se corrigea :

-C’est pour rire, voyons. Jamais je ne vous demanderai ça. Enfin, pour le moment.

Elle lui adressa un clin d’œil et s’empêcha de rire à nouveau. Son comportement n’était certes pas des plus approprié face à une telle personne, mais elle n’avait pas le cœur en ce jour à être une statue de glace pour faire plaisir.
Non. Aujourd’hui, elle était d’humeur taquine et joueuse. D’ailleurs, se serait avec plaisir qu’elle jouerait avec les petits enfants qu’ils hébergeaient avec leur famille. Roxane était une adolescente, mais se refusait à grandir, en ayant beaucoup trop vu. C’était peut-être son choix de voyager, mais elle avait observé et subit des choses qu’une jeune fille de quinze ans n’étaient pas en mesure d’imaginer.
La rêveuse lui répondit enfin :

-Je ne sais pas comment vous pouvez nous remercier, très franchement. Je suppose que votre présence en ces lieux est déjà fort honorable. Après, les rêveurs seront sûrement content de pouvoir partager un bain en votre présence et faire plus ample connaissance mais faites cela uniquement si vous en avez envie. Et puis, venir manger au repas du soir avec tout le monde serait pas mal, aussi.

Elle prit une courte pause avant de reprendre :

-A part ça, nous ne voulons pas d’or si c’est à cela que vous pensez. Votre dague est un excellent présent, je tâcherai d’y faire honneur.

Roxane lui offrit un de ses nombreux sourire Elle s’arrêta alors devant une porte et l’ouvrit en grand. D’un geste de la main, elle lui fit signe d’entrer.

-Voilà votre chambre.

La jeune fille se posta ensuite près du lit, et lissa les plis. Elle attendait qu’il lui dise s’il avait besoin d’autre chose, et surtout de ne pas être impolie une seconde foi en partant à la volée.

-Je ne sais pas quoi dire, c'est avec plaisir que je partagerai un repas avec vous et je ne suis pas contre un bon bain, mais pour ce qu'il est de danser, je ne danse pas. Je fais danser les flammes mais je ne danse pas.

Roxane le regarda. Avait-il compris lorsqu’elle lui avait dit que non, il ne devrait pas danser quasiment nu ? Elle pencha sa tête sur le côté, comme elle le faisait si souvent lorsqu’elle ne comprenait pas.
Bien sur, il y aurait sûrement une petite fête. Mais jamais, ô grand jamais, les rêveurs ne s’étaient mis un jour en tête d’inventer une danse où il fallait juste se munir d’un bout de tissus ! Enfin. Elle haussa les épaules, et se dirigea vers la porte.
La rêveuse s’arrêta dans l’encadrement, et déposa l’une de ses mains sur le bois. De l’autre, elle caressa distraitement le poignard, se demandant combien de vie avait-il ôté. Puis elle se tourna vers son hôte et le regarda, essayant de cacher sa tristesse. Mais ses yeux devaient sûrement la trahir.

-Dites-moi, combien de personne avez-vous tué avec ce poignard ?

Il allait lui répondre, mais elle se ravisa. Rapidement, pour le devancer, elle s’exprima :

-Non. Non, ne le dites pas, s’il vous plait. Oubliez donc ma question.

Elle prit une longue bouffée d’air, et se força à sourire. Ce sourire qu’elle utilisait lorsqu’elle avait un brusque temps de tristesse. Ce qui n’arrivait pas très souvent, il faut l’avouer. Mais, lorsque cela arrivait tout de même…Tout le monde s’y trompait. Sauf les personnes qu’elle connaissait le plus, évidemment. Ce qui se résumait à : elle.

-Bien. Je viendrais vous chercher une foi le repas servit. N’hésitez pas à vous rendre aux bains. Un rêveur vous indiquera son emplacement. Si vous désirez le prendre seul, il y a un espace pour cela dans votre chambre. A tout à l’heure.

Et la jeune fille quitta la pièce, se dirigeant vers les cuisines. Ce soir, une bonne centaine de rêveurs, plus la dizaine de famille étaient à nourrir. Y’allait avoir du boulot.

Plus tard, Roxane sautilla d’un pas léger vers la chambre de Rasinar. Elle toqua d’abord à sa porte, et ensuite, l’entrouvrit en passant sa tête. Elle ne remarqua personne dans la petite pièce.

-Rasinar ?

Elle marcha d’un pas lent, scrutant les lieux. Elle trouva le jeune homme assit sur près de la fenêtre, et d'une voix forte l'invita à la rejoindre:

-Le repas est prêt.

-Merci.

Rasinar se leva d’un bond pour la suivre, et ils marchèrent côte à côte entre les couloirs. Roxane ne savait pas très bien si elle devait remercier le jeune homme, puisqu’il était plus que normal que tous les rêveurs leur prépare un bon repas à tous, et qu’elle le prévienne. Elle haussa les épaules, et se contenta de se ficher de son sourire habituel. Sourire qui redoubla lorsque le marchombre-mercenaire lui demanda, d’une voix étrangement douce :

-Puis-je manger à vos côtés ?

Elle hocha vivement la tête, et lui répondit :

-Bien sur. Ce sera avec grand plaisir.

Puis ils se dirigèrent en silence vers la grande salle à manger, où se dressait en son centre une énorme table remplie de victuailles. Elle prit place au hasard, se mélangeant entre les rêveurs et les voyageurs, et le jeune homme s’assit à côté d’elle.
La demoiselle se servit, et commença à faire la causette :

-Quel âge avez-vous, au fait ?

Elle le regarda dans les yeux, et se contenta, encore une foi, de sourire. Elle lui posa une autre question :

-Vous êtes nés où ?

Roxane se dit que si elle lui posait d’avantage de questions, il allait partir de table et s’enfuir de ce lieu où il avait le plus besoin d’être. Elle se tut donc, essayant tant bien que mal de taire sa curiosité.
Elle scruta alors la salle, et vit que le rêveur qui avait été agressé plus tôt arrivait. Lorsqu’il vit Rasinar, une expression amère se dessina sur son visage, et ses yeux se firent le plus noir possible. Si un regard pouvait tuer, le mercenaire-marchombre serait mort sur le champ.
Il s’assit plus loin, parlant à voix basse avec d’autres rêveurs, le désignant du doigt. Il était évident qu’il leur disait des choses abominables, dans le but de le faire partir d’ici. Roxane le fusilla à son tour du regard, lui faisant bien comprendre que tout homme avait le droit de rester entre leur mur, et que s’il essayait de faire partir Rasinar d’ici, il aurait affaire à sa colère-si ‘dangereuse’ soit-elle. Nullement impressionné, il continua son manège, lui souriant avec haine.

Alors que Roxane était captivée par la conversation de sa voisine, sur comment avoir de belles dents tout le temps et un sourire éclatant (prenez Colgate !!), des cris retentirent du bout de la pièce, en provenance du rêveur qui avait été blessé. La jeune fille le regarda, consternée. Lui et ses voisins étaient couverts de soupe, et une balle était fichue dans son bol. Elle fit de gros efforts pour ne pas éclater de rire, et se tourna plutôt vers Rasinar qui s’était remis à parler. Etait-ce lui qui avait fait ça ?

-Je suis né à Al-Vor il y a 17 ans.

-Oh ! Je pense déjà avoir été à Al…

La rêveuse ne put achever sa phrase. Déjà, le rêveur du fond s’était levé, le visage bouillonnant de rage. Il pointa furieusement du doigt le marchombre-mercenaire, et hurla :

-C’est lui ! C’est lui qui a fait ça !

Comme personne ne réagissait, et que le silence faisait place à tout dialogue, il hurla d’avantage, les veines lui sortant presque du visage :

-Mais faites quelque-chose, bon sang ! Emparez-vous de lui ! Foutez-le dehors !

Roxane se leva, à son tour furieuse. Elle se plaça entre lui et Rasinar, et mit ses mains sur ses haches. Elle pencha la tête sur le côté, et, essayant de paraître calme, fit :

-Bon, que se soit clair. Il ne t’a en aucun cas blessé. Il t’a juste fait une farce, et rien ici ne l’interdit. Laisse-le donc tranquille ! C’est mon invité et je ne te laisserai pas le faire partir si facilement.

Elle se rassit, plutôt contente d’elle. Mais, à sa grande surprise, le rêveur éclata d’un rire mauvais. Un rire qui résonna dans les entrailles du château. Tous étaient captivés par cet étrange échange, attendant la suite.
Qui ne tarda pas :

-Il ne m’a en aucun cas blessé ? Qu’a-t-il donc fait, tout à l’heure ?!

La jeune rêveuse aurait voulu répliquer, mais elle n’en eut pas le temps. Il fonça sur Rasinar et mit ses mains sur son cou, prêt à l’étrangler. Ce geste était non seulement étrange car les rêveurs n’apprenait ni à se battre ni à tuer, mais aussi parce-qu' autant de haine dans un seul corps était…impressionnant. Roxane hurla, effrayée. Elle ne doutait pas qu’en à l’issue du combat, mais elle regrettait vraiment qu’un tel acte se fasse, devant d’autant de personnes, et surtout en compagnie de rêveurs qui étaient censés se comporter digne en cas de querelle et surtout devant leurs invités.